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Billet de blog 5 juillet 2013

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Le droit d'auteur en photographie, une protection en trompe l'oeil?

La défense du droit d'auteur est le fer de lance de la politique de la principale association professionnelle du paysage photographique, l'UPP. Deux affaires récentes révèlent pourtant la fragilité et les contradictions de l'application de ce monopole d'exploitation à l'industrie des images.

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La défense du droit d'auteur est le fer de lance de la politique de la principale association professionnelle du paysage photographique, l'UPP. Deux affaires récentes révèlent pourtant la fragilité et les contradictions de l'application de ce monopole d'exploitation à l'industrie des images.

Michel Puech a résumé l'affaire qui oppose le photographe Stéphane Lemouton à Ségolène Royal. Après un accord verbal pour l'exploitation gracieuse de quelques photographies de la responsable socialiste dans un cadre associatif, Lemouton constate que ses images ont fait l'objet d'exploitations dérivées. Une tentative de négociation avec l'association échoue, et le photojournaliste porte plainte pour contrefaçon.

"Vous comprenez, c’est quand même ma bobine qui est sur ces autocollants!", s'exclame Ségolène Royal à l'audience, témoignant par là que, dans le cas de la photographie, la distinction entre le sujet et l'œuvre ne va pas de soi. Le journaliste Guillaume Champeau, directeur de Numérama, commente cette affaire en se demandant: «Est-il normal qu'un photographe exploite commercialement l'image d'un homme ou d'une femme politique, mais pas normal que cette personnalité politique exploite librement ces photographies dans quelques gadgets et sur les réseaux sociaux?»

Cette remarque est parfaitement invalide au regard du droit d'auteur. Mais pas du point de vue du bon sens. Dans une thèse récemment soutenue consacrée à la figure du paparazzi, Aurore Fossard a brillamment démontré l'interaction qui fait de la star et du photojournaliste deux partenaires indissociables des industries culturelles. Dans ce contexte, le photographe exploite commercialement une image à laquelle la notoriété de la personnalité photographiée confère sa valeur économique (l'image du sujet n'est protégée sur le plan juridique que par la jurisprudence du droit à l'image, mobilisable en cas d'usage abusif, mais qui ne confère aucun droit commercial).

Révélée par Numérama, une autre assignation similaire oppose le photographe Gaston Bergeret aux Restos du coeur. Après avoir concédé gracieusement l'exploitation de son portrait de Coluche à l'association en 1985, celui-ci conteste les nombreuses exploitations dérivées effectuées sans son consentement, notamment celles qui altèrent l'œuvre. Là encore, c'est l'échec de la négociation qui conduit au procès.

Le droit d'auteur rend une telle démarche parfaitement légitime. Mais le débat qui accueille ces deux affaires montre un évident défaut de légitimité de cette protection théorique lorsqu'elle s'applique à la photographie. Malgré la reconnaissance culturelle du médium depuis les années 1980, il est frappant de voir ressurgir les notions les plus archaïques, celles qui voient dans la photo une simple copie du réel, ou celles qui la caractérisent comme une opération automatique. Ressortant une interview de Bergeret, Guillaume Champeau souligne: «La photo de Coluche, c'est 10 secondes». Il n'en faut pas plus pour que l'affiche des Restos se voie qualifiée sur Twitter de «Photomaton».

Bergeret est un excellent photographe, et le fait d'avoir réalisé la photo de Coluche dans un intervalle si bref est plutôt la preuve de son talent de portraitiste, confirmé par le succès d'une image devenue icône. Mais ce constat ne suffit nullement à clore le débat, car c'est en réalité jusque dans les rangs de l'UPP que l'application du droit d'auteur à la photographie fait problème.

Dans le "Manifeste pour les photographes" publié par l'association figure la proposition révélatrice d'une "présomption d’originalité des œuvres utilisées à des fins professionnelles". En droit français, l'originalité est le graal qui permet d'accorder le statut d'œuvre protégée à une production intellectuelle. Mais la loi a mis dans les mains du juge l'appréciation au cas par cas de ce critère. Comme le note l'UPP, «la protection des œuvres photographiques continue à faire l’objet de contestations par les juges». Réclamée par les professionnels, la réponse par la présomption d'originalité, autrement dit l'application forcée du critère d'originalité à toute production exploitée commercialement, montre que la photographie n'a pas réussi à établir sa légitimité créative par la seule qualité de ses productions.

Mises en rapport avec la défense bec et ongles du monopole d'exploitation par la profession, les démarches procédurales récentes des photographes pour faire respecter leurs droits les placent dans le débat public en position d'accusés plutôt que de victimes. Cette inversion paradoxale questionne le statut culturel de la photographie, mais aussi l'inadaptation d'un outil juridique à l'industrialisation galopante des images. Dans les deux cas évoqués, le droit d'auteur est utilisé pour maîtriser ou contester, non pas l'exploitation originellement concédée, mais la multiplication incontrôlée de produits dérivés.

Une image devenue icône se transforme en objet public, et n'appartient plus à son créateur. Il paraît vain de vouloir s'opposer à des usages citationnels constitutifs de son empreinte culturelle. En revanche, la rétribution de ces exploitations reste légitime. La forme de violence que manifeste un procès est le témoignage d'une inadaptation, qui est ici moins juridique que professionnelle: la kyrielle de ces exploitations secondes est par exemple parfaitement gérée dans le domaine du cinéma – au prix de lourds investissements dans leur accompagnement juridique.

Un tel encadrement fait encore visiblement défaut en photographie. L'autorité supposée du droit d'auteur est-elle pour quelque chose dans l'échec de négociations visiblement menées de manière trop hâtive? Aurait-on pu voir les choses différemment dans une économie du copyright? Il paraît en tout cas insuffisant de se retrancher derrière l'autorité d'un droit auquel même les professionnels ne croient qu'à moitié. Bien d'autres questions doivent être posées, à commencer par celle de l'absence d'une culture photographique et artistique du grand public. Le cinéma l'a compris depuis longtemps: un commerce profitable est d'abord une culture partagée.

Ce billet a été initialement publié sur l'Atelier des icônes.

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