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Billet de blog 16 mars 2025

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Faut-il des images de haine pour dénoncer les discours de haine ?

Antisémite, la campagne de La France insoumise contre l'extrême droite ? Elle a surtout choisi de retourner les images de haine contre ses promoteurs. Une option paradoxale pour un mouvement lui-même victime d'insulte visuelle.

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Illustration 1
Affiches de LFI contre l'extrême-droite (source: Grok)

La France insoumise a lancé fin février une campagne appelant à manifester le 22 mars contre le racisme et l’extrême-droite. L’une des affiches de cette campagne, représentant l’animateur Cyril Hanouna grimaçant de colère, a suscité de vives réactions lui reprochant son « antisémitisme ». Pendant plusieurs jours, des critiques improvisés en culture visuelle ont multiplié les reproductions des affiches du film Le Juif Süss, célèbre œuvre de la propagande nazie, pour démontrer le caractère raciste de ce visuel.

Interrogé sur cette affiche dans l’émission C à Vous le 14 mars, le député LFI Paul Vannier a récusé cette accusation, affirmant que « La France insoumise n’a jamais visé et ne visera jamais une personne en raison de son appartenance religieuse ou de son origine supposée». Il a également confirmé à cette occasion, en le regrettant, que le visage grimaçant de Hanouna avait été produit par l’outil de génération visuelle du chatbot Grok, récemment associé à la plate-forme X (ex-Twitter). Le même jour, le média L’Opinion indiquait que le directeur de la communication de LFI Bastien Parisot avait validé cette affiche.

Deux scandales en un. La campagne de LFI voit se retourner contre elle les moyens qu’elle avait imprudemment mobilisé : le recours aux codes visuels du discours de haine de l’extrême droite, familiers des lecteurs de Valeurs actuelles, avec des images monochromes sur fond noir soulignées d’une titraille jaune.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le mot-clé d’antisémitisme, largement associé au parti de gauche depuis le début du conflit à Gaza, vienne spontanément à l’esprit. Mais tout ce qui brille n’est pas or, et il ne suffit pas de croire reconnaître quelques stéréotypes empruntés à un contexte où le juif était dénoncé par la caricature d’un physique prétendument « sémite » pour faire d’un portrait menaçant une image antisémite.

Une telle accusation n’aurait aucune chance de convaincre un tribunal, qui interrogerait d’abord les intentions des émetteurs. Mis en cause par l’affiche au titre de «relais de l’extrême-droite», l’animateur de TPMP n’a à ma connaissance jamais été attaqué en tant que juif dans le débat public – une accusation dont le retour de bâton subi par LFI montre à quel point elle aurait été contre-productive.

En revanche, on peut comprendre le soupçon d’antisémitisme comme une réponse au dispositif mobilisé par l’affiche, qui associe les codes graphiques de la dénonciation d’extrême-droite au visage grimaçant d’un personnage figé dans une expression de haine et de colère, dont la vue suscite naturellement la peur et l’aversion. La boîte à outils de l’antisémitisme permet donc d’identifier un discours de haine, lorsqu’il est conforme à la tradition.

Il est toutefois regrettable que cette perception négative ne s’étende pas au visage non moins grimaçant de l’animateur Pascal Praud, autre « relais de l’extrême-droite » visé par la campagne de LFI, et doté par Grok d’une méchanceté tout aussi manifeste. En effet, n’en déplaise aux critiques focalisés sur l’affiche Hanouna, le dispositif de la campagne s’applique de la même façon à ses autres personnages, et relève tout autant de ce que le droit identifie comme « discours de haine » : un abus de la liberté d’expression interdit par l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Il est en réalité paradoxal qu’un parti dont le leader a subi depuis de nombreuses années un processus de défiguration médiatique qui le métamorphose en tribun vociférant, évoquant Mussolini ou Hitler (et que j’ai eu l’occasion d’analyser à diverses reprises), se tourne à son tour vers la facilité de l’insulte visuelle, fut-ce par retournement du stigmate.

À un moment où une régression politique sans précédent touche les démocraties occidentales, et où la révolution conservatrice donne lieu à une montée des violences symboliques aussi bien que physiques, il me paraît hautement contre-productif de partager avec l’extrême-droite les instruments de la brutalité et d’entretenir les manifestations de haine.

Illustration 2
Affiches de LFI contre l'extrême-droite (Elon Musk).

Mais il y a pire. Le recours à l’IA générative pour créer des visuels qui n’ont jamais existé dans une banque d’images, qui plus est sans signaler la nature de cette intervention, relève ici d’une forme particulièrement perverse de manipulation de l’information.

D’autres images de la campagne de LFI, comme celle d’Elon Musk faisant le salut nazi (empruntée probablement sans son autorisation à la photographe Angela Weiss de l’AFP, qui n’est pas créditée, voir ci-dessus), montre que le choix des photos n’a pas été contraint par la question du droit d’auteur.

Si le visage du numéro 2 du trumpisme est tout aussi repoussant que ceux de Praud ou de Hanouna, la différence qui existe entre le fait que cette mimique a bien été exécutée par Musk et le recours à l’IA pour plaquer le masque de la haine sur les visages des animateurs français rend tout bonnement détestable l’intégration de ces images antinomiques au sein du même dispositif.

Car on se trouve ici devant un exemple de désinformation par confusion des sources, qui laisse à penser que les visuels de Praud ou de Hanouna sont des photographies attestant d’un moment de méchanceté capturé par la caméra, alors qu’il s’agit de fictions générées sur commande.

Dénoncer l’extrême-droite en lui empruntant ses méthodes n’est pas une façon de souligner ses tares, mais au contraire un hommage involontaire du plus malheureux effet.

Fallait-il suivre les traces de l’hebdomadaire satirique Charlie-Hebdo, qui a lui aussi glissé sur la pente de la haine au détriment de l’humour, en promouvant une caricature de plus en plus violente ? Il faut au contraire espérer que l’accueil de la défiguration de Hanouna serve d’avertissement, et incite à réinvestir d’autres discours ou à forger d’autres dispositifs.

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