Les événements effroyables de vendredi soir nous laissent en ce lundi avec un goût de sang dans la bouche. Nous sommes dans un espace indéfini, entre le cauchemar et l'espoir de s'en réveiller. Les choses démarrent difficilement. Nous sommes tous dans l'expectative de que sera la suite. J'ai peur que la suite ne soit pas celle dont on rêverait.
Un tas de questions sont sur les lèvres. Je n'ai pas de bonnes réponses ou de réponses toutes faites, toutefois il me semble important de parler de certaines choses et de présenter un angle de vue différent. La colère a beaucoup fait parler depuis vendredi soir or la colère n'est pas bonne conseillère. Ces attentats, à la différence de ceux de janvier, n'ont pas respecté un délai de décence. Les avis ont commencé à pleuvoir très tôt comme si les morts étaient finalement passés au second degré, comme si on s'y habituait. J'ai déjà parlé de l'humanité et de son importance dans mon post précédent. Je souhaite y revenir car pour moi la décence est une des parties constituant l'humanité. Les politiques sont venus exposer leur théorie et leur vision des choses. Les débats pour ou contre se sont vite organisés. Le pour ou contre étant à géométrie variable sur diverses questions mais à aucun moment l'accent n'a été mis sur la fraternité ou trop peu. Les sujets qu'on aurait dû aborder ne l'ont pas été. Cette fois-ci beaucoup de musulmans se sont désolidarisés mais plus personne n'en avait rien à faire, plus personne n'a écouté. L'état d'urgence a été décrété de suite. Il ne faut pas oublier que la Tunisie a mis neuf jours avant de déclencher l'état d'urgence après les attentats de Sousse. Le temps de réflexion était là. En France cela n'a pas été le cas.
On parle vite, on parle beaucoup, on parle à chaud mais on parle à vide. Des fois apprendre à se taire est un acte citoyen et démocratique, au même titre que le vote blanc. Des fois la politique doit juste s'effacer pour l'humain car la politique qui prend le devant de la scène en ces moments démontre exactement ce qu'elle veut contredire. La politique ce n'est pas la colère, la colère du système, la colère du parti adverse, la colère contre l'autre ou toute autre colère. La politique doit être la raison. La politique doit se faire la tête froide. Le deuil et les pleurs sont nécessaire pour justement effacer cette colère immédiate. Cette colère là est instrumentalisée et instrumentalisable. La peur est un enjeu manipulatoire et de contrôle. En enlevant la période de deuil minimum on ôte le consentement.
Cette colère a fait écrire beaucoup de choses en peu de temps. Il y a un point qui m'a marqué plus qu'un autre c'est de comparer à l'échelle mondiale nos morts. Pour moi nous sommes tous frères et sœurs d'humanité, quelles que soient nos croyances ou pas, quelle que soit notre zone géographique. Toutefois ces messages comparant et hiérarchisant les morts sont contre-productifs et odieux au possible. Bien entendu que les morts au Liban ont la même valeur que les morts à Paris mais est-il nécessaire à chaud, dans l'émotion et la douleur, de faire un tel comparatif ?
Cela ne rendra pas les morts plus vivants et le risque est que cela crée un rejet car cela signifie clairement : Tu vois ce qui t’arrive ça arrive tout le temps et pas qu'à toi. En gros on culpabilise celui qui est dans la souffrance comme si ce dernier peut-être n'avait pas soutenu ces autres morts, comme si ce dernier n'en n'était pas conscient comme si ce dernier souffrait dans un égoïsme profond, comme si ce dernier voulait jeter dehors les réfugiés. Les attentats ont été commis par une jeunesse qui en a tué une autre. Et cette jeunesse qui est morte sous les balles d'une autre jeunesse perdue était une jeunesse ouverte vers le monde, vers l'autre, une jeunesse qui est notre espoir, notre avenir. C'est cette même jeunesse qui s'interroge, qui construit la suite malgré une société en délabrement qu'ils ont en héritage. Sommes-nous devenus fous ? Fous au point de culpabiliser nos morts et les mettre en compétition dans la mondialisation de l'horreur ? Les enfants de Gaza nous on donné une belle leçon de vie en posant avec des panneaux de soutien à la France. C'est cette image là que que moi je veux retenir. La Fraternité est sans frontières et cette fraternité ne nous empêche ni de pleurer nos morts ni de pleurer les autres morts qui sont aussi les nôtres.
Et puis il y a cette jeunesse perdue, celle qui tue. Comment un jeune de 20 ans en arrive là ? Il est facile de juste pointer du doigt la religion. François Hollande propose la déchéance de nationalité. Or cela n'empêchera jamais des jeunes de se radicaliser. On aura beau fermer toutes les frontières et faire des déchéances de nationalités à tire-larigot. Le message qu'on donne donc à ces jeunes c'est que la France renvoie la balle en les renvoyant ailleurs. On abandonne donc cette jeunesse. On lui démontre qu'elle n'est que "adoptée" et donc répudiable. Ce cercle infernal ne fera qu'accroître la radicalisation. Depuis janvier a-t-on eu des rapports d'experts, de sociologues, de psychologues afin de combattre la radicalisation ? Je n'en ai pas eu vent ! On a eu par contre des débats improductifs qui ont tué le vivre-ensemble. On s'en est pris aux repas de substitutions, on a réintroduit la notion de "race", on a généré et entretenu la haine. On a mis en place des lois liberticides qui ne s'adressent pas qu'aux "terroristes" mais à l'ensemble des citoyens.
Avons nous tendu nos mains aux femmes voilées, a-t-on mis des éducateurs dans les banlieues, a-t-on essayé de casser les ghettos ? Non ! A-t-on augmenté les budgets de la culture et de l'éducation ? Non !
Comment un gosse de 20 ans peut-il se faire sauter et en tuer d'autres ! Comment ? C'est à cette question qu'on doit répondre pour pouvoir avancer.
Nous avons donc une jeunesse assassinée par une autre. Notre pays se détruit de l'intérieur et nous ne combattons que la cause extérieure. Pourtant tout cela se passe dans nos frontières.
Tout ceci n'exclut pas bien entendu une situation mondiale calamiteuse. Les zones de guerre sont nombreuses. Pour la première fois à l'échelle nationale nous en avons plus conscience que jamais. L'annonce du président Hollande a mis des mots forts : nous sommes en guerre contre le terrorisme. Ceci n'est pas une notion claire, le terrorisme n'étant pas un État. La déclaration de guerre est régie par un tas de lois et conventions internationales. Là nous sommes dans le flou le plus total. On est en droit de s'interroger sur la suite. Qu'est ce qui nous attend ? Suite à ça j'ai vu fleurir un tas de choses sur cette notion de guerre disant que nous y sommes déjà depuis longtemps, depuis 2001, etc...
Alors là aussi il me semble important de remettre les choses au clair.
La France effectivement a plusieurs opérations militaires en cours à travers le monde, cela est une réalité et on ne peut pas la nier. Ceci n'est pas une nouveauté mais comme on dit : loin des yeux loin du cœur. Toutefois une véritable guerre, comme celle qui peut nous attendre si déclaration il y a contre un quelconque état, nous entrainerait dans un univers loin de celui qu'on connaît. La guerre reste chez nous pour l'instant une image et non pas un quotidien. Et dans le respect de ce quotidien vécu par des millions de personnes il faut nuancer les choses . Du fait que nous sommes dans l'image, la population a du mal à comprendre ce que vivent les autres. A force de crier au loup et de banaliser en quelque sorte la guerre, nous n'y croyons plus et nous ne nous mobilisons plus. Pour beaucoup nous y sommes donc déjà, alors même que le pire n'est pas là. Comprendre ce qu'on peut vivre et l'admettre n'est pas un parcours simple. C'est ce qui rend si difficile de la combattre. Encore une fois ce n'est pas avec la colère, à chaud, que les choses bougeront. Les gens ont peur. Ils ont plus peur du terrorisme qu'ils confondent avec la guerre que de la guerre elle-même. Ils ont une image idéalisée de la guerre : la France partant combattre le mal. On revient au même point : le terrorisme a un visage sur le territoire, la guerre non. Le président Hollande vient d'annoncer au Congrès aujourd'hui les prémices de quelque chose que cette fois ci on pourra réellement qualifier de guerre. On parle de mobiliser les réservistes pour créer une garde nationale ce qui sous-entend qu'on enverra nos soldats en Syrie. Le prochain pas, la conscription obligatoire pour liquider nos chômeurs ? Le pas est franchi pour s'enfoncer comme les USA après le 11 septembre dans une guerre qui enverra nos jeunes vers la mort et qui ne réglera rien. On fermera les frontières et on arrivera à un désastre humain et économique. Nos libertés seront réduites en peau de chagrin. L'Histoire ne nous a rien appris. Donc oui bientôt nous pourrons dire que nous sommes en guerre si personne ne refuse le chemin que nous sommes en train de prendre. Et que deviendra cette troisième jeunesse ? Qui prendra en charge les dégâts occasionnés sur elle ? Avons-nous le droit de l'envoyer au carnage ?
Le citoyen français est au courant que la guerre frappe partout à travers le monde. L'état de guerre à travers différentes zones de la planète est dû à plusieurs facteurs. On pointe la vente d'armes par la France. Ceci est une réalité incontestable mais il est difficile de dénoncer la vente d'armes car elle touche un autre point sensible : la peur du lendemain. C'est ce point là qui blesse et qui est tabou. Des dizaines de milliers de personnes travaillent en France, pour certaines sans le savoir, dans la fabrication de ces armes. J'en connais moi-même. Et la guerre n'ayant pas de visage ici mais le chômage oui on se retrouve dans une impasse...
Alors fondamentalement pour combattre la vente d'arme on doit combattre leur fabrication.
Donc nous sommes face à un questionnement profond sur le fonctionnement de notre société, sa viabilité économique et notre rôle en tant que nation. Et la question n'est pas simple. Nous sommes donc face à un serpent qui se mord la queue, nous fabriquons des armes qui donnent de l'emploi. Il n'y a plus d'emplois, de moins en moins, mais de plus en plus d'armes et de guerres. L'économie se boucle toute seule.
Il est donc temps si on veut dénoncer cela de mettre en exergue les entreprises fabriquant les composants de ces dites armes et d'avoir une réflexion sociale. Comment faire ? L'enjeu national dépend de tous pas seulement d'un gouvernement. Seule la concertation commune et citoyenne pourra sur la durée apporter une réponse. Il faut donc aussi pour combattre la vente d'armes combattre la peur du lendemain. Le terrain de paix va de pair avec la sécurité économique du peuple. Alors il ne sert à rien de dénoncer seule la vente d'armes sans travailler sur le problème de fond social. L'éducation, la création d'un avenir pour la jeunesse, la culture sont autant de points à privilégier pour pouvoir sortir de ce cercle vicieux. Et c'est là encore une fois qu'on peut pointer un manque de volonté politique en la matière.
Or le contexte économique fait que la peur de l'autre est exacerbée. La boucle est bouclée. On a peur du terrorisme donc on accepte des lois d'urgence qui empêche les rassemblements, on passe le facteur social au second plan, on accentue la paupérisation, on génère la peur du lendemain, on fabrique encore plus d'armes, on vend des armes et on déclare la guerre.
Travailler sur l'économie, sur l'armement, sur l'avenir d'un pays c'est aussi se rendre compte que notre responsabilité est engagée en permanence , pour l'achat d'un vêtement fait au Bangladesh, quand nous faisons un plein d'essence, quand nous achetons la moindre chose. Bien entendu nous le savons mais nous faisons avec. Nous savons mais nous ne savons pas quoi faire pour stopper le mécanisme. Nous nous enfonçons dans une espèce de commodité, nous préférons détourner les yeux. C'est humain. On peut le comprendre. Mais cette posture nous devrons bientôt la quitter car nous n'aurons pas d'autre choix. Il est temps de ne plus baisser les yeux, il est temps de réfléchir, il est temps de se concerter, il est temps de savoir ce qu'on veut donner comme futur à notre jeunesse et à notre pays.
Peur de l'autre mais aussi culpabilisation de l'autre, hyper responsabilisation des politiques et déresponsabilisation citoyenne. Ce sont autant d'éléments qui aujourd'hui gangrènent la société. Alors que faire ? Déjà se poser les questions qui fâchent et arrêter d'être des victimes passives. C'est le premier chemin vers la liberté. Et pour accéder à cette liberté il faut admettre nos différences. L'humanité n'est pas une. L'humanité est plurielle, différente, riche et variée. On revient toujours vers la même chose. La fraternité est le ciment qui lie les différences entre elles. Les politiques sont majoritairement responsables des peurs générés mais ils n'arrivent pas seuls au pouvoir. Ce sont nos votes qui les placent là où ils sont. A nous de reprendre une véritable responsabilité, de demander des comptes clairs et précis des actions menées, à nous de favoriser le dialogue citoyen à l'échelle communale, départementale, régionale, nationale, à s'immuniser de la peur de ceux qui sont différents de nous, à réagir à la peur du lendemain. Beaucoup de personnes le font déjà et elles doivent le continuer mais c'est insuffisant. Nous devons avoir un vrai sursaut. Nous devons refuser fermement la guerre qui se profile de plus en plus, nous devons surtout arrêter de militer derrière un clavier, de passer outre nos divergences politiques et de nous faire entendre en tant que citoyen, électeur et français. Le but est de s'ouvrir à tout un chacun, quel que que soit son parti politique, sa religion ou toute autre différence. Il est temps d'enterrer les guerres intestines où chacun y va de son idéologie. Il est temps de travailler sur une citoyenneté vraie, dans l'espoir qu'elle devienne un jour mondiale et non pas que nationale. Il n'y a que cette dernière solution, aussi utopique soit-elle aujourd'hui, qui fera disparaître toute notion de conflit. L'humanité ça s'apprend et ça se construit tous les jours. Que ces horribles attentats soit un pas vers plus de liberté et de fraternité, c'est la seule voie possible. Il ne faut pas céder aux sirènes de la peur qui nous mèneront à coup sur vers un avenir fait d'horreurs. Nous devons donner un message fort d'unité et de rejet de la Guerre, et ne pas nous contenter d'exprimer des vagues pensées sur les réseaux sociaux. Nous n'avons pas besoin de guerre pour faire d'excellents français.