Suite à une chronique lue sur Médiapart intitulée qu'est ce qui fait courir Murakami, j'ai été tenté de me demander plutôt ce qui fait courir les lecteurs de Murakami tant son succès a l'air aussi unanime que planétaire. Je suis donc parti de ma propre expérience de lecteur. Ayant découvert cet auteur par Kafka sur le rivage dont le titre m'avait attiré pour ce qu'il promettait de kafkaien (à cet égard, grand lecteur de Kafka, j'ai été plutôt déçu), j'ai cependant dans un premier temps été séduit par son univers onirique teinté de fantastique social. Dans un second temps, après avoir lu trois ou quatre autres de ses romans, j'ai commencé à éprouver un certain malaise lié à l'impression que j'avais de lire toujours un peu le même livre mais curieusement, sans éprouver cependant de déplaisir à continuer ma lecture, comme si j'étais sous l'emprise d'un envoûtement momentanément enchanteur. Les critiques unanimes et le succès mondial aidant, le phénomène Murakami s'est développé comme une addiction exigeante avec ses junkies attendant fébrilement ses dernières parutions. Je me suis alors demandé les raisons d'un tel unanimisme qui semblait transcender les cultures (Murakami est traduit dans une cinquantaine de langues et peut être un peu plus). Tout le monde semblait s'y retrouver: les hommes, les femmes, les modernistes et les passéistes, les "de droite" et les "de gauche", les amateurs de jazz et les amateurs de classique, les buveurs de vin et les buveurs de coktails, les amateurs de nature et de grands espaces et les indécrottables citadins, les mystiques et les matérialistes, les amateurs de fantastique et les amateurs de réalisme social, les gays et les hétéros, les salariés et les petits entrepreneurs, etc, bref, il y en a pour tous les goûts et pour tout le monde et je crois que je pourrais continuer indéfiniment cette liste de caractéristiques plus ou moins contraires qui se sentent flattées à la lecture de Murakami. Un tel consensus a fini par me sembler suspect comme si le monde qu'il sous entendait était exempt d'aspérités, où tout était mesuré pour n'effrayer personne. Où finalement tout était policé sous l'injonction invisible d'un extrème centrisme tout à fait dans l'air du temps, c'est à dire un ventre mou sans véritables convictions mais qui donnait pourtant l'impression du contraire.
Ayant revu cet été un ami japonais francophone que je n'avais pas vu depuis plusieurs années, nous avons parlé de Murakami et je lui ai livré mes impressions telles que je viens de les décrire ici rapidement. Lui-même appréciait peu Murakami pour des raisons assez différentes, trop empreint à ses yeux de philosophie new age de supermarché, ce que j'avais certes également noté mais sur laquelle je ne m'étais pas arrêté. Mon propos l'a surpris cependant par l'angle de vue que j'avais adopté et auquel il n'avait pas pensé. Ce que je décrivais là, me dit il, est une description assez fidèle de la vision du monde et de la vie diffusée quotidiennement par tous les canaux de l'idéologie dominante. Au Japon me précisa-t-il, ce qui dépasse de la norme est perçu comme relevant d'une impolitesse ou d'une inconvenance. Les manifestations de singularité individuelle ou communautaire sont cependant tolérées comme expression de l'originalité dans la seule mesure où elle ne remettent pas en cause le consensus et le conformisme social, ciment de l'unité nationale. J'ai alors commencé à comprendre plus précisément les raisons de mon malaise à la lecture de Murakami.