
Jamais je n’aurais imaginé tomber amoureuse sur un autre continent, jamais je n’aurais pensé devoir me battre pour mon histoire, pour avoir le droit à ma vie de famille. Et pourtant, mon expatriation au Sénégal, aura énormément bouleversée ma vie et mes projets. Ce n’était pas ma première expatriation, mais ça restera à jamais celle qui m’a offert une deuxième maison, et une belle-famille.
Tout commence en 2019, après un stage à Dakar, je pars dans le Sine Saloum pour une mission d’un an. Seule expatriée européenne dans la commune de Diofior, je me rapproche naturellement et rapidement des jeunes de mon âge, qui m’appuient dans mes activités, et me font découvrir la culture sereer. Et très vite, il y a une rencontre plus marquante que les autres : Abou. Ce qui a commencé comme une belle amitié, devient rapidement une histoire d’amour.
Il vient de finir son année scolaire, a un poste d’animateur pour une association française dans le village voisin, ce qui nous permet de nous voir tous les jours. On arrive même à faire coïncider nos impératifs à Dakar, pour s’octroyer des moments loin du quotidien. Il rencontrera ma mère et ma sœur, avant de me présenter le reste de sa famille – je connaissais déjà certains de ses frères.
Les mois filent, la fin de mon contrat approche… Aucun de nous n’a vraiment envie d’une relation à distance. On a la solution parfaite : une mission de service civique en France recherche un jeune d’Afrique de l’Ouest pour travailler sur un projet de solidarité internationale. Il postule, il est pris. Je dois rentrer en France le 15 avril, lui doit commencer sa mission le 15 mai. C’est parfait. On se projette, on parle mariage, enfants, l’avenir s’offre à nous, on a le temps.
Malheureusement le covid en aura décidé autrement. Je suis rapatriée en France plus tôt que prévu, lui voit sa mission suspendue, les visas volontaires ne sont plus délivrés, sauf pour les services civiques dans le cadre de la saison Africa 2020, car c’est « une initiative du Président ». On lui fera miroiter un départ pendant plusieurs mois. Le contre-coup sera dur à encaisser des deux côtés.
En août 2020, le gouvernement français annonce la mise en place d’un laisser-passer pour les couples non-mariés ; mais la mesure tarde à être mise en place (et ne restera pas longtemps) et les critères sont stricts. Malgré 8 mois de vie commune, Abou n’est jamais venu en France, ce qui l’empêche de prétendre au laissez-passer. Néanmoins, grâce aux Autorisations Spéciales d’Embarquement du Sénégal et à ma situation professionnelle qui me le permet, nous arrivons à nous retrouver plusieurs fois au Sénégal.
Nous avons envie d’être ensemble, de stabilité, les voyages me fatiguent, lui souffre de ne rien pouvoir faire, l’incertitude me fait glisser vers la dépression. Tous nos projets sont en suspens. En janvier 2021, Abou perd officiellement sa mission de service civique, il vient de fêter ses 26 ans ; aucune dérogation possible, ou du moins adaptée aux volontaires étrangers**, malgré la pandémie. Il nous faut passer à autre chose. Je repars au Sénégal, avec l’espoir de retrouver un poste là-bas et nous nous lançons dans une demande de CCAM.
Après six mois d’attente, nous recevons le précieux sésame. Nous nous marions mi-juillet, un petit mariage, nous, nos 4 témoins, et une soirée au bord de la mangrove. Je suis triste que mes proches ne soient pas là, me marier sans eux n’a pas été une décision facile à prendre, mais je n’ai pas eu l’impression qu’on m’ait laissé le choix. On essaiera de se rattraper avec une petite cérémonie en France.
Notre transcription sera déposée dans la foulée, le 26 juillet 2021, mais tardera à arriver, nous serons informés que les documents sont disponibles le 16 décembre, ce qui met fin à nos projets d’un premier Noël en France.
En mars 2022, nous avons enfin pu nous rendre quelques jours en France, pour qu’Abou rencontre ma famille autrement que par appel vidéo. Aujourd’hui même si le principal est d’être mariés et ensemble, j’appréhende d’avance la prochaine demande de visa court séjour, puis le visa long-séjour pour lequel il faudra encore plus se justifier.
Travaillant en Afrique de l’Ouest, nous avons eu la chance d’être ensemble quasiment tout au long de ces démarches interminables. Ça n’a pas pour autant été plus facile de gérer le silence de l’administration, l’impossibilité de se projeter et de voir ma famille. Nous avons toujours été bien entourés, que ce soit par nos familles et nos amis, même si parfois ils ne comprenaient pas pourquoi on ne pouvait pas voyager, ni pourquoi tout était si long. Et heureusement, car moralement c’est pesant de savoir, que parce que nous nous aimons au-delà de notre nationalité, de notre culture et de notre religion, il y aura toujours des questions.
* CCAM : Certificat de capacité à mariage
** Exceptionnellement, avec la crise sanitaire, il aurait pu commencer sa mission après ses 26 ans, mais pour cela, il devait signer son contrat, ce qui était impossible sans pouvoir venir en France, nous a-t-on expliqué.
En août 2019, Lisa a rejoint un groupe Whatsapp de couples franco-sénégalais afin d’avoir un échange d’expériences autour du laissez passer, puis sur les difficultés des démarches auprès du consulat. En juin 2021, elle a rejoint un second groupe formé sur le forum expat.com pour chercher des réponses spécifiques au déroulement du mariage dans une mairie sénégalaise. Abou n’a pas rejoint ces groupes parce que le couple a essuyé quelques remarques déplacées de certains de leurs membres, et parce que c’était un peu « trop » pour lui. Mais, ensemble, le couple a rencontré plusieurs couples binationaux et a noué des amitiés durables.
C’est par un de ces couples qu’une prise de contact avec les Amoureux au ban public a été rendue possible, et que Lisa et Abou ont accepté de témoigner. Merci à eux deux !
En bonus, l'extrait d'un témoignage vidéo d'Abou et Lisa
La difficile reconnaissance d’un mariage franco-sénégalais, un entretien de Fatma Mabcké, journaliste, et Rayane Benjelloun, montage ; vidéo de Brut, 2/10/2022
“Au Sénégal, le mariage mixte, beaucoup de mairies ne l’ont jamais fait”
Lisa et Aboubakry sont un jeune couple franco-sénégalais. En 2021, ils décident de se marier, et veulent faire reconnaître leur union dans leurs pays respectifs, et notamment en France. “Quand on est français et qu’on veut se marier à l’étranger, il faut passer par ce qu’on appelle le CCAM, le certificat de capacité à mariage qu’il faut demander auprès du consulat de France pour avoir le droit de se marier à l’étranger”, explique Lisa. Mais la création de leur dossier s’annonce plus compliquée que prévu. “On a ensuite attendu six mois à peu près pour avoir notre certificat de capacité à mariage. On a été chanceux à l’époque parce que je vivais au Sénégal”, ajoute la jeune française.
Au Sénégal, les mariages mixtes ne sont pas courants, de quoi compliquer la transcription de leur dossier au niveau du consulat. “Le mariage mixte, beaucoup de mairies ne l’ont jamais fait. Et si la mairie ne l’a jamais fait et qu’elle écrit certaines choses, l’ambassade va rejeter la transcription de mariage, pour reconnaître le mariage. (…) La mairie nous dit qu’on est mariés devant le maire alors que la signature est faite par le secrétaire du maire ou l’adjoint au maire. Et si on amène le papier à l'ambassade, ils rejettent parce que selon eux c’est au maire d’apposer sa signature, pas une autre personne. C’est à cause de ça que notre dossier a tardé à sortir”, raconte Aboubakry. “On a quand même passé onze mois entre le dépôt du CCAM et l’obtention de notre transcription. Ce qui a été le plus difficile à gérer, c'était la patience vis-à-vis du consulat. Parce qu’on avait très peu de retour à nos mails, très peu de communication”, conclut Lisa. Ils se sont mariés en jeans et à petit prix !