Chronique "Un saut dans la loi, diffusée le 10/12/2010 sur France Culture
Lundi dernier, des députés UMP du collectif La Droite populaire ont déposé un amendement au projet de loi sur la sécurité, dite "Loppsi 2", permettant à un jury de cour d'assises de prononcer à l'encontre d'un criminel de nationalité étrangère, une peine complémentaire d'interdiction du territoire. Ce dernier devrait être examiné à l'Assemblée nationale, en même temps que le projet de loi Loppsi 2 à compter du 14 décembre. C'est l'occasion de revenir sur la loi du 3 décembre 1849 qui précise les procédures de naturalisation et le séjour des étrangers.
On est au lendemain de la révolution de 1848 et ce n’est pas un hasard si on légifère sur la naturalisation et le séjour des étrangers. Après les élections législatives de mai 1849, une majorité conservatrice, composée de républicains modérés, de monarchistes et de bonapartistes, est élue à la Chambre et entend restaurer l’ordre. Les règles de naturalisation des étrangers doivent être plus strictes. Tout d’abord, et c’est l’argument principal du gouvernement, parce que le suffrage universel masculin a été instauré en mars 1848, et donc les candidats à la citoyenneté française sont de futurs électeurs. Mais il s’agit également de revenir sur les mesures prises par le gouvernement provisoire qui a facilité la naturalisation des étrangers qui ont prêté mains fortes aux insurgés. Selon Gérard Noiriel, 2459 naturalisations ont été accordées entre le 1er avril et 26 août 1848. On revient donc à des critères antérieurs, selon l’article 1er de la loi du 3 décembre 1849, pour être naturalisés, les étrangers doivent en faire la demande à 21 ans et avoir résidé 10 ans en France. Ce qui est nouveau, c’est que la naturalisation ne sera accordée cette fois qu’après une enquête de moralité.
Mais la loi prévoit aussi des mesures d’éloignement des étrangers. L’article 7 stipule ainsi que « Le ministre de l’Intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France, de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière. Il aura le même droit à l’égard de l’étranger qui aura obtenu l’autorisation d’établir son domicile en France ». Ce n’est pas nouveau, une loi d’avril 1832, face à l’arrivée de réfugiés polonais, permettait déjà au gouvernement de rassembler dans les villes de son choix, les étrangers réfugiés résidant en France et prévoyait la possibilité d’expulser ceux qui ne s’y conformaient pas ou qui venaient à troubler l’ordre public. Cette fois, aucun motif n’est nécessaire à l’expulsion, le libre arbitre est laissé au ministre de l’Intérieur et l’article 8 prévoit que tout contrevenant pourra être condamné de un à six mois d’emprisonnement. Alors pourquoi ce renforcement de la législation en la matière ? D’abord parce qu’une vague d’immigration s’amorce à ce moment-là. La construction du réseau ferré, le développement de la métallurgie, des mines et de l’industrie textile amènent les entreprises à recruter hors des frontières les ouvriers qu’elles ne trouvent pas sur place. Et ça commence à faire des vagues. Durant les événements de 1848, les étrangers ont souvent été la cible privilégiée du mécontentement populaire. A Paris, les ouvriers s’en sont pris aux Savoyards, en Normandie, ce sont les Anglais qui ont subi leur foudre et dans le Nord, des manifestations quotidiennes ont eu lieu contre les Belges. Bref, il s’agit de calmer la colère populaire en privilégiant le travail des nationaux. Déjà, lors du gouvernement provisoire, le ministre de l’Intérieur Ledru Rollin avait adressé une circulaire aux préfets afin que les ouvriers belges n’affluent pas dans la capitale pour préserver les travaux et les salaires des ouvriers nationaux. Là, les mesures d’expulsion sont réaffirmées dans une loi qui entend remédier au chômage et à la misère par la force, en expulsant les indigents étrangers.
C’est à partir de ce moment-là que l’on va commencer à comptabiliser les étrangers. Ainsi, en 1851, pour la première fois, le recensement général de la population répertorie les étrangers et les naturalisés. Même si les chiffres sont à relativiser, sur 35 millions d’habitants, on recense 380 000 étrangers (soit 1% de la population) et 13 525 naturalisés. Viennent en tête les Belges, les Italiens, les Allemands et les Espagnols. A l’époque, on se préoccupe plus de la « question ouvrière » que du « problème des étrangers » mais la distinction entre national et étranger commence à se mettre en place. Cette loi du 3 décembre 1849 y contribue et elle va fixer les procédures d’expulsion et de naturalisation des étrangers et ce pour près d’un siècle, jusqu’à l’ordonnance de 1945 sur l’acquisition de la nationalité française.
On peut lire à ce sujet : « Immigration, antisémitisme et racisme en France » de Gérard Noiriel, paru chez Fayard en 2007 et « L’immigration dans les textes » de Janine Ponty, paru chez Belin en 2003.