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Entretien préalable au mariage, à l’état civil de la mairie de S.
Présence des futurs époux, de l’élu en charge de l’état civil, d’un agent de l’état civil
C’est à Madame que l’un ou l’autre s’adresse, c’est à elle que l’on parle. Mais ! Madame ne répond pas, elle ne comprend pas le français.
Et Monsieur ! il est là pourtant. On ne lui parle pas, nul ne lui adresse la parole.
Etrangeté de ce couple ! Qui est qui ?
Monsieur est français, français ! tout simplement français insulaire. Madame est allemande, tout simplement allemande ! Ah oui, Monsieur est polyglotte et professeur d’allemand.
Arrêtons-nous un instant : français avec une touche différente de culture, d’une culture considérée comme sous-culture, sous-sous, sous-sous-sous, un peu comme des poupées russes me dit-il.
Dans les yeux et le silence des deux personnes de la mairie se lisent des questions :
- Comment font-ils pour s’entendre ?
- Comment est-ce conciliable ces 2 êtres un là ?
- Et combien d’autres encore ?
Monsieur, de cet entretien on retiendra un crève-cœur, un touché en plein cœur, son moi profond touché. Il dira « être noir est un voile épidermique qui ne peut être retiré, je fais peau avec moi. »
De leur union, trois beaux enfants métisses sont nés et grandissent. Il dit encore : « les enfants métisses sont toujours beaux… eh bien non, pas toujours. Ce sont comme les autres enfants, il y en a des beaux et des moins beaux, façon supplémentaire de discriminer ?!»
Chaque couple est différent parce que nous sommes différents. Le terme de binational est important, il crée l’identité du couple. Et puis justement, être français c’est être français à part égale « Je suis également français » et c’est très souvent vu comme à part non égale. De quelle étrangeté s’agit-il ?
Le temps passe. Dix ans plus tard. Nous sommes en 2015
Monsieur fait partie du nouveau conseil municipal et la nouvelle maire le nomme dès le soir même adjoint à l’état civil. Il est aussi adjoint à la démographie (de la vie à la mort) et celui de la mission égalité. EgalitéS suggère-t-il.
Concentrons-nous sur le poste d’adjoint à l’état civil. C’est un poste froid qui lui va, qui lui convient. Ainsi, de marié, il est devenu « marieur ».
Il s’y inscrit dans le cadre de la République. « La République s’honore de vous, elle s’enrichit de vous » dit-il aux futurs époux et aussi lorsqu’il s’agit de mariages binationaux. Il est l’autorité déléguée par Mme la Maire et la Préfecture. C’est sa signature qu’il appose au bas de l’acte. Pour lui, il y a quatre signatures : les deux époux, et les deux témoins représentants de la République que sont l’élu-e et le-la fonctionnaire. Bien sûr s’y ajoutent les témoins des marié-es. C’est pour cette raison, qu’il fait œuvre de pédagogie, animé par cette pensée : « continuez à être, et il faut ou devenez ou je vous invite à devenir ce que vous avez envie de devenir et votre union peut en être l’occasion. »
Et ce n’est pas pour lui d’être sur le devant de la scène, il n’y est pas né, et ne le veut pas.
Depuis 6 ans, il est présent à tous les mariages et a toujours plaisir à marier, sachant que sa durée moyenne d’une cérémonie est d’une demi-heure.
Le oui de ce jour est un oui d’éternité
Question : Et s’il y a un doute, un soupçon, que se passe-t-il alors ?
Lors de l’entretien avant mariage, il est toujours présent. Répartition des rôles, il pose les questions écrites, prévues par le législateur, la cheffe du service écrit les réponses.
Il écoute, entend les réponses. Il dit : « sonder le cœur des gens, oui c’est possible à la condition de déjà ouvrir le sien ».
La vraie force des couples binationaux est d’être patient pour accepter l’autre, pour se donner leur vraie essence. Les couples binationaux sont les plus forts mentalement.
Et je me permets d’inviter James Baldwin à notre rencontre qui vient dire :
« La couleur blanche n’est pas une couleur, c’est une attitude
Le noir non plus n’est pas une couleur mais une condition »
Les Amoureux au ban public, collectif Strasbourg, novembre 2021
Nous avons retranscrit un entretien qui s’est déroulé entre Monsieur et moi. Les pensées, réflexions, images, évocations, mots, ressentis appartiennent à Monsieur. Seule la mise en forme est la mienne, validée par lui – Hélène Gueye-Grosjean
Image : avec l’aimable autorisation de sylvainj, extraite de son blog Ceci n’est pas un blog BD