Alors évidemment, on attendrait de réelles mesures permettant de participer à la fin du patriarcat, mais puisque le féminisme n'est visiblement pas la "grande cause du quinquennat", nous allons nous concentrer sur quelques avancées envisageables cette année.
Tout d'abord, la constitutionnalisation du droit à l’avortement a été un sujet majeur l’année dernière. Si la proposition de loi a pu être discutée, elle n’a toutefois pas encore abouti, malgré le contexte inquiétant. En effet, cette année, la pénurie des pilules abortives, l'émergence des politiques natalistes dans le débat politique, les menaces à l'égard des plannings familiaux et l'inégal accès à l'avortement devraient interpeler sur l'importance de l'intégration du droit à l'avortement dans la Constitution.
Cependant, comme je l’ai rappelé dans un précédent papier, la lecture du Sénat n'est pas satisfaisante et pourrait même être dangereuse pour ce droit. Il apparaît dès lors souhaitable que l'Assemblée nationale réimpose sa lecture du texte, et ce, rapidement.
Le congé menstruel ensuite, instauré définitivement en Espagne et défini comme une avancée féministe, a fait l’objet d’une proposition de loi, dans la continuité de plusieurs congés menstruels testés au sein d’entreprises françaises et de collectivités.
Toutefois, la proposition de loi pourrait être plus inclusive. Parmi les réserves que j’ai pu soulever
- La seule alternative proposée est le télétravail ; cette alternative ne concernerait dès lors que les métiers bureaucratiques, excluant les métiers manuels, et particulièrement les métiers précaires.
Il faudrait ainsi aller un peu plus loin en prévoyant une adaptation de postes / horaires / conditions de travail sur place - par exemple la possibilité de s'asseoir -, en sollicitant les entreprises sur les possibilités qui pourraient être envisagées. - Il n’y a pas de mesures prévues pour éviter d’outer les hommes trans qui voudraient utiliser ce congé.
- Une formation pour les professionnel-les de santé pourrait être intégrée dans cette proposition de loi. Il y a encore une banalisation de la douleur. Puisqu'il leur revient de fournir le certificat médical pour ouvrir ce droit à congé, la politique de non-discrimination devrait commencer dès cette étape.
- Prévenir des discriminations est selon moi insuffisant. Le cadre juridique est déjà complet en la matière mais la pratique n’évolue pas forcément. S’il n’y a pas d’obligations contraignantes pour les entreprises, les personnes menstruées n’oseront pas prendre ce congé de peur d’être discriminées.
- Mais surtout, comment sécuriser suffisamment ce congé pour que les personnes - notamment en CDD et en interim - osent l’utiliser ? Seulement 0,9% des personnes menstruées au Japon utilisent ce congé. Ce faible nombre reflète certainement l'appréhension d’être discriminées, particulièrement dans l'évolution de carrière. Les personnes précaires n’oseront dès lors jamais utiliser ce droit s’il n’y a pas des dispositions plus fortes inscrites dans la loi et dans les accords de branche.
- La simple mesure d’ « intégration de la santé menstruelle et gynécologique dans les objets de la négociation collective » est insuffisante, puisqu’elle reste essentiellement informative et ne considère pas assez l’application concrète de ce congé dans le monde du travail.
Enfin, les féminicides n’ont pas baissé depuis des années. Les féminicides, qui pour rappel sont des femmes tuées, des orphelins endeuillés, sont à peu près entre 100 et 150 par an. En dépit de plaintes peu prises au sérieux et quelques ordonnances de protection, les féminicides sont la triste conséquence d’un défaut de prise en charge. La hausse de 5% des tentatives de féminicides au sein du couple en 2020 reflète l’insuffisance du cadre juridique et du système judiciaire.
Une proposition de loi renforçant l’octroi de l’ordonnance de protection, expose deux principales mesures : la première étant d’assouplir les conditions d’octroi, la deuxième étant d’allonger la protection de 6 à 12 mois. Si cette proposition semble être une avancée, elle devra toutefois être complétée par la formation du corps de police capable de croire les victimes et de les protéger, en plus d'un suivi régulier et du renforcement des subventions des associations qui prennent en charge majoritairement - en dépit d’un relai étatique - l’hébergement des femmes battues.
De plus, une proposition de loi visant à créer une juridiction spécialisée aux violences intra familiales a été déposée l’année dernière, et pourrait être adoptée cette année. Cette juridiction devra notamment être capable de traiter les urgences, particulièrement les violences conjugales, déjà expérimentées aujourd’hui dans certains tribunaux. Cette loi pourrait être une réelle avancée parce qu’elle permettrait de suspendre l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement, notamment en cas d’agression sexuelle commis sur un enfant. Il semblerait toutefois que certains amendements de la NUPES aient été rejetés, notamment ceux prévoyant une formation renforcée des juges traitant de ces violences, alors qu’elle semble fondamentale pour l’efficacité des décisions.
Un dernier point est le maintien de la Ciivise. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants dont le mandat était de deux ans et expire en novembre, est menacée de ne pas être renouvelée. Pourtant, la Ciivise a permis de visibiliser les violences systémiques qui concernent 5,5 millions de français. Le maintien de cette commission est ainsi nécessaire, tant pour son rôle dans le recueil des 27 000 témoignages, que la sensibilisation auprès du public. L’ampleur des violences sexistes et sexuelles au près des enfants, dont le coût des estimé à 9,5 mds €, accentue la nécessité d’une commission capable d’éclairer et de participer à la réduction de ces violences systémiques.