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Billet de blog 9 septembre 2013

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Les habits neufs de l'antisémitisme ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il m’est arrivé ce matin une étrange mésaventure, sous la forme d’une rencontre, qui me laisse encore songeur quelques heures après tant elle m’a stupéfait. Comme pour en exorciser le malaise qu’elle a créé en moi, je me décide à la raconter telle qu’elle s’est déroulée.

La scène se passe dans un bistro d’un arrondissement du Nord Est de Paris dans lequel je me rends quelques fois le matin pour boire mon café et jeter un coup d’œil sur la presse mise à disposition de la clientèle. J’ai mes habitudes matinales dans plusieurs cafés du quartier et j’aime en changer régulièrement pour ne pas rencontrer chaque matin les mêmes têtes ou peut être pour ne pas entendre toujours les mêmes conversations. Toujours est t’il que ce matin j’entre dans ce café là et m’installe comme habituellement au comptoir. Je connais de vue deux ou trois personnes que je salue de loin d’un geste de la tête. A côté de moi est assise une jeune femme que je n’avais pas vue depuis plusieurs mois et que je connais un peu pour avoir déjà eu l’occasion, dans des circonstances identiques, d’échanger avec elle quelques propos sur la vie ou plus anodins, sur le temps qu’il fait. Ce que je sais de cette jeune femme d’une trentaine d’années se réduit à peu de chose : d’origine nord africaine, elle a été élevée en province dans une famille d’accueil et est venue à Paris pour essayer d’y vivre. Je sais également, qu’elle est mère d’une petite fille qu’elle semble élever seule. Une vie que je suppose difficile, donc, entre des missions d’intérim dans je ne sais quel emploi de service. Je l’avais également entendue une fois tenir des propos très critiques sur les barbus musulmans nombreux dans notre quartier qui m’avaient amené à penser qu’elle n’était pas croyante.

Je la salue donc tout en commandant mon café. En mettant la main sur le journal local du jour je me rends compte que de son côté elle était en train de lire une revue que je ne m’attendais pas à voir entre ses mains : un vieux numéro des annales d’histoire révisionniste (je crois que c’est le titre exact) qui pour ceux qui n’en ont peut être jamais entendu parler est cette revue qui dans les années 70 et 80 s’était fait connaître pour être le lieu de rencontre intellectuelle entre tous ceux (Rassinier, Faurisson, Guillaume et plus tard Garaudy, etc) qui niaient l’existence des chambres à gaz pendant la seconde guerre mondiale, et les politiques génocidaires des nazis à l’égard des populations juives, tziganes et homosexuelles. Intrigué par le fait de la voir avec une telle revue à la main, je lui fais part de mon étonnement. Elle me répond que cette revue est très intéressante et lui apprend beaucoup de choses. Elle enchaîne en me disant qu’on lui avait raconté des salades à l’école et que contrairement à ce qu’elle pensait alors, les juifs n’avaient pas été victimes de la folie nazie (juste un peu quand même précisa t’elle car certains étaient morts de maladie) mais qu’au contraire ils tendaient à contrôler et exploiter aujourd’hui le monde entier, c'est-à-dire toutes les populations non juives. Elle en voulait pour preuve la surreprésentation des juifs au sein des média audiovisuels et des membres des gouvernements successifs, l’origine de beaucoup, si ce n’est de la plupart des banquiers et de ceux qui ont « fait » l’Europe, Robert Schuman entre autres, des bolchéviks de Russie et des révolutionnaires de 89, et j’en passe et des meilleures.  De plus en plus intrigué par la violence de son propos débité sur un ton qui ne supportait pas la contradiction, je lui demandai quelles étaient les circonstances qui l’avaient amenée à penser de la sorte. Elle me dit alors sans autres précisions avoir travaillé dans une entreprise dirigée par des juifs, avoir observé leurs comportements et en avoir tiré les conclusions qui s’imposent et qui, me précisa t’elle, concerne 99% d’entre eux. Je dois humblement avouer que je n’ai pas eu le courage de lui demander qui diable pouvait donc être le 1% restant car arrivé à ce stade de la conversation (qui avait en vérité plutôt une allure de monologue) je n’avais plus aucune envie (mais l’avais-je jamais eue ?) d’essayer d’argumenter pour tenter de la ramener à un minimum de raison. L’envie me prit au contraire de jouer la provocation naïve pour voir jusqu’où elle était capable d’aller. Je lui dis donc que si tout ce qu’elle me dit était bien vrai nous sommes de toute évidence la victime d’un complot dont nous devrions nous défendre de toute urgence. Elle me répondit alors très sereinement qu’effectivement à défaut de pouvoir en exterminer les instigateurs car ils contrôlent tout (et bis et re bis et repetitas) elle songeait sérieusement à s’exiler en Russie, un des trois pays qui à ses yeux avec l’Iran et le Vénézuéla résistent à l’emprise juive sur le monde (Je me suis demandé un peu plus tard pourquoi elle ne m’avait pas également cité la Corée du Nord mais peut être la famille Kim est t’elle aussi enjuivée par alliance, allez savoir, on en sait si peu !) Là je dois honteusement reconnaître que j’ai préféré abdiquer et prétextant un rendez-vous imaginaire je me suis discrètement m’éclipsé.

Ce genre de délire ou assimilé, je savais qu’il existe, servi par des demi intellectuels médiatiques présents sur internet qui le développent en des termes convenus et presque mesurés. Mais le mélange de violence et de naïveté de cette jeune femme m’a réellement fait froid dans le dos. Suis-je devenu frileux ou est-ce le climat qui change ?

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