Le décret du 30 juin 1955 et les programmes d’action régionale
Chronique "Un saut dans la loi", diffusée dans La Fabrique de l'histoire, le 31 janvier 2014
Le 14 janvier, lors de sa conférence de presse, François Hollande a évoqué une réforme territoriale qui pourrait se traduire par une réduction du nombre des régions. Le lendemain, le député PS Thierry Mandon évoquait une quinzaine de régions contre 22 actuellement en métropole. C’est l’occasion de revenir sur les premières heures de l’aménagement du territoire, à travers le décret du 30 juin 1955 qui met en place des programmes d’action régionale.
En fait, nous sommes au tout début de l’aménagement du territoire et en plein dans la politique de planification, mise en place par de Gaulle en 1946. Le premier Plan Monnet, lancé en 1947, s’attache à la reconstruction et à la modernisation du pays, à travers le développement des secteurs d’activité (le charbon, l’électricité, les transports). Mais il faut bien reconnaître qu'on se soucie guère des actions à mener dans les régions. Et pourtant, des voix s’élèvent pour dénoncer les disparités régionales et la suprématie parisienne. En 1947, l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier« Paris et le désert français » fait grand bruit. L’auteur y dénonce le centralisme et l’exode rural avec des constats plus qu’alarmistes du genre : « la croissance urbaine a vidé les campagnes dans les mêmes proportions que la Première Guerre mondiale ! » Et de s’en prendre à Paris qui « dévore la substance nationale ». Bref, il devient urgent de mener un aménagement du territoire et Jean-François Gravier prône la création de 19 régions. Une idée qui va être reprise par Eugène Claudius-Petit, à la tête du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Il présente en février 1950, en Conseil des ministres, un rapport intitulé « Pour un plan national d'aménagement du territoire ».Ce dernierdoit permettre, je cite, « une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques ». Quatre objectifs sont alors définis : aider à une industrialisation décentralisée, rénover l’agriculture, encourager l’équipement touristique et décentraliser les ressources culturelles.
La loi du 8 août 1950 met en place un Fonds national d’aménagement du territoire pour encourager les implantations locales.
Voilà pour les premières décisions au sommet, tandis que sur le terrain, on s’active grandement pour promouvoir la décentralisation notamment en Bretagne. Dès 1949, se constitue ainsi le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons, le Celib, qui réunit chefs d’entreprise, responsables agricoles, syndicalistes et universitaires. Et c’est René Pleven, président du Conseil en 1950 et 1952, qui le conduit. Ca aide… En 1953, le Celib présente au gouvernement le Plan breton où il revendique notamment la construction d’un port à Roscoff, un plan routier et l’implantation d’industries modernes. Et ça ne va pas tarder avec l’implantation de Citroën à Rennes en 1954 ou celle du Centre national d’études des télécommunications à Lannion en 1959.
Comme le rappelle Catherine Guy, spécialiste de l’aménagement du territoire, la méthode bretonne va faire des émules dans d’autres régions. Ainsi, en Lorraine, en Poitou-Charentes ou en Champagne, des comités d’expansion économique se mettent en place, reconnus par un décret en décembre 1954. Peu à peu, l’échelon régional apparaît comme un relais nécessaire à l’action modernisatrice de l’Etat. Le régionalisme ne se limite plus à une revendication culturelle, il prend une dimension économique. Et c’est dans ce contexte que le gouvernement d’Edgar Faure signe un décret le 30 juin 1955 qui institue des programmes d’action régionale. Ces derniers, je cite, « seront établis en vue de promouvoir l’expansion économique et sociale des différentes régions et en particulier, de celles qui souffrent de sous-emploi et d’un développement économique insuffisant ». Pour freiner l’expansion de Paris, on soumet toute implantation industrielle importante dans la région parisienne à un accord préalable. Si ces programmes d’action régionale doivent permettre de coordonner l’activité des services publics et des initiatives privées, reste à définir les régions proprement dites. Les membres du Commissariat général au plan réfléchissent à un découpage administratif, en fonction des grandes agglomérations. Un arrêté de novembre 1956 établit une carte du territoire en 22 régions de programme. Mais ces dernières ne sont encore qu’un échelon de travail pour l’Etat, elles deviendront des collectivités locales à part entière bien plus tard. Il faudra attendre la création de la Datar en 1963, la loi de 1972 qui érige la région en établissement public et les lois de décentralisation de 1981-1983.
Quoiqu’il en soit, ce décret de juin 1955 jette les bases d’une véritable politique d’aménagement du territoire. Mais à l’époque, ce découpage ne fit pas que des heureux. Les Normands se plaignaient d’être divisés en deux et les Bretons contestaient le rattachement de Nantes. Aujourd’hui, les inquiétudes resurgissent : les Auvergnats craignent de s’unir aux Rhônalpins et les Francs-Comtois aux Bourguignons...
On peut lire de Catherine Guy, « Aménager les territoires. De la loi au contrat », paru en 2008 aux Presses universitaires de Rennes et « La politique d’aménagement du territoire », sous la direction de Patrick Caro, Olivier Dard et Jean-Claude Daumas, paru également aux PUR en 2002.