Jean-François Dubost, responsable des questions asile et migrations pour Amnesty International France, met en cause les ambivalences de l’Union européenne et de la France. La situation des migrants à Calais pourrait être différente.

Dans la jungle près de Tioxide, Ana Zara et Fatouma viennent d'Erythrée. © Bertrand Gaudillère
La situation à Calais est sous tension, point de convergence de logiques de protection des réfugiés et de contrôle migratoire. Situé juste en face du Royaume-Uni, un État à la fois membre de l’Union européenne (UE) mais étranger à l’espace de libre circulation « Schengen », le Calaisis est adossé à une double frontière, naturelle et juridique. Cet espace, comme d’autres points du littoral, est révélateur de l’état des droits humains aux frontières extérieures de l’UE. Il est aussi symptomatique des errements de la politique migratoire et d’asile de cette Europe. On y croise des personnes qui ont fui la violence des frontières, des centres de détention, de la police en Grèce. On y retrouve les survivants de la Méditerranée, n’ayant pas souhaité s’arrêter en Italie, incapable de leur offrir la moindre perspective d’accueil ou d’intégration. C’est bien l’Union européenne et ses États membres, qui se trouvent ainsi convoqués sur le littoral français.

Distribution de nourriture, quai de Moselle, non loin de l'hôtel de ville de Calais. Octobre 2014. © Bertrand Gaudillère
Des États et des institutions atones, si ce n’est complices, face à la « dissuasion-répression » des autorités grecques. Les fonds européens sont davantage alloués à la consolidation du mur de la forteresse Europe plutôt qu’à celle d’une frontière « sûre » pour les droits humains.
Cette communauté d’États est somme toute théorique, puisqu’aucun n’est venu prêter main-forte à l’Italie pour sauver les vies en Méditerranée, ni initier un quelconque partage des responsabilités pour l’accueil des rescapés.
Les contradictions de l’État français
En France, la situation à Calais illustre les paradoxes de l’État. Lors d’une visite sur place, à la fin de l’année 2014, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve annonçait l’ouverture d’un centre d’accueil de jour pour les personnes migrantes et réfugiées : « Il y a un problème humain sérieux [avec des] migrants qui relèvent pour beaucoup du droit de l’asile […]».Ces migrants n’ont « pas pris le chemin de l’exode parce qu’ils étaient fascinés par le code de Schengen » mais« parce qu’ils étaient persécutés dans leur pays ».

Les migrants tentent d'aborder les camions en route pour l'Angleterre © Bertrand Gaudillère
Mais quelques mois auparavant, le 2 juillet, plus de deux cents migrants étaient interpellés dans des locaux qu’ils occupaient en guise de refuge. Le préfet du Nord-Pas-de-Calais, Dominique Bur, leur remettait une obligation de quitter le territoire français avant de les envoyer en centre de rétention administrative.

Jungle de Tioxide où une église a été construite en décembre 2014 © Bertrand Gaudillière
En ce début 2015, l’organisation Human Rights Watch a de nouveau dénoncé les violences policières dont sont victimes migrants et réfugiés dans la région. Comme il l’avait déjà fait lors de la remise de ses conclusions par le Défenseur des droits en 2012 sur ce grave sujet, le ministère de l’Intérieur a botté en touche.
Comment, en l’espace d’à peine six mois, l’État français peut-il se montrer à ce point ambivalent ? D’un côté, lucidité quant à la qualité de réfugiés de facto de ces personnes suvivant à Calais et dans la région, de l’autre, application mécanique de vieux réflexes de « lutte » contre l’immigration irrégulière, source de souffrances, de violations des droits humains.

Près de Tioxide vivent des soudanais et des Erythréens © Bertrand Gaudillère
Penser l’intérêt commun
La situation à Calais pourrait-elle être différente ? Oui. Les solutions existent : remettre au cœur des logiques étatiques, et donc des politiques européennes, le respect rigoureux des droits des migrants et des réfugiés. L’ingrédient ultime de ce changement de logique ? Une véritable solidarité européenne entre États. Frontières, territoires, accueil des migrants et protection des réfugiés ne doivent pas être pensés comme une juxtaposition de sujets nationaux mais bien comme un sujet d’intérêt commun. À court ou moyen terme, toute décision prise a des répercussions sur le reste des États membres, ou certains d’entre eux. Calais l’illustre parfaitement. Les responsables européens sont ainsi sommés, pour réaliser ce changement, d’affronter les discours populistes et discriminants, non pas en les amplifiant mais bien en les confrontant à la réalité humaine de l’exil à nos frontières ainsi qu’à notre responsabilité commune. Solidarité et vérité. Deux conditions qui nécessitent certainement du courage.

Migrants éparpillés autour de Calais. Après une odyssée, entre campements de fortune, jungles, centres d’accueil, ils connaissent une extrême précarité en attendant le passage pour l’Angleterre. © B. Gaudillère
Dans quelques semaines, un rapport d’évaluation de la situation à Calais sera remis au ministre de l’Intérieur. Il sera porteur de recommandations. Espérons qu’elles seront courageuses.
Par Jean-François Dubost
Article extrait du dossier Les gens de Calais paru dans La Chronique d'avril 2015
A lire également: Calais, une ville au fil des migrants reportage de Tomas Satius et Les Dames de la jungle reportage de Catherine Monnet.
