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Billet de blog 26 octobre 2012

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L’ordonnance du 11 juillet 1682 envoyant les Bohémiens aux galères

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Chronique "Un saut dans la loi", diffusée en septembre 2010 dans la Fabrique de l'histoire sur France Culture

L’ordonnance du 11 juillet 1682 envoyant les Bohémiens aux galères
Le ministre français de l'Immigration, Eric Besson, en visite en Roumanie, a déclaré hier, qu'il n'était « pas question » que la France suspende les reconduites à la frontière de Roms, comme le lui demande une résolution du Parlement européen votée le même jour. Cette dernière, non obligatoire, demande à la France et aux autres Etats de l'UE de « suspendre immédiatement » les expulsions de Roms. Le texte adopté déclare que « Cette attitude est allée de pair avec une vague de stigmatisation des Roms et de dénigrement général des Tsiganes dans le discours politique ». C’est l’occasion de revenir plus de quatre siècles en arrière sur l’ordonnance du 11 juillet 1682, signée par Louis XIV, qui entendait envoyer les Roms aux galères.

Oui comme quoi ces Bohémiens (on les appelait ainsi à l’époque) sont des souffre-douleur ancestraux ! Leur traque est lancée par Colbert qui a été nommé en 1669, secrétaire d’Etat de la Maison du Roi, en même temps que Secrétaire d'État de la Marine. Et ce n’est donc peut-être pas pour rien que le puissant ministre de Louis XIV imagine une « Déclaration contre les Bohémiens » qui prévoit les galères pour les hommes, ça fait de la main-d’œuvre pas chère. Alors à part ça, que dit cette ordonnance royale ?

Je vous en cite un extrait qui vaut son pesant d’or :  « enjoignons à nos baillis, sénéchaux et leurs lieutenants […] d’arrêter et de faire arrêter tous ceux qui s’appellent bohèmes ou Egyptiens, leurs femmes, enfants et autres de leur suite, de faire attacher les hommes à la chaîne des forçats pour être conduits dans nos galères et y servir à perpétuité […] A l’égard de leurs femmes et filles, ordonnons à nos dits Juges de les faire raser la première fois qu’elles auront été trouvées menant la vie de Bohémiennes et de faire conduire dans les hôpitaux […] les enfants qui ne seront pas en état de servir dans nos galères pour y être nourris et élevés comme les autres enfants qui y seront enfermés ».
Autrement dit, galères pour les hommes, tondeuse voire bannissement pour les femmes. Pourquoi tant de haine me direz-vous ?
Tout d’abord, comme le rappelle l’historienne Henriette Asséo, ces Bohémiens arrivent en France au XVe siècle. Ils se présentent comme des pélerins venus de Petite Egypte et sont dans l’ensemble plutôt bien accueillis. A partir du XVIe siècle, le mythe de leur origine est dénoncé et ils commencent à être rejetés. Ils sont alors vus comme des « gens sans aveu », coupables de larcins et de mendicité. Enfin pas pour tout le monde. Ils sont très prisés par les gentilshommes de par leur connaissance des chevaux, des armes mais aussi des arts du spectacle. On assiste ainsi à l’engouement pour la « Belle Egyptienne ». Henriette Asséo a pu recenser 30 ballets de cour entre 1610 et 1720 comprenant des Bohémiens ou Egyptiens. L’historien Emmanuel Filhol me confiait même  que Mme de Sévigné dans son château des Rochers près de Rennes, reçoit des danseuses bohémiennes et écrit à sa fille, Mme de Grignan, combien ces dernières dansent à ravir. Il existerait même un portrait de sa fille en Bohémienne, c’est dire l’enchantement de la noblesse pour cette culture venue d’ailleurs. Emmanuel Filhol l’explique en partie par son rapport nostalgique et idéalisé à l’Orient, aux croisades et à l’aventure.
Alors pourquoi ce tournant sécuritaire à la fin du XVIIe siècle et cette ordonnance pour, je cite, « purger le royaume de cette engeance malfaisante » ? Et bien justement parce que le Roi voit d’un mauvais œil cette noblesse affranchie, si j’ose dire, qui s’entoure de gens d’armes et qui festoie avec leurs femmes. N’oublions pas que La Fronde n’est pas loin et que la royauté  entend, plus que jamais mater ces gentilshommes. L’ordonnance royale du 16 juillet 1682, s’intitule d’ailleurs « Déclaration contre les Bohémiens et ceux qui leur donnent retraite ». Très vite, tous les parlements s’évertuent à la faire appliquer et à punir les noblesses rebelles. Et il y en a ; Nombre de gentilshommes tentent de protéger leurs domestiques ou gardes bohémiens et sont punis. Et finalement, la Cour viendra à bout de ces résistances. La vie d’errance reprend son inexorable route ponctuée par les peurs des gouvernements du moment.
Au XVIIIe siècle, de nombreux textes consacrés à la condamnation du vagabondage et de la mendicité soumettent les Tsiganes à la domiciliation et au contrôle. Cette traque se corsera plus encore au XXe siècle, avec notamment la loi du 16 juillet 1912 qui instaure un carnet anthropométrique (vous remarquerez au passage que juillet n’est pas un bon mois pour les Roms) ou encore le décret du 6 avril 1940, les assignant à résidence. Suivra très vite leur internement dans quelque 40 camps en France.

 On peut lire d’Henriette Asséo « Les Tsiganes : une destinée européenne », paru en 1994 chez Gallimard Découverte et son article sur les Bohémiens à l’époque moderne disponible en ligne sur le site du GRIHL (Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire) : http://dossiersgrihl.revue.org/3680

Et l’article d’Emmanuel Filhol « La France contre ses Tsiganes », de juillet dernier, accessible sur le site de la Vie des idées : www.laviedesidees.fr

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