Dans une première partie du film à l'esthétique de clip de rap (montage très cut) on découvre une succession de personnages aux visages sinistres (pas même l'esquisse d'un sourire) qui marchent et se croisent d'un pas résolu et déterminé au son d'une musique techno (pour que le doute sur leur résolution ne soit pas permis), indifférents au monde qui les entourent. On finit par comprendre que ces jeunes gens à la sociologie fantasmée (la petite bourgeoisie intellectuelle qui a enfin rencontré le prolétariat basané de banlieue) préparent des attentats: quelques phrases ressuçées de Guy Debord dans une arrière salle de café pour donner un peu de fond théorique et une pincée d'Action Directe (l'élimination physique d'un quelconque patron aussi interchangeable que ses congénères) en guise de pratique de la théorie. On voit le niveau de confusionnisme de la culture politique de l'auteur du film. On comprend alors que la révolution (ou l'insurrection puisqu'il est de bon ton aujourd'hui de confondre les deux) pour Bonello et ses admirateurs de Télérama consiste à faire sauter quelques bonbinettes dans des lieux symboliques du pouvoir, faire brûler la statue de Jeanne d'Arc et liquider quelques patrons: on mesure alors toute l'originalité du "geste" politique mis en scène! Comme tout bon journaliste qui se respecte, Bonello voit dans cette violence qui le fascine à l'évidence la marque de ce qu'il appelle LA "radicalité". (Là, la petite bourgeoisie intellectuelle pour laquelle ce film a été réalisé n'en revient pas d'une telle justesse de l'analyse: "ça devait arriver !" reprend-t-elle en coeur avec son scénariste qui a tenu à insérer au milieu du film une séquence justificatrice).
Le discours et le suspense en moins (et donc l'ennui en plus car on se fait rapidement chier dans ce film cousu de fil blanc), on se croirait dans un mauvais thriller gauchiste des années 70. Et on s'ennuie d'autant plus qu'aucun des personnages qui nous sont proposés ne sont cinématographiquement traités comme tels: aucune psychologie, juste des incônes désincarnées pour vendre l'image de la révolte spectaculaire telle que la conçoit son réalisateur.
L'esthétique de la seconde partie qui se passe dans un grand magasin relève alors plus de la pub ou du défilé de mode: les situations, les lumières et les musiques sont en effet beaucoup plus glamour et pour tout dire franchement ridicules. (Et là je n'évoque même pas l'irréalisme de la situation qui consiste, après un attentat, à se planquer dans un grand magasin: le réalisateur invoque sa liberté d'imagination. Soit, mais on en mesure quand même là toute la pauvreté). Cette fois ce sont les personnages qui commencent à s'emmerder ensemble sur l'écran (nous on ne peut faire que continuer avec eux) et pour passer le temps ils s'amusent avec divers objets disponibles en magasin et essaient quelques accessoires vestimentaires de luxe à leur disposition. Là il faut comprendre au choix, que le monde de la marchandise les rattrappe (il n'y a pas d'issue hors l'économie marchande), ou qu'ils s'adonnent en toute innocence à la critique de la société de consommation (dans un grand magasin, on mesurera encore une fois la force et l'originalité du symbole !).Mais peut-être s'agit-il des deux à la fois car vis à vis de la "complexité" des personnages à laquelle se réfère le réalisateur, celui-ci préfère ne pas trop en dire. (On le comprend, le spectateur le mieux intentionné risquerait de s'y perdre ou plus gravement encore d'être déçu).
Pour finir enfin en beauté, tout ce petit monde qui commencent à se demander sérieusement ce qu'il fout là (les spectateurs aussi), finit par se faire zigouiller un à un par les flics: oh les méchants flics ! (là il faut comprendre une critique appuyée de la répression policière: Bonello vient de découvrir la violence de l'Etat. On imagine qu'il va se procurer dare-dare Maintenant, le dernier opuscule à paraître du comité invisible). Ouf on respire, le film est enfin fini...
Ce qui est inquiétant à la vue d'un aussi affligeant spectacle ce n'est pas tant le niveau de niaiserie qui le caractérise (ce n'est pas le premier navet prétencieux dont le formalisme se prétend original), mais plutôt l'accueil dythirambique qui lui a été réservé par une bonne partie de la critique. Ce film qui prétend traiter du nihilisme de la jeunesse nous conforte ainsi dans le fait que c'est finalement la représentation dominante de la révolte qui est elle-même nihiliste, ainsi que tous ceux, critiques ou spectateurs vaguement intellectualisés qui se reconnaissent dans cette vision stéréotypée désincarnée de la révolution.