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Billet de blog 15 oct. 2012

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Bill Gates et Warren Buffett iront-ils au paradis ?

Les Européens qui visitent les Etats-Unis sont toujours surpris de découvrir dans ce pays de l’argent roi les agences bancaires les moins efficaces du monde mais les plus beaux musées (gratuits le plus souvent), les plus belles bibliothèques et les meilleures universités. Ces réussites ne découlent pas de la logique du capitalisme mais de ce qui lui a servi tour à tour d’excuse, de béquille ou de vitrine : l’apport de la philanthropie.

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Les Européens qui visitent les Etats-Unis sont toujours surpris de découvrir dans ce pays de l’argent roi les agences bancaires les moins efficaces du monde mais les plus beaux musées (gratuits le plus souvent), les plus belles bibliothèques et les meilleures universités. Ces réussites ne découlent pas de la logique du capitalisme mais de ce qui lui a servi tour à tour d’excuse, de béquille ou de vitrine : l’apport de la philanthropie.

Retracer l’histoire de la philanthropie américaine comme vient de le faire Olivier Zunz dans une puissante synthèse, c’est se plonger dans le subconscient du capitalisme. Adam Smith, le premier docteur de la loi capitaliste, pensait que l’homme est guidé naturellement par son intérêt, mais aussi par le souci  de celui des autres  qui, précisait-t-il, « lui rend leur bonheur nécessaire ». Pour Tocqueville, ce mélange d’égoïsme et d’altruisme n’est pas un trait de la nature humaine. Il est propre à la démocratie américaine qui pullulait déjà d’organismes charitables à l’époque où il était venu étudier son fonctionnement.

Version laïque de la charité, la philanthropie est donc d’origine religieuse. Mais toutes les religions n’incitent  pas autant à la générosité privée. L’éthique protestante, fondatrice des Etats-Unis, implique, comme l’éthique juive, une responsabilité directe de l’individu face à Dieu. L’une et l’autre imposent de faire le bien personnellement, alors que l’Eglise offre aux catholiques la médiation de sa puissante organisation pour faire le bien en leur nom, grâce à leurs dons. Dans un pays de tradition catholique comme la France républicaine de la fin du XIXe siècle, où l’impôt a remplacé l’aumône et la protection de l’Etat les œuvres de l’Eglise, les fondations philanthropiques viennent, en majorité, du monde protestant ou israélite.

Au début du XXe siècle, les mastodontes du capitalisme américain comme Carnegie ou Rockfeller ont déjà créé leurs fondations, dotées de fonds considérables, qui se consacrent au progrès de la science (en finançant les grandes universités), à la santé publique et à l’aide sociale aux défavorisés. Mais la fibre démocratique du capitalisme américain draine avec autant d’efficacité la générosité des gagne petit. La campagne de timbres pour financer la lutte contre la tuberculose, qui avait rapporté 165 000 dollars à son lancement en 1908, collecte plus d’un million de dollars en 1916. La générosité populaire est si réactive que le président républicain Herbert Hoover songe, à la fin des années 1920, à décharger l’Etat fédéral de l’aide sociale en la confiant aux associations philanthropiques. Cette idée géniale le conduisit à se croiser les bras devant la crise de 1929 et à se faire battre par le démocrate Franklin Roosevelt.

Pour le « New Deal » de Roosevelt, la charité privée et l’action sociale de l’Etat ne se confondent pas. Elles s’opposent. Derrière la philanthropie des grosses fortunes, il entrevoit plus le désir de se soustraire à l’impôt, grâce aux avantages fiscaux consentis par la loi, que la volonté de remédier aux inégalités sociales. Les démocrates s’inquiètent aussi des associations dont la philanthropie, dégrevée par l’Etat, servirait de couverture à des objectifs politiques. Mais où s’arrête la politique ? Olivier Zunz montre avec beaucoup de finesse comment les législateurs, et l’opinion à travers eux, ont élargi la sphère d’action de la philanthropie en transformant des questions jugées subversives en causes humanitaires. Ainsi Margaret Sanger, une ancienne infirmière du « Lower East Side » immigrant de New York, qui militait avec un groupe féministe assez radical pour la légalisation de la contraception, assimilée par la loi au délit de pornographie, obtint pour son association le label philanthropique dans les années 1930, à partir du moment où elle se réclama d’un idéal eugéniste, très en vogue alors dans la classe dirigeante américaine.

La deuxième guerre mondiale a transformé, par nécessité, les grandes fondations en bras financiers de la politique américaine et cet arrimage n’a, depuis, jamais disparu. Manipulées pendant la Guerre froide, comme la Fondation Ford que la CIA utilise pour financer les milieux intellectuels européens opposés au communisme, elles se sont converties ensuite à des actions de développement économique et social de grande envergure dans les pays du Sud, qui confèrent à l’hégémonie américaine un visage humain. Plus efficace économiquement que la plupart des ONG européennes, plus continue et plus influente dans son soutien à la vie scientifique et culturelle que le mécénat des émirats, la philanthropie reste, pour le nouvel âge d’or des riches que connaît aujourd’hui l’Amérique, le purgatoire qui peut encore leur faire croire qu’ils iront au paradis. Bill Gates et Warren Buffett, qui financent déjà de puissantes fondations, viennent de convaincre une quarantaine de milliardaires de s’engager avec eux à léguer au moins la moitié de leur fortune à des organismes non lucratifs. Qui dit mieux ?

Olivier Zunz,  La Philanthropie en Amérique, Fayard, 373 p,  22,90 €.

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