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Billet de blog 24 janvier 2017

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Les deniers de Madame

Plus d’un siècle après la Révolution française, la lutte pour l’émancipation des femmes se poursuit et les mouvements féministes multiplient les initiatives pour faire avancer les choses. Vous avez choisi de nous rappeler la loi du 13 juillet 1907 qui permet aux épouses de disposer librement de leur salaire.

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Et oui, il y a seulement 110 ans que les femmes mariées peuvent disposer de leurs salaires et encore sous certaines conditions. Mais bon, ça va prendre du temps avant qu'un texte soit adopté par les deux chambres. Si en juillet 1894, le bon Léopold Goirand, député radical des Deux-Sèvres, dépose une proposition de loi, c'est que l'idée fait son chemin depuis une quinzaine d'années et que les mouvements féministes s'organisent. Une multitude d'associations voient le jour, on en compte une soixantaine à la Belle Epoque, regroupant différentes tendances. Il faut avoir à l'esprit que nous sommes à la veille du centenaire du Code civil napoléonien qui a soumis les femmes à un statut de minorité, consacrant leur incapacité juridique. Le mari est le seul maître à bord. Les débats vont donc bon train parmi les juristes, les élus mais aussi les féministes pour l'émancipation civile des femmes. Ce n'est pas pour rien, si en 1904, année du centenaire du Code, on en brûle quelques exemplaires devant les mairies.
Alors la question du salaire de la femme mariée préoccupe à ce point les spécialistes du droit que la Société d’Études législatives, créée en 1901, y consacre ses deux premières années de discussions. Les avis sont partagés, certains craignant que la femme mariée n’envie le sort de la concubine indépendante, libre de disposer de ses gains.
Pendant ce temps-là, l'Avant-Courrière, association fondée en 1893 par une sage femme, Jeanne Schmahl, consacre son programme à l’obtention de deux lois : une pour le droit des femmes à être témoin dans les actes civils (il sera obtenu en 1897) et l'autre sur la libre disposition du salaire des femmes mariées. Parmi ses membres, Jeanne Chauvin, première doctoresse en droit, se charge de rédiger les deux projets de loi, qui sont distribués aux juristes et aux parlementaires et dans la presse, comme le rappelle l'historienne Florence Rochefort. La proposition sur le salaire prône l'égalité : la femme mariée doit disposer de ses revenus sans condition, ni intervention d’un juge. Le député Léopold Goirand accepte de défendre le projet mais en le modifiant. Quand il le dépose à l'Assemblée en 1894, il prend soin de livrer un long argumentaire, mettant en avant les possibles abus du mari, plus que le principe d'égalité des époux. Ce qui prime, c'est la bonne marche du foyer. Il déclare ainsi : « Si l’on suppose le mari débauché, paresseux, dissipateur, la femme honnête, laborieuse, économe, les conséquences apparaissent dans toute leur injustice ». Il argue aussi que la France est en retard, alors que la Suède a remanié son droit matrimonial dès 1874, suivie par le Danemark, la Norvège et même l’Angleterre.
Une commission se met alors en place pour discuter de la réforme et donner des gages contre une atteinte au régime de la communauté des biens. Dans son rapport, elle précise ainsi que « dès que la femme a appréhendé ses salaires et qu’elle en a disposé, elle a épuisé son droit. Il en est de même si, au lieu de les dépenser, elle les laisse subsister sous forme d’économies. Ils sont alors abandonnés à l’administration du mari ». Pour Jeanne Schmahl, « cela s’appelle, proprement, donner d’une main pour retirer de l’autre ». Elle critique une proposition hypocrite mais bon, le texte est examiné en urgence et adopté le 27 février 1896 par la Chambre des députés.
Reste à convaincre le Sénat et là, ça va prendre pas moins de onze ans. Autant dire que la question pose de sacrés problèmes. Le député Léopold Goirand perd son siège en 1898 et ne reprend la bataille qu'en janvier 1906 quand il devient sénateur. Après bien des péripéties, la Haute Chambre se penche enfin sur la question en mai 1907. On discute alors des possibles abus ou prétendues incompétences de l'épouse et des garanties à apporter pour que les biens du ménage ne soient pas dilapidés. Bref, le 13 juillet 1907, la loi est enfin adoptée. Les femmes mariées peuvent disposer librement de leurs salaires, même si leurs économies restent sous l'administration du mari. Et ce dernier conserve ses pleins droits s’il juge son épouse imprudente ou mauvaise gestionnaire. La loi s’avère en fait difficilement applicable, comme le souligne Florence Rochefort. Une enquête de « La Française » en 1930 révèle ainsi que les banquiers, les agents de change et les notaires exigent encore très souvent une autorisation maritale pour que les épouses disposent de leurs gains. On ne peut pas dire que la victoire soit criante, même si dans l'histoire du droit, cette loi constitue quand même une première brèche dans les dispositions patriarcales du code civil.
En 1907, Jeanne Schmahl peut dissoudre L'Avant-Courrière et se consacrer au droit de vote des femmes. Là, la bataille sera encore plus longue...
On peut lire l'article de Florence Rochefort, À propos de la libre-disposition du salaire de la femme mariée, les ambiguïtés d’une loi (1907), paru dans la revue « Clio » et disponible en ligne (http://clio.revues.org/1324).

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