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Billet de blog 23 avril 2017

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Disparition de Miguel Abensour, philosophe et historien des utopies

Le philosophe Miguel Abensour, philosophe et historien des utopies, éditeur d'essais à ce sujet, est mort ce samedi 22 avril

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Sur le site de France Culture:

Le philosophe Miguel Abensour, spécialiste de la philosophie politique, éditeur d'essais à ce sujet, est mort ce samedi 22 avril. Ancien président du Collège international de philosophie, il avait de très nombreux ouvrages à son actif : La Démocratie contre l'Etat(2004), Le procès des maîtres rêveurs (2000), L'Utopie de Thomas More à Walter Benjamin (2000), Rire des lois, du magistrat et des dieux (2005), etc.

Celui qui a contribué à la réception de la pensée de l'Ecole de Francfort en France s'était notamment intéressé de très près aux pensées de l'homme politique Louis Antoine de Saint-Just, d'Hannah Arendt et d'Emmanuel Levinas. Au concept de l'utopie également, dans laquelle il voulait redonner foi, et à propos de laquelle il disait : "Je pense qu'il n'y a pas de politique possible sans une dimension utopique."

Une jeunesse marquée par la Shoah et les haines communautaires

L'enfance de Miguel Abensour, né en 1939, s'est déroulée pendant la guerre. Une enfance cachée.

"Mon rapport au monde a dû être troublé par cela (...) dans ce village, où il y avait une atmosphère très rousseauiste encore, puisque c'était au début des années 1940. Je savais qu'il y avait des pôles dangereux, des gens à qui il ne fallait pas parler, et donc j'ai expérimenté en fond la division entre amis et ennemis, ce qui est quand même, pour un enfant, quelque chose d'assez troublant".

Plus tard, pendant sa jeunesse, il est à nouveau fortement marqué par les horreurs de la guerre d'Algérie.

"La période de la guerre d'Algérie a été une période extrêmement sombre, et notamment cette idée que la torture était pratiquée couramment, même par des gens qui avaient fait de la résistance. Donc ça a été extrêmement troublant pour moi."

Défricheur de la part secrète de la philosophie

Durant sa thèse, dirigée par Gilles Deleuze ("nous avons tous des hasards de cet ordre", s'amusait-il au micro de Laure Adler), il commence à explorer des pans totalement inconnus de l'oeuvre de certains philosophes, comme Marx.

"Tout de suite j'ai eu le sentiment que Marx était sinon prophétique, comme le dit Hannah Arendt, mais tout au moins habité par la recherche d'une société meilleure. Et ce qui m'a beaucoup étonné c'est que après, quand j'ai fréquenté des communistes, ou des trotskistes, cette idée était absente, et si on l'émettait, elle était mal accueillie. (...) Très vite, j'ai essayé de lutter contre ce bannissement de l'utopie de la pensée critique".

Son travail l'emmène à s'intéresser au raport entre "la forme de la pensée de Marx, et la forme de la pensée des utopistes".

Le véritable nom de la pensée de Marx, il le dit lui-même, ce n'est pas "socialisme scientifique", il n'a jamais parlé lui-même de socialisme scientifique sauf quand on lui attribuait. "C'était le communisme critique… c'était quand même beaucoup plus intéressant".

L'importance de penser à contre-pente

En 1987, il écrit avec l'anthropologue et ethnologue Pierre Clastres, L'Esprit des lois sauvages, admiratif de la façon dont il "bouleversait complètement tous les a priori de la philosophie politique, et notamment, cette idée qu'une société sans Etat n'était pas une société satisfaisante puisque ces sociétés sauvages n'étaient pensées que sous le signe du manque ou du déficit."

"Clastres a été très important pour moi parce que c'est quelqu'un qui m'a montré ce que c'était que de penser à contre-pente, et ne jamais se laisser écraser par la doxa ou le consensus scientifique".

Miguel Abensour n'a eu de cesse de bouleverser les codes d'interprétation. Ceux de l'historiographie révolutionnaire notamment, nourri par la pensée de l'homme politique Saint-Just.

"Ce qui est intéressant chez Saint-Just c'est qu'il y a une critique de la domination. Mais je pense que sa grandeur c'est qu'il a perçu lui-même que l'exercice de la terreur avait des conséquences catastrophique parce que si la politique a le courage comme vertu suprême, la terreur décourageait les révolutionnaires et en ce sens-là, comme il dit dans cette phrase, "La révolution est glacée"".

C'est également à l'aune d'Hannah Arendt et à celle d'Emmanuel Levinas que Miguel Abensour décryptait les tourments de notre société : "Ce qui m'a passionné chez Hannah Arendt c'est que c'est une critique de la philosophie politique."

"Une fois j'ai fait une conférence à la Sorbonne sur Hannah Arendt contre la philosophie politique, et j'ai été accueilli par un éclat de rire général, comme si j'étais un aliéné qui voulait déboulonner la plus grande philosophe politique de notre temps. (…) Si on regarde les textes, dans "Le Journal de pensée", elle dit que dans la grande tradition il y a quelque chose de fondamentalement faux, et que c'est cela qui a dû nous conduire, au totalitarisme ; et il y a cette fausseté qui est cachée dans toute la philosophie politique de l'Occident. (…) Et ce fondamentalement faux, c'est au fond l'ignorance politique de la pluralité de la condition humaine".

Quant à Emmanuel Levinas, celui qui a participé aux revues TexturesLibre et Tumultes en préconisait justement la lecture pour trouver des concepts favorisant le vivre-ensemble. "J'ai cherché chez Levinas ce que j'avais trouvé chez Buber (…) ce qui m'est apparu assez vite c'est qu'à l'époque on faisait de Levinas un penseur libéral, un penseur des droits de l'homme, donc un penseur sage… et en fait je pense qu'il n'est pas du tout sage. Et là il faudrait explorer tout son rapport à la littérature russe, qui certainement est constitutif."

Hélène Combis-Schlumberger

https://www.franceculture.fr/philosophie/miguel-abensour-penseur-contre-pente-de-la-philosophie-politique

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