Inventeur de la critique d’art pugilistique pour lequel la peinture c'est d’abord «marcher, courir, boire, manger, dormir et faire ses besoins… » ; rédacteur unique de la revue anti-littéraire « Maintenant » qu’il vendait dans une charrette de quatre-saisons à la sortie des « salons » ; déserteur, selon André Breton, de cinq ou six pays ; boxeur-conférencier pour épater ses admirateurs et abuser à l’occasion, amateurs du noble art ou vieilles dames fortunées ; ami des peintres et écrivains anarchistes Van Dongen, Félix Fénéon et Laurent tailhade ; neveu d’Oscar Wilde dont il revendiquait le génie ; poète et vendeur de tableaux (plus ou moins faux) à ses heures perdues (il faut bien vivre !), Arthur Cravan, a contribué au tout début du vingtième siècle, à dynamiter durablement la morale bourgeoise de son temps : « …l’art n’est pas une petite pose devant le miroir…/… l’art c’est ta ta ta ta ta… Oh ! chochotte ! ta gueule ! ».
Né le 22 mai 1887 à Lausanne de parents britanniques, Arthur Cravan (Fabian Avenarius Lloyd à l’état civil) quitte très tôt le domicile familial avec la ferme intention de découvrir le monde par ses propres moyens : il voyagea ainsi en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Australie et aux Etats-Unis, pays dans lesquels il exerça les métiers de chauffeur, barman, cueilleur d’oranges, bucheron, cheminot et même charmeur de serpents déguisé en Indien. Entre toutes ces activités, il trouva également à s’engager comme matelot sur un bateau à destination du Japon pour étudier le Jiu-jitsu et à se faire ici ou là rat d’hôtel pour ne pas mourir de faim.
C’est en 1909 qu’il vient s’installer à Paris, alors capitale des arts et des lettres, avec le projet de créer une revue littéraire. Formé à la boxe il devient rapidement champion de France amateur sans combattre, suite au forfait de son adversaire. Dandy volontiers cynique (au sens de Diogène), il se fait souvent remarquer dans les cafés littéraires et salons artistiques où il aime exhiber son physique d’athlète et jouer de la provocation : « Qu’il vienne celui qui se dit semblable à moi que je lui crache à la gueule ». La déclaration de la guerre mettra un terme à ses outrances parisiennes et à la publication de son éphémère revue : hostile à toute forme d’enrégimentement et de patriotisme, le temps de fuir était en effet venu.
Réfugié d’abord à Barcelone avec l’intention de rejoindre les Etats Unis, Cravan finance son voyage outre-Atlantique en organisant dans le port espagnol un combat contre le champion du monde de boxe noir américain Jack Johnson : il résista trois rounds. A New-York il retrouve quelques amis français et fréquente assidûment les milieux fortunés et bohèmes de l’avant-garde intellectuelle. Pour l’aider à survivre, ses amis Marcel Duchamp et Francis Picabia l’invitent à tenir une conférence en avril 1917 sur « l’esprit moderne ». Arrivé ivre à la tribune, il vocifère et entreprend de se déshabiller devant l’assistance huppée venue l’écouter : sous les cris effrayés du public la conférence sera prématurément interrompue par les autorités.
Ayant entretemps rencontré la poétesse Mina Loy qui deviendra son épouse, il doit cependant bientôt la quitter (et avec elle sa maitresse, la journaliste Sophie Treadwell) pour fuir la mobilisation qui menace : l’entrée en guerre des Etats-Unis l’oblige en effet à s’échapper de nouveau. Après un bref passage au Canada il se réfugie au Mexique où sa compagne vient enfin le rejoindre. Isolés de leurs amis, leurs conditions d’existence se révèlent particulièrement précaires. Fin 1918 Cravan tente alors de se rendre en Argentine à la recherche d’un pays d’accueil qu’il suppose être meilleur. Selon divers témoignages, il monte à bord d’une « frêle embarcation » et s’élance vers le large.
Malgré les recherches menées par Mina Loy pour retrouver sa trace, sa disparition demeure à ce jour mystérieuse.
« Je ne voulais pas mourir par vanité…/… Il ne me reste qu’à vendre mon squelette à un naturaliste ou mon âme à un psychologue ».