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Billet de blog 6 août 2014

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10 contre-vérités propagées par les faucons israéliens

Depuis l’accession au pouvoir d’Ariel Sharon et à chaque fois qu’ils intensifient leur pression militaire sur les territoires palestiniens, les gouvernements israéliens et leurs partisans énoncent des contre-vérités pour justifier leur stratégie militaire qui ne laisse aucune place à la diplomatie et qui n’a produit aucun résultat dans le chemin de la paix.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis l’accession au pouvoir d’Ariel Sharon et à chaque fois qu’ils intensifient leur pression militaire sur les territoires palestiniens, les gouvernements israéliens et leurs partisans énoncent des contre-vérités pour justifier leur stratégie militaire qui ne laisse aucune place à la diplomatie et qui n’a produit aucun résultat dans le chemin de la paix. Ces contre-vérités sont martelées et largement diffusées par les défenseurs de la politique israélienne (ambassades israéliennes, institutions, intellectuels…) et parfois intégrées, consciemment ou non, par les médias et dirigeants politiques occidentaux. Petit florilège de ces contre-vérités et analyse de leurs ressorts.

1.     Israël a lancé l’opération “Bordure protectrice” en réponse au rapt et au meurtre par le Hamas de 3 jeunes colons faisant du stop en Cisjordanie 

Désignant sans preuves le Hamas comme coupable de l'enlèvement et le meurtre des 3 jeunes colons en Cisjordanie occupée, Nétanyahou a lancé prématurément l’opération en cours qui a provoqué la mort de plus de 1800 Palestiniens dont plus de 70% de civils et plus de 20% d’enfants. Or, le Hamas, au pouvoir à Gaza et non en Cisjordanie où l’enlèvement a eu lieu, a l’habitude de revendiquer ses actions, qu’elles soient tournées contre des militaires ou des civils. Et si le Hamas a « félicité » les auteurs du rapt et du meurtre des 3 colons (le Hamas considérant en effet que dans les territoires occupés, tout « occupant » civil ou militaire est un ennemi), l’enquête en cours par la police israélienne n’a toujours pas établi la responsabilité du Hamas.

Pour nombre d’experts du Proche-Orient, une raison plus probable de l’offensive israélienne est le récent rapprochement entre le Hamas et le Fatah pour un gouvernement palestinien d’union nationale. Misant sur les dissensions entre le Fatah (au pouvoir en Cisjordanie) et le Hamas (au pouvoir à Gaza) pour les affaiblir l’un comme l’autre, Israël voit en effet d’un mauvais œil une unification du camp palestinien au moment de négocier la paix. Aussi, dès l’annonce de cette union, Israël a immédiatement fait savoir qu’il “refusait” cet accord et considérait ne plus avoir d'interlocuteur pour négocier la paix. L’idée de voir le Hamas accepter de négocier avec Israël (reconnaitre Mahmoud Abbas comme président de l’Autorité palestinienne constituerait pour le Hamas un prélude à la reconnaissance d’Israël) semble contrarier le gouvernement israélien d’extrême droite dont une partie au moins ne souhaite pas la paix et privilégie le statu quo et la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie.

  2.     Israël a accepté le cessez-le-feu négocié avec l’Egypte mais le Hamas s’entête à poursuivre le conflit

Il est maintenant établi que le cessez-le-feu proposé par l’Egypte, accepté par Israël mais refusé par le Hamas a bien fait l’objet de négociations préalables entre Israël et l’Egypte. Il n’a en revanche jamais été discuté avec le Hamas et ne répondait à aucune des revendications du Hamas, en particulier la levée du blocus sur Gaza. En réalité, l’initiative égyptienne est une manœuvre qui illustre l’hostilité entre la dictature militaire égyptienne et le Hamas en raison de la proximité de ce dernier avec le mouvement des Frères Musulmans sévèrement réprimé en Egypte (plusieurs milliers de morts et de prisonniers politiques).

3.     Israël s’est retiré de la bande de Gaza en 2005, ce territoire n’est donc plus occupé 

Cet argument est souvent opposé à ceux qui affirment que les groupes armés de Gaza opposent une résistance à une occupation. S’il est vrai que depuis 2005 toutes les colonies israéliennes (illégales sur le plan du droit international) ont été démantelées, Israël impose cependant à la population de Gaza un blocus intenable depuis 8 ans,  avec la complicité des autorités égyptiennes qui bloquent la frontière sud.

Ce blocus impose des contraintes et des humiliations quotidiennes aux Palestiniens de Gaza :

- une limitation draconienne des entrées et sorties de Gaza avec de longues périodes de frontière hermétique en dehors des urgences médicales vitales.

- sur les 6 000 produits considérés comme d'importance vitale par l'ONU, Israël ne tolère l'entrée dans la bande de Gaza que de 30 à 40 d'entre eux, sachant que 90% de la population dépend de l’aide alimentaire de l’ONU.

- les exportations agricoles et industrielles sont interdites à quelques rares exceptions.

- les importations sont aussi extrêmement limitées, si bien que les bâtiments détruits par les bombardements israéliens ne peuvent souvent pas être reconstruits.

- le blocus maritime, qui s’ajoute au blocus terrestre, se resserre comme un étau : 20 miles nautiques en 1995, 12 en 2002, 6 en 2006, 3 en 2009 et 2 (moins de 4000 mètres) aujourd’hui. Inutile de préciser que cela rend impossible toute pêche industrielle et prive la population d’une nouvelle ressource.

- la fourniture d’électricité par Israël est vitale pour les habitants de Gaza. Déjà détruite par Israël en 2006, la seule centrale électrique de Gaza a de nouveau été bombardée et mise hors d’état de fonctionner le 29 juillet dernier. Contrôlant ainsi l’accès de Gaza à l’électricité, Israël interrompt de façon unilatérale cet approvisionnement avec tous les risques humanitaires que cela suppose pour les malades dans les différents hôpitaux et les contraintes pour tous les autres habitants.

Notons enfin que les zones tampons imposées par Israël occupent une part significative de la bande de Gaza (près de 14% du territoire et 44% des zones cultivables selon le Boston Globe).

 4.     Les tunnels souterrains sont utilisés par le Hamas pour perpétrer des attentats en Israël 

Le blocus évoqué au point précédant explique à lui seul pourquoi des centaines de tunnels de contrebandes ont été construits à la frontière avec l’Egypte. Selon de nombreux experts, une part significative des produits importés sont des produits d’usage civil que le blocus ne permet pas d’acheminer autrement (aliments, du fioul, du matériel de construction…) surtout depuis que l’Egypte est à nouveau sous le joug d’une dictature qui a réinstauré le blocus levé par le gouvernement de l’ancien président Morsi.

Evidemment, ces tunnels sont également utilisés par les organisations palestiniennes armées pour importer des armes ou du matériel nécessaire à leur fabrication. 

Les tunnels vers Israël servent en effet au Hamas à pénétrer sur le territoire israélien pour y mener des actions militaires et représentent donc un danger réel pour Israël. Pour détruire ces tunnels et ceux permettant d’acheminer les vivres sans porter préjudice à la population civile, le moyen le plus simple, le plus juste et le plus efficace est la levée du blocus sur la bande de Gaza.

 5.     Israël utilise ses armes pour protéger sa population civile tandis que le Hamas utilise sa population civile pour protéger ses armes

Cette formule est aussi redoutable et efficace qu’elle est cynique et inexacte. Depuis le début de l’opération « Bordure protectrice », Israël a bombardé à de nombreuses reprises des hôpitaux, des mosquées et des écoles dont certaines sont gérées par l’ONU et servent de refuges aux populations civiles qui ont quitté ou perdu leur logement.

Pour se justifier, l’armée israélienne affirme, sans jamais l’avoir prouvé, que le Hamas cache ses armes et réalise ses tirs de roquettes depuis des zones civiles (maisons, hôpitaux, écoles…). En outre, Gaza est un territoire très densément peuplé où les activités civiles sont omniprésentes et donc indissociables des zones d’action des organisations militaires palestiniennes. Par ailleurs, de nombreux témoignages et plusieurs images attestent des attaques menées par l’armée israélienne à l’encontre de civils clairement identifiables.

Enfin, affirmer qu’Israël bombarde Gaza pour protéger sa population civile est inexact. Depuis le début de l’opération israélienne et malgré les plus de 3000 roquettes palestiniennes, les pertes israéliennes s’élèvent à 67 tués dont 64 soldats et 3 civils.

 6.     Le Hamas vise des populations civiles avec ses roquettes 

Dépourvues de toute technologie de guidage, les roquettes lancées par le Hamas peuvent en effet toucher une habitation, une école, un aéroport ou une base militaire. Si personne ne peut dire ce que ferait le Hamas s’il disposait d’une technologie permettant de guider précisément ses roquettes, on constate en revanche que l’armée israélienne n’hésite pas à viser des cibles civiles (bâtiments et personnes) au moyen de ses missiles guidés. 

En réalité, pour Israël, le coût des roquettes palestiniennes est presque exclusivement financier : chaque missile anti-roquette du “Dôme de fer” coûte environ 50 000$ à l’Etat israélien et à ses financeurs occidentaux (les Etats-Unis apportent un soutien annuel à l’armée israélienne d’environ 3 milliards de dollars). Sur le plan humain, 2 victimes civiles sont mortes suite aux tirs de roquettes en Israël à rapporter aux plus de 1300 morts civiles causées par les frappes « chirurgicales » d’une armée parfaitement équipée et qui prétend être « la plus morale du monde ».

 7.     Les morts civiles sont inévitables 

Pour justifier le fait de tuer des milliers de civils (plus de 1800 à ajouter aux 1400 tués en 2009 au cours de l’opération « Plomb durci »), les défenseurs de l’opération militaire israélienne évoquent les morts civiles engendrées par la libération de certaines villes françaises ou allemandes à la fin de la deuxième guerre mondiale.

Ainsi, le député français Habib Meyer expliquait que les quelques centaines de morts à Gaza n’étaient rien comparées aux 20 000 morts civils lors des bombardements alliés sur Le Havre en 1944. Ce propos est d’autant plus choquant qu’il provient d’un député de la République Française qui n’a pas su se défaire de son militantisme radical au sein du « Betar », mouvement proche du Likoud et de l’extrême droite israélienne puis au sein du CRIF en France.

En plus d’être choquant, ce propos est fallacieux. Sur le plan politique, il établit un parallèle inacceptable et déplacé entre Gaza et la France de Vichy et des Nazis d’une part et entre les Alliés et Israël d’autre part. Sur le plan militaire, il est aberrant de comparer le bombardement du Havre en 1944 avec la situation actuelle à Gaza tant la technologie de l’armée israélienne et sa maîtrise du territoire ciblé sont supérieures et suffisantes pour épargner les vies civiles.

S’il fallait établir des comparaisons historiques, avec tout le risque que cela comporte, il faudrait plutôt utiliser des conflits comme celui qui a opposé l’IRA à la Grande-Bretagne pendant plus de trente ans sans jamais donner lieu à des bombardements de Belfast ou Dublin.

 8.     Le Hamas est une organisation terroriste avec laquelle aucune négociation n’est possible

La réponse militaire systématique et le refus de négocier avec le Hamas caractérisent la politique israélienne de ces dernières années. Cette ligne politique intransigeante s’appuie sur l’argument selon lequel le Hamas est une organisation terroriste avec laquelle le dialogue n’est pas possible. Or, le Hamas dispose d’une branche politique qui a d’ailleurs remporté les dernières élections législatives palestiniennes de 2006, avant que les pressions internationales et le conflit entre le Fatah et le Hamas ne conduisent au partage du pouvoir entre la Cisjordanie gouvernée par le Fatah et Gaza sous contrôle du Hamas.

Le Hamas est un mouvement palestinien radical qui refuse de reconnaître officiellement l’existence de l’Etat d’Israël, ce qui n’est évidemment pas de nature à faciliter l’établissement d’un accord de paix entre deux Etats souverains. A cet aveuglement du Hamas répond l’aveuglement d’Israël. En qualifiant le Hamas d’organisation terroriste, Israël feint d’ignorer l’influence politique du mouvement palestinien. Il feint aussi d’ignorer que dans un conflit, il faut nécessairement deux parties belligérantes : une armée régulière pour l’Etat d’Israël et des mouvements armés côté palestinien faute d’armée régulière et d’Etat. On peut ensuite débattre longtemps sur le vocabulaire (organisation terroriste, mouvement de résistance, organisation armée…) mais la réalité est celle d’un conflit opposant deux forces militaires en dépit de leur différence de nature et de leur disproportion de puissance.

Evidemment, la lutte des Palestiniens pour leur droit à disposer d’un Etat libre et souverain serait encore plus belle si elle se passait des attentats et de la violence de ses groupes armés. Malheureusement, alors qu’Israël poursuit sa politique de colonisation en Cisjordanie et d’asphyxie à Gaza, les moyens diplomatiques utilisés par les Palestiniens n’ont donné que peu de résultats et ont été largement entravés par les Etats-Unis dont le soutien inconditionnel à Israël ne leur permettent pas de jouer efficacement leur rôle autoproclamé de médiateurs dans la région. Et lorsqu’Israël recourt à la violence (qu’il s’agisse des humiliations quotidiennes subies par la population civile ou des opérations militaires récurrentes), la violence devient l’ultime recours. Comme l’écrit Nelson Mandela : « Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence ».

 9.     Les Palestiniens refusent de reconnaître Israël

Israël rappelle régulièrement que le Hamas - considérée comme organisation terroriste par Israël - refuse de reconnaître Israël. Face à cette affirmation qui laisse entendre que les Palestiniens refusent la paix, il est nécessaire de rappeler que l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah reconnaît l’existence de l’Etat d’Israël.

Rappelons également qu'en termes de reconnaissance internationale, Israël et la Palestine ne sont pas du tout au même niveau. Alors que l’Etat d’Israël jouit d’une reconnaissance internationale large au sein de la communauté internationale et même parmi les Etats arabes, l’Etat palestinien n’a encore aucune existence internationale, les différentes demandes ayant toujours été empêchées par l’opposition des Etats-Unis qui disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.

Quant aux dirigeants israéliens, si la majorité accepte l’idée vague d’un Etat palestinien, toute une partie de la droite refuse de reconnaître l’idée même du droit des Palestiniens à disposer d’un Etat libre et souverain. Il est tout de même assez frappant de constater que l’actuel président israélien lui-même (Reuven Rivlin, successeur de Shimon Peres) est hostile à la création d’un Etat palestinien. Partisan du « Grand Israël » (c’est-à-dire la colonisation totale de Gaza et de la Cisjordanie), il a ainsi déclaré : « Je préfère accepter les Palestiniens comme citoyens d'Israël que de diviser Israël ».

10.  D’autres conflits (Syrie, Irak…) font plus de victimes et personne ne s'en émeut

Cet argument est souvent opposé aux personnes qui manifestent en France contre la politique israélienne. D’abord, les autres conflits qui se déroulent dans le monde suscitent également des réactions, notamment de la part des militants engagés pour les droits des Palestiniens. Ensuite, le conflit israélo-palestinien est un conflit colonial qui dure maintenant depuis plus de 70 ans et dont la nature diffère nettement des guerres civiles qui ont lieu par exemple en Syrie ou en Irak. Enfin et surtout, contrairement au régime de Bachar Al-Assad, Israël est présentée comme une démocratie : le décalage entre cette crédibilité usurpée et la réalité du massacre en cours crée logiquement la consternation d’une part toujours plus importante des opinions publiques dans le monde. Manifester cette consternation dans la rue et dans les urnes est un droit élémentaire et un devoir moral.

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