Je viens aujourd'hui avec un billet un peu imprévu qui se glisse dans mon agenda d'écriture mais qui finalement y trouve toute sa place car c'est un interlude indispensable pour expliquer par la suite l'évolution de l'extrême droite et de son nouveau public. L'actualité de ces derniers jours m'a fait un pont estival parfait pour cela. Je vous préviens d'entrée de jeu que j'ai décidé d'aborder cela sous le ton de l'humour. Nous allons donc parler de Twitter ou plus précisément de ce que fut Twitter, de son héritage et de son influence médiatique, de son évolution. Nous détestons tous ce réseau pourtant il mène rondement le jeu depuis plusieurs années déjà. Et comme toutes choses qu'on déteste, aussi bizarre que cela puisse paraître, on se laisse attirer par son côté sombre en mode Axel Bauer dans Éteins la lumière. Let's go. C'est parti pour une immersion drôlatique dans les noirceur de l'âme (mais pas que).
" Éclaire-moi
Éteins la lumière
Montre-moi ton côté sombre
Regarde les ombres
Qui errent
Cherche un peu de lumière
Tout s'éclaire "

Agrandissement : Illustration 1

Comme tout le monde le sait, ou presque tout le monde, Twitter c'est fini. Une grosse croix barre le petit oiseau pimpant. RIP, notre ami depuis des longues années mais finalement cette mutation se situe dans une logique. Car du petit oiseau, il ne restait plus grand-chose depuis belle lurette. Rappelez-vous l'histoire de la jeune fille qui crachait des perles et de celle qui crachait des crapauds, dans les Fées de Perrault. « Puisque vous êtes si peu obligeante, je vous donne pour don qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapaud. » La majorité des tweets sont d'immenses crapauds baveux et dans ce flot de verbiage, on retrouve quelques perles et quelques diamants. Ça pose le décor. Le petit oiseau était connu pour vous chier dessus plus que pour ses battements d'ailes gracieux. C'était peut-être ce qui attira le plus Elon qui se dit un beau matin, tiens si je me faisais pour le diner une caille farcie. Ni une ni deux, après plusieurs vrais fausses polémiques, il sortit sa carabine et dégomma l'oiseau à coup de milliards de dollars, ensuite il l'empailla et fit croire qu'il était encore vivant. Depuis dimanche, tout le monde sait que l'oiseau est mort ce qui plonge les twittos bientôt appelés les Xos dans la consternation la plus totale. Mais Twitter ou X, appelez le comme vous le voudrez car dans le fond le problème est le même, n'est rien sans les personnes qui participent au combat dans l'arène. Je vais vous faire dans cette première partie de mon billet un petit récapitulatif de ce qu'on trouve comme pire exemple sur ce réseau, ceux qui crachent des crapauds, histoire de jeter quelques bases sur les odeurs de soufre de l'oiseau bleu.
- Les Narcisse
Agrandissement : Illustration 2
- Les Sportifs de l'extrême
- Les Supporters de club de foot
Agrandissement : Illustration 4
- Les Aliens
Agrandissement : Illustration 5
En dehors de ces caricatures qui malheureusement ne le sont pas autant que ça, il y a des très bons comptes de personnes qui apportent de la poésie, de l'art, de l'intelligence et je tenais à les remercier car ce sont eux qui évitent que le bateau ne sombre. C'est la catégorie qui envoient des perles et des diamants à chaque tweet. Et là, il n'y a pas d'ironie.
Donc Mister Musk est devenu le roi des sujets du royaume de l'oiseau bleu. Je sais qu'à lire ma description de ce réseau, vous vous dites qu'on va bientôt se rapprocher de Salo ou les 120 journées de Sodome de Passolini et vous allez me demander à juste titre ce que je fous dans cette galère à part lutter auprès des quelques gens de bonne volonté qui y subsistent. C'est là qu'on va aborder un aspect essentiel de ce réseau et rappeler quelques fondamentaux de son existence ainsi du pourquoi il perdure.
À la base Twitter c'était le réseau préféré des journalistes. On y apportait une sorte d'infos en temps réel. J'ai d'ailleurs ouvert mon compte en 2012 à l'époque de Khaos ou les visages humains de la crise grecque où je twittais régulièrement du terrain sur l'actu en Grèce. Grâce au système de hashtag on pouvait relayer rapidement des sujets d'actualité ce que ne permettait pas Facebook qui était plutôt, et qui l'est toujours, un réseau gentillet et familial. C'est donc cette réactivité auprès d'inconnus et non pas du cercle familial qui a forgé tout le succès de Twitter. C'est là où les gens ont commencé à se rendre compte qu'au lieu de radoter dans le club de bridge de Mark Zuckerberg, leur parole pouvait voyager un peu plus loin que chez Tonton Gérard ou Mamie Ginette. Ils ont donc commencer à pépier en mode worldwide. Et comme toute personne qui découvre la liberté et les grands espaces, les twittos ont commencé à y foutre n'importe quoi. C'est là qu'est intervenue une modération, pour clôturer un peu les grandes plaines, histoire que ça ne déborde pas de partout. Cette modération a sauté avec l'arrivée d'Elon et un tas de comptes ont été débloqués. C'est devenu le Far-West version western spaghetti et c'est la raison pour laquelle aujourd'hui et ce en quelques mois on qualifie le réseau d'extrême-droite. C'est une réalité qui ne peut être niée. Ces comptes ont sauté sur l'occasion de s'acheter une pseudo honorabilité en payant l'oiseau certifié ce qui leur a permis ainsi de tartiner plus de merde avec plus de caractères et de la rendre encore plus visible. Du coup ça sent mauvais. Dans le domaine de la télé, on appelle ces gens des bons clients. Ils sont parfaits car ils génèrent du fric en payant leur certification et ils génèrent du fric en se faisant partager soit par leur fanbase soit pour être critiqué. C'est pour ça que la catégorie Alien fonctionne à plein régime en ce moment.
Comme dit plus haut, Twitter c'est aussi un repère de journalistes. Il y a une dizaine d'années, il nous restait encore quelques journalistes terrain. Aujourd'hui, le gros du métier c'est de faire du desk, donc de ne pas décoller de son siège et d'écrire des trucs de société. Notez que je suis en train de faire exactement cela en ce moment même. Et où donc pécher de l'information sans bouger ses fesses ? Sur Twitter pardi ! Le meilleur endroit du monde depuis que le café du commerce a été déserté au profit du pinard dans son jardin et de Twitter. Je ne calcule plus le nombre d'articles ou de reportages qui citent des tweets. Vous avez même des captures d'écran de ces tweets pour illustrer les propos du journaliste desk. Chacun peut ainsi avoir son heure de gloire et se retrouver dans Libé. D'épiphénomène c'est devenu une vraie ligne directrice de la pensée. Chaque lanceur de javelot pense maintenant pouvoir changer le cours du monde et le cours de la politique. Et malheureusement, il y a une partie de vrai. La preuve, des nombreux sondages qui pullulent et qui permettent de prendre le pouls des tendances. Là aussi, on se retrouve avec le serpent qui se mord la queue pour ne pas changer. Le gouvernement commence à parler du contrôle des RS mais la vérité c'est qu'ils ont non seulement dix trains de retard mais que le phénomène n'est pas vraiment contrôlable à moins de tomber dans un système de censure qui reviendra en boomerang au moment des élections. Le net c'est worldwide, pas juste des frontières nationales (notez bien cela car j'y reviendrai justement pour l'extrême droite). La parole des gens s'est libérée ce qui a pour effet d'avoir ouvert une boite de Pandore. On se raccroche à l'espérance comme on peut mais les horreurs ne veulent pas retourner de là où elles viennent.
Et ça n'ira pas mieux car à tout cela s'ajoute l'IA et la fabrication d'éléments photos et vidéos plus vrais que nature. Aujourd'hui on peut faire croire n'importe quoi à un public qui prend pour argent comptant ce qu'il voit. Ça fait bientôt quinze ans que je me tue à dire qu'il faut une éducation à l'image et à sa compréhension dans un monde de réseaux et du net mais on a loupé le coche, on est déjà à la 25e heure dans l'histoire, l'heure où c'est déjà trop tard. Maintenant on cherche à endiguer ce qui pourtant était largement prévisible si on s'y était pris plus tôt.
C'est donc dans tout ce contexte qu'Elon a effectué son rachat. Il a bloqué le prix des actions pour ne pas avoir de fluctuation pendant qu'il mettait en place sa restructuration. Il faut être un peu naïf, un peu optimiste pour croire qu'il allait acheter un truc tout vieux avec une forte identité et le laisser en état ou qu'il allait le détruire. Elon est tout sauf con. Il a libéré les comptes bloqués, il a appuyé sur les boutons psychologiques qui fonctionnent le mieux, celui du clash, celui de l'adrénaline, celui du voyeurisme, celui du manichéisme, celui de l'égocentrisme et du narcissisme. Il a racheté un condensé d'humanité et tel Age of Empire, il va s'amuser à réorganiser son petit monde. Et aujourd'hui peu de personnes peuvent se passer des réseaux car ces réseaux comblent des vides : solitude, affectif, besoin de reconnaissance, fractures personnelles ou professionnelles, tout le monde y trouve une sorte de béquille qui petit à petit se confond avec le monde réel. Le virtuel est une réalité omniprésente pour un nombre incalculable de personnes. À qui parler quand on est insomniaque ? À qui parler quand on est seul ? Twitter répond à cette demande car on peut être sous pseudonymes et se confier à des inconnus, c'est toujours moins difficile que d'aborder quelqu'un dans la vraie vie. Bien entendu, tout cela n'est qu'illusion à quelque rare exception près.
Donc depuis dimanche tout ce petit univers va changer de nom. Le petit oiseau bleu va disparaître au profit d'un X géant sur fond noir. La force obscure est là. Et ce logo c'est la partie visible de l'iceberg sur laquelle tout le monde réagit. Voilà ce que tweete Linda Yaccarino, PDG de Twitter :

Agrandissement : Illustration 6

Traduit en français ça donne cela :
« X est l'état futur de l'interactivité illimitée - centrée sur l'audio, la vidéo, la messagerie, les paiements/banques - créant un marché mondial pour les idées, les biens, les services et les opportunités. Propulsé par l'IA, X nous connectera tous d'une manière que nous commençons à peine à imaginer. »
Voilà c'est dit. Ce n'est pas caché et ce n'est pas un complot. L'évidence est que depuis un peu plus d'une décennie, les réseaux sociaux ont grignoté l'espace réel de nos vies. La crise sanitaire n'a fait qu'accélérer ce processus, les gens se retrouvant plus isolés. Aujourd'hui, nous faisons de plus en plus de choses via Internet. Cela a fait ressortir certainement des belles choses mais aussi et surtout les pires instincts animaux que nous sommes tous susceptibles d'avoir en nous. Personne n'y échappe y compris moi.
Pendant ce temps-là Méta évolue de son côté pour son public plus tranquille mais veut se positionner sur ce marché, qui je le dis et j'insiste est aussi et surtout un marché politique et économique via son application Threads.
Un tweet, un thread, un X, appelez le comme vous voulez, c'est un acte rapide, instantané, court, impulsif. Et c'est ça qui marche, c'est ça qui rend accro, c'est ça qui fait perdre la notion de l'espace public, de la décence, de la réflexion, des limites sociales. Vite, nous devons interagir, vite, nous devons donner notre avis, vite, encore plus vite, partout, dans le métro, dans la cuisine au travail ou au pieu, en buvant, en mangeant, en chiant ou en baisant.
Il y a bien une alternative à cela qui s'appelle Mastodon, où je suis également et qui ressemble à un havre de paix, à un paradis en comparaison. Mais le problème de Mastodon c'est bien sa perfection. C'est un peu comme se retirer dans un endroit idyllique loin de la violence du monde. Pour le coup, on n'a pas ce sentiment que procure Twitter, celui de participer au monde. Même si ceci est une illusion, c'est pourtant cela qui fait que ça marche mieux que Mastodon. On a tous besoin de vacances mais quand elles durent trop longtemps, on s'impatiente pour retourner de nouveau au travail. Et ça Elon l'a très bien compris et il ne se fait pas d'inquiétudes. Il sait qu'il peut rendre le réseau en intégralité payant et qu'il n'aura aucune réelle résistance derrière car au bout d'un moment tout le monde acceptera de payer à part quelques personnes solidement ancrées dans la réalité et qui n'ont pas envie de participer à cela. Mais la vérité c'est qu'il y en a très peu car la nature humaine reste faible et se nourrit d'une certaine forme de violence.
Personnellement, je garde pour l'instant un pied dans les deux et j'essaie de créer des discussions intéressantes à mon humble niveau sur Mastodon car si personne ne met la main à la pâte c'est certain qu'on ne va pas y arriver. Le but c'est de stimuler l'intérêt mais pas le conflit. Si vous migrez suite à au changement de Twitter, gardez cela en tête et persévérez. Oui, il faut bâtir de zéro mais ce n'est pas forcément un mal ni une utopie. Et puis si Mastodon, grâce à nous tous, commence à s'animer sans prendre le chemin de Twitter nous pouvons dire que nous avons trouvé là l'espérance. Finalement, le produit, le fruit de ces réseaux c'est nous tous.
Les RS sont devenus une obligation, une drogue, une imposition sociale. Ça aussi Musk l'a bien compris et ce n'est pas pour rien qu'il veut tout connecter y compris vos comptes en banques et vos achats. Le meilleur conseil que je peux vous donner pendant cette période estivale c'est de tout couper. Le jour où vous allumerez de nouveau vos écrans et vos RS vous aurez assez de recul pour vous rendre compte de l'emprise et des instincts primaires que cela éveille en nous. Tant qu'on est dedans on ne peut pas être vraiment objectif.
On s'en fout dans le fond que l'oiseau bleu deviennent un gros X. Nous venons juste de clore le premier chapitre de l'ère des RS. Le second commence maintenant. Prenez en conscience et relisez bien les dernières ligne du précédent chapitre, celui que je décris dans ce billet car cela finit mal donc ça ne peut pas vraiment bien commencer.
Nous devons donc au-delà d'un logo, au-delà de blagues autour du X, au-delà du fait de croire qu'Elon serait un simple gosse imbécile qui jouerait avec des Lego, prendre en considération cette nouvelle ère virtuelle qui va commencer certainement à la rentrée. Nous ne sommes pas dans la simple opération de rebranding comme semble le croire la majorité. Nous sommes face à une concentration de plusieurs de nos activités en un seul lieu, le net, et cette concentration, qui va détenir une importante partie de l'économie, va restructurer le paysage virtuel et réel. Yaccarino le dit précisément. Les deux grands groupes actuels sur le marché sont Meta et X. Même Amazon fera bientôt figure de vieux dinosaure has-been. Je ne dis pas que c'est une bonne ou une mauvaise chose. C'est juste une réalité qui découle d'un changement de société. N'y voyez ni complot ni domination des élites. C'est un regroupement économique dans un nouvel écosystème. Je peux prendre l'exemple du cinéma. X annonce pouvoir diffuser des vidéos qui durent des heures. On aura d'ici quelque temps un espace où l'on pourra visionner des films, acheter des fringues, envoyer un message pendant le film et sur le film, tout ça avec un abonnement nous permettant de tout réunir. Les sites comme Vinted ou Mubi pourront certainement être regroupés au sein de Méta ou X qui feront office de grand centre commercial virtuel. On peut facilement l'envisager. Cela aura pour effet une concentration d'absolument toutes les activités économiques de la vraie vie dans le virtuel. Finalement rien d’exceptionnel, on reproduit dans le virtuel ce qu'il y a dans le monde réel, comme par exemple le concept de centre commercial. De surcroit, ce qui sera proposé sera en fonction de la demande. Imaginez que la moitié de la planète décide de s'intéresser aux Aliens, il y aura majoritairement des offres pour ce public au détriment du savoir déjà bafoué allégrement par les Narcisse. Les sportifs de l'extrême seront encouragés dans leur lancer de javelot pendant que les supporters de foot feront monter les hashtag. Êtes-vous Barbie ou Oppenheimer ?
C'est donc la fin de la culture, du savoir, de nombreuses enseignes ainsi que du monde réel dans sa définition telle que nous l'avons connu. Je ne sais pas si je fais ou pas dans le scénario Black Mirror mais tout ceci a une certaine logique d'évolution tant économique qu'humaine.
Pour moi voilà la réflexion que nous devrions avoir devant ce X. Mais comme nous sommes en période d'été, je vais m'arrêter là et je pense que nous aurons malheureusement le temps de débattre là-dessus à la rentrée. Je ne veux pas vous plomber ni le moral ni la journée alors je finirais sur quelque chose d'un peu ringard et old school : les paroles d' Il est libre maX (sic):
"Il met de la magie, mine de rien, dans tout ce qu'il fait
Il a le sourire facile, même pour les imbéciles
Il s'amuse bien, il n'tombe jamais dans les pièges
Il s'laisse pas étourdir par les néons des manèges
Il vit sa vie sans s'occuper des grimaces
Que font autour de lui les poissons dans la nasse
Il est libre Max, il est libre Max
Y'en a même qui disent qu'ils l'ont vu voler"