Chronique « Un saut dans la loi » diffusée dans La Fabrique de l’histoire sur France Culture, le 21 septembre 2012
Loi Bonnevay du 23 décembre 1912 qui crée les Offices publics d’habitations à bon marché
Mercredi dernier, la ministre du Logement, Cécile Duflot, a dévoilé son dispositif en faveur de l’investissement locatif, qui vise notamment à construire 40 000 logements l’an prochain. C’est l’occasion de revenir sur la Loi Bonnevay du 23 décembre 1912 qui crée les Offices publics d’habitations à bon marché.
Cette loi, en fait, vient renforcer deux lois précédentes qui tentaient d’encadrer les Habitations à bon marché (HBM) qui ont vu le jour au début de la Troisième République sous l’impulsion de philanthropes et d’hygiénistes, la loi Siegfried de 1894 et la loi Strauss de 1906. La première n’instaure pas une intervention directe de l’Etat mais met en place des exonérations fiscales et la possibilité de prêts par la Caisse des dépôts et les Caisses d’Epargne pour encourager la construction des HBM, dont le premier congrès international a lieu en juin 1889. La seconde renforce les aides et définit le prix des loyers comme des normes de salubrité. Mais il faut bien reconnaître que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Si de nombreuses sociétés d’HBM sont créées par des industriels, des ingénieurs ou des banquiers, que des fondations comme Rothschild lancent des concours, la crise du logement s’aggrave. Une des premières grandes enquêtes sur le logement, réalisée en 1906 révèle ainsi des situations misérables : 62% des personnes habitant des villes de plus de
5 000 habitants vivent à deux ou plus par pièce. Un surpeuplement qui est pointé du doigt dans la propagation des épidémies. Comme le rappelle l’historienne Marie-Jeanne Dumont, à Paris, quelque 10 000 logements sont construits en 15 ans, alors qu’en 1910, la population parisienne augmente de 25 000 personnes par an, du fait de l’immigration provinciale. On compte 60 000 personnes qui vivent dans des îlots insalubres, tandis que la tuberculose fait 12 000 morts chaque année dans la capitale.
Et la colère monte chez les locataires, comme le résume le refrain d’une chanson d’Eugène Pottier, « logements insalubres » de 1887 : « Voici le huit, le jour du terme : nous n’avons pas le premier sou. Mais j’attends Vautour de pied ferme, qu’il vienne et je lui tords le cou ». Le vautour, c’est le proprio. En 1910, est créée l’Union syndicale des locataires ouvriers et employés, sous la houlette de Georges Cochon, ouvrier tapissier. Elle exige l’assainissement des logements insalubres et le paiement du loyer à terme échu et prête main-forte aux familles expulsées. Des déménagements « à la cloche de bois » se font au grand jour et en fanfare, à l’assaut des logements vides. En février 1912, le syndicat tente ainsi d’installer en plein jardin des Tuileries, une famille de 10 personnes expulsée de son logis. Une opération qui fait la une du Petit Journal.
Bref, il est temps de faire quelque chose et l’idée d’une intervention publique directe chemine. Même chez les philanthropes, plutôt réfractaires quelques années plus tôt comme Augustin Rey, qui signe un pamphlet en 1912 : « Le cri de la France, des logements ! ». Grand Prix du concours de la Fondation Rothschild, pour la construction d'un important groupe d'habitations ouvrières, il écrit ainsi : « Les municipalités doivent être mises dans la possibilité, sous leur responsabilité, d’améliorer directement elles-mêmes la situation hygiénique de leurs habitants ». En mars 1912, le Conseil de Paris, sur demande d’élus radicaux et socialistes, demande un emprunt à l’Etat de 200 millions de francs pour construire 26 000 logements ouvriers. Il sera accordé. Dans la foulée, un projet de loi est déposé par le député du Rhône Laurent Bonnevay, afin d’étendre le dispositif parisien à l’ensemble du territoire. Fait plutôt rare, le projet est adopté à l’unanimité le 11 juillet 1912, par la Chambre et par le Sénat le lendemain, puis promulguée le 23 décembre.
Elle va non seulement renforcer les dispositifs des lois précédentes pour promouvoir la construction des HBM mais surtout, elle crée un véritable service public du logement social, en autorisant la création de sociétés agréées ou d’offices publics d’HBM pouvant bénéficier de prêts bonifiés de l’État. Ces établissements publics, créés par décret en Conseil d’Etat peuvent construire, aménager et gérer des HBM, ainsi que les logements construits par les villes elles-mêmes. Le premier OPHBM est créé à La Rochelle en août 1913, auquel le conseil municipal cède gratuitement 20 000 m2 de terrain, un concours est lancé pour construire 108 logements. En janvier 1914, celui de Paris voit le jour, doté par la ville de 500 000 francs. Evidemment avec l’éclatement de la Première Guerre mondiale, tous les chantiers sont suspendus. Entre 1920 et 1932, l’office crée tout de même quelque 3000 logements.
Une goutte d’eau malgré tout pour faire face à la crise du logement. Il faudra bien d’autres lois pour tenter d’y remédier. Cent ans après l’adoption de la loi Bonnevay, on le voit, le problème reste entier.
On peut lire à ce sujet : « Le logement social en France », de Jean-Marc Stébé, paru en 2011 au PUF dans la collection « Que sais-je ? » et « Le logement social à Paris (1850-1914) » de Marie-Jeanne Dumont, paru aux éditions Mardaga, en 1991.A noter jusqu’en novembre, l’association Promenades urbaines propose une série de balades dans Paris autour de l’histoire du logement social (www.promenades-urbaines.com).