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ANASTASSIA POLITI

comédienne - chanteuse, metteur en scène (Compagnie Erinna) - Αναστασία Πολίτη, ηθοποιός, σκηνοθέτης (Θεατρική ομάδα Ήριννα- Παρίσι).

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Billet de blog 17 mai 2015

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"Les oracles de l'ouzo" par Christophe Dauphin

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Christophe Dauphin, poète, essayiste et éditeur de la Revue Les hommes sans épaules, m'a fait le cadeau suivant, merci cher poète  !

LES ORACLES DE L’OUZO

(Rebétiko - ρεμπέτικο)

« Pour moi, c’est d’abord cela, le rebétiko : une atmosphère autant qu’un chant, des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin résiné, d’ouzo, de sciure fraîche sous les tables, de mégots refroidis.»,

  Jacques Lacarrière (in L’Été grec, 1976).

 à Nanos Valaoritis, Alecos Fassianos et Anastassia Politi

Le sommeil de l’oiseau prend feu en plein vol
dans l’étoile d’un dormeur que la mort caresse
la nuit s’endort en parlant à l’oreille des pierres

Le délire peut alors lancer son cri 
les nuques se renversent comme des montagnes
avance Dionysos mes vertèbres mes vocables
Dionysos qui fait poing de tout vertige
de fracassants soleils allument un incendie 
qui ne s’éteint pas et qui mord les mots du chant
avant de les noyer dans l’ombre du vin

Pendant que la pluie rouille dans la nuit
pendant qu’un monde décousu de ses rêves
s’effondre au bout d’une potence

Voici venu le temps des pillards
langage technocratique langue de plomb
d’invisibles voleurs veillent dans les poignets de l’aube 
d’invisibles voleurs font les poches de la vie
les barbares sont venus aujourd’hui 
quelque chose tremble et meurt en moi en nous

Quelles lois pouvaient faire les Sénateurs ?
les lois les barbares s’en sont chargés une fois venus

Ils ont vendu Le Pirée à la criée 
entre deux Metaxas et trois Schnaps 
avec la banque des Cyclades
faux-monnayeurs ils ont  joué les yeux d’Homère 
et le paquebot des Argonautes aux osselets

Le Cheval de leur Troïka à la crinière hémoglobine
galope avec ses hoplites cravatés Goldman Sachs
sur les paupières d’Ithaque qui bégayent la mer
les mains d’Ulysse sont vendues 
aux doigts de leurs capitaux 

C’est au creux de la terre dans la caverne
qu’a retenti le premier oracle :
En voici du Abdul Hamid de l’Adolf Luftwaffe !
des oncles Churchill du rosbeef-pudding
et des Colonels barbelés !
de quoi jouer de la harpe avec les vertèbres d’Artémis

La mer Égée nage dans Apollon
sur un jardin de vagues qui se mord les lèvres
et Ulysse se souvient entre deux fusils 
de ces îles qui naviguent dans des bottes de sang
Yaros Léros Ikaria dérivent 
entre les reins frappés de la marée des orties
et les naufragés se rancissent toujours dans la déploration du monde tel qu’il meurt en chacun de nous
l’individu-cœur-poumon dans l’être-USB

Celui qui croyait au triple A et celui qui n’y croyait pas 
la dette de la lumière court après la pistache financière
comme le crabe après sa reconstitution
la vache folle après le cheval-bœuf et le tiercé monétaire
C’est la crise de la dignité du poulpe et du tarama
et du sensible de la tête qui roule sur l’horizon
de la prise en main du poignet coupé
de la toux du soleil qui crache sa dette et ses caries
du pire et du meilleur qui ont rendez-vous chez le notaire
de la « bombe propre » et des « frappes chirurgicales » 
qui déversent leur amour en habits de noce
des sans-papiers qui font les poubelles de la nuit
de la croissance zéro de la pétanque
et de la croissance négative du bilboquet

L’Ouzo court après ses glaçons qu’un sous-marin allemand fait déborder du verre de l’Europe
qui jongle avec ses labyrinthes en quête de Minotaure

La langue se nourrit de ce qu’elle absorbe
de bois comme de feu et des voleurs d’arcs-en-ciel
du désastre mondial de l’estomac qui frappe à la porte 
de l’administration de ses tripes à la mode de Caen
de la soumission des regards en haillons
de la marchandisation des bretelles du Christ Adidas 
qui joue du bouzouki avec la Vierge Nike

Ô Gaïa Ö Calypso !
la terre nous porte et cherche son nombril
la pierre très sainte l’Omphalos
le nombril ombreux 
dans l’entrecuisse de la falaise de Delphes 
arraché à ce qui fut lumière
où veille l’ensommeillé veilleur

La terre Omphale
peut à présent capturer l’homme
et l’oracle parle :


Crise de toutes les Crises 
ma colique de l’économie néphrétique 
mon expulsion gastrique comme tu es belle
amazonisée googleisée
tu es la plus belle de toutes les Crises et pire encore
twiterisée facebookée
tu es belle comme les hauts-fourneaux de Florange mastiquant de la gum Goodyear
tu es belle comme une délocalisation 
qui est partout chez elle et nous dit adieu
tu es belle comme un homme politique français
qui ouvre un compte en Suisse et chante La Marseillaise
une catastrophe naturelle qui n’en est pas une 
et qui se retire comme une banque 
sur la pointe des pieds de la faillite

Apollon fait pivoter les sphères du cosmos
et l’oracle qui ne dit ni ne cache mais signifie
et l’oracle parle :

Crise j’écris ton nom
sur la Colère d’Achille avec le kérosène de l’Olympe
sur un pays soldé bradé éparpillé désossé comme Troie
qui déterre sa langue dans un cheval

J’écris ton nom sur tes yeux vidés d’Œdipe 
sur l’amphore de Diogène qui s’envole par la fenêtre
sur l’olivier expulsé de son olive délocalisée en Chine
sur le solde de tout compte de Socrate et de la nausée
sur le revenu minimum du calamar
qui s’est taillé les veines avec l’huître de ses rêves
sur la rage de dents du mont Athos pendu à un sanglot
sur les vingt mille déportés de Makronissos 
et sur Embiríkos
qui portent des montagnes de sueur sur leurs épaules
sur les chenilles des panzers de Madame Merkel
Qui parle ? Qui ne dit rien ?
celui dont la voix chante les machines à sous
le saumon pourri et les OGM de l’amour
et qui plonge en toi pour adorer ton vide
ou celui dont le sang est une émeute
et qui lève les mains vers le ciel pour déchirer le réel
que vont recoudre chaque nuit les prêtres de Wall Street
te rapporte la Pythie

Et je te salue peuple de la grécité 
soleil de justice qui serre les dents de ses vignes
alors que les gants rouges des étoiles 
caressent la pluie qui court après le laurier et l’olivier

Ici la lumière trouve son chemin 
dans le thym et le romarin
la mer tangue dans le bol de Jason
et le pêcheur d’éponges 
nage sur les lèvres brûlées de raki de l’été 
dans la barbe de Yannis le camarade Rítsos
sur le front d’Anastassia la pasionaria Politi
sur les paupières de Nikos Bolivar 
et de Simon Engonopoulos
qui sont beaux comme toi peuple grec

Grécité
le ciel rince l’azur des pierres de nos yeux
et l’oracle porte en elle la crypte lourde que l’azur allège
alors la Pythie te signifie :

Sur la zone € qui danse le zeibekiko de l’agora
avec la gamba-champagne
sur la zone € crise je bois un ouzo et j’écris ton nom
sur le bateau de l’armateur qui avale la mer
sur le coup de soleil du touriste All Inclusive
sur la barbe de l’Église orthodoxe des oursins
sur la pluie et le beau temps qui transpire sa casquette
sur la plage privée de la rigueur et du malheur
et sur l’acropole des oreilles de l’austérité
sur la tombée du jour à la langue de perroquet
et aux épaulettes de chouette

Sur la zone € crise
sur les ailes des abeilles licenciées de leur ruche
sur les passants et sur le dos des langoustes
crise j’écris ton nom qui est une brèche
dans laquelle je crie :

   RÊVE GÉNÉRAL !

qui est l’autre nom de la Révolte et de l’Amour.

Christophe DAUPHIN

(Poème extrait d'Un fanal pour le vivant, Les Hommes sans Epaules éditions, 2015).

http://www.leshommessansepaules.com/livre-Un_fanal_pour_le_vivant-85-1-1-0-1.html

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