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Billet de blog 19 mai 2013

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Mélenchon malpoli, Mélenchon nazi

Depuis que Jean-Luc Mélenchon s'est imposé comme le leader à gauche de la gauche, la presse des catégories socio-professionnelles favorisées (CSP+) a développé une allergie viscérale à son encontre. Un processus sournois de diabolisation fait de Méluche le nouveau Le Pen.

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Depuis que Jean-Luc Mélenchon s'est imposé comme le leader à gauche de la gauche, la presse des catégories socio-professionnelles favorisées (CSP+) a développé une allergie viscérale à son encontre. Un processus sournois de diabolisation fait de Méluche le nouveau Le Pen.

Qu'est-ce que la démocratie? La courtoisie et le respect des bonnes manières. C'est du moins l'impression que peut donner la lecture des articles consacrés à Mélenchon qui, du Point à Libération en passant par Le Monde, dénoncent unanimement, non les positions politiques de l'élu, mais ses "colères", ses "insultes" et ses "intimidations". La Constitution garantissant en principe le droit de professer des opinions qui s'écartent du consensus bruxellois, la critique ne porte jamais sur le fond. Mais comme chacun sait que la violence des totalitarismes se traduisait aussi par des brutalités ou des excès de langage, les mauvaises manières de Mélenchon sont dénoncées comme le signe le plus évident d'une "dérive fascisante". CQFD.

Malpoli = nazi? Les journalistes sont plus ou moins conscients de l'outrance de l'amalgame et de la perfidie de l'argument. La preuve en est qu'à quelques exceptions près, ils recourent à des méthodes détournées, sur le mode de l'allusion ou de la caricature, pour suggérer ce message. Dans le texte, cela donne: "La résistible ascension de Jean-Luc Mélenchon" (Alain Duhamel, Libération du 9 mai 2013, allusion à la pièce de Brecht "La résistible ascension d'Arturo Ui", lui-même substitut d'Adolf Hitler). Dans l'image, les iconographes cherchent des photos correspondant au stéréotype tribunicien, poing levé, gueule ouverte, face grimaçante, où l'orateur prend les traits du Führer ou du Duce.

Le dernier dossier en date, publié par M, le magazine du Monde la veille de la manifestation du Front de gauche (édition du 4 mai 2013), fait carton plein dans l'art de la caricature qui ne dit pas son nom. Sous le titre "Le grand méchant Mélenchon", un festival d'allusions tribuniciennes renvoie directement à l'imagerie hitlérienne: la célèbre série des poses par Heinrich Hoffmann ou les extraits des discours du Triomphe de la Volonté de Leni Riefensthal.


Dès les années 1930, les dangers que fait peser le régime nazi sur la paix et la démocratie lui valent de violentes caricatures. Dans l'éventail des figures satiriques, la harangue tribunicienne, associée à l'usage d'une langue incompréhensible, telle que la restitue par exemple Chaplin dans Le Dictateur, paraît une arme de choix pour dénoncer la folie hitlérienne.

A l'exception des néo-nazis et des historiens spécialisés, il est rare aujourd'hui de rencontrer quelqu'un ayant visionné un discours d'Adolf Hitler en entier. Ceux qui tenteront l'exercice auront la surprise de découvrir que, tout monstre qu'il fut, le Führer ne hurle pas deux heures d'affilée la bave aux lèvres. Comme la moyenne des orateurs de son époque, qui ont appris à parler en public avant l'amplification électronique, il recourt volontiers à des accents théâtraux, qui ne prennent un tour exalté qu'au moment de la péroraison finale. En d'autres termes, l'iconographie tribunicienne correspond à une forme de caricature par sélection d'images auquel s'expose n'importe quel acteur politique.

Au-delà de comparaisons ponctuelles de divers responsables avec Hitler, la figure de diabolisation par amalgame s'est tout particulièrement épanouie avec la critique de Jean-Marie Le Pen, au cours des années 1980. Outre les sympathies du fondateur du Front national pour le précédent nazi, la généalogie politique de son parti et ses nombreux dérapages ou allusions racistes ont encouragé un rapprochement ayant valeur de condamnation morale.

Le cas Mélenchon ne comporte aucun de ces facteurs. Pourtant, en discutant avec plusieurs journalistes, j'ai constaté que ceux-ci, auto-convaincus de la caricature qu'ils alimentent, s'étonnent qu'on puisse trouver à redire à l'iconographie négative qui lui est volontiers associée. Mélenchon n'est-il pas effectivement "vociférant et agressif"? Pourquoi s'offusquer dès lors que la photographie le représente tel qu'en lui-même?
Mais la photographie, quand elle a fait l'objet d'une sélection par un directeur artistique, n'a plus rien d'une description objective. A preuve, la vision au contraire souriante et charismatique du dirigeant du Front de gauche que l'on rencontre dans le quotidien L'Humanité, qui partage ses options politiques.


L'exclusion de toute image positive dans le dossier du Monde, qui ne retient que des portraits soucieux ou grimaçants, et dont la dimension sinistre est encore accentuée par l'usage inhabituel du noir et blanc, témoigne d'un biais opposé. Si l'on doutait de son caractère systématique, un trucage délibéré – autre élément exceptionnel dans le traitement d'une actualité politique par le Monde – vient en apporter la preuve. La série des portraits "à la Heinrich Hoffmann" de la couverture est réalisée à partir de plusieurs inversions gauche/droite de photos de Mélenchon diversement retouchées.


De quel côté est l'excès? En voulant donner une leçon de bonnes manières au leader gauchiste, Le Monde recourt à des procédés qu'aucun manuel de journalisme ne pourrait justifier. De même que la caricature de Hitler était revendiquée par la presse des démocraties alliées, la diabolisation de Jean-Marie Le Pen a été une stratégie ouvertement assumée par la gauche. Mais l'usage caricatural de la photographie est une satire cachée et déloyale, comme prête à être niée par ceux qui l'utilisent.

A la différence du rapprochement avec Marine Le Pen, autre classique de la dénonciation du populisme mélenchonien, la mobilisation de l'imagerie tribunicienne fonctionne à la manière de l’allusion: comparaison elliptique parce qu'excessive, elle omet le comparant, qui reste implicite et doit être restitué par le destinataire. Comme le délit de sale gueule, l’attaque iconographique ne fait pas appel à des arguments rationnels, mais construit sur le mode de la médisance un document accusatoire qui s’appuie sur l’aspect physique et sur des jeux associatifs inavoués.

On peut être en désaccord avec les choix politiques de Jean-Luc Mélenchon. Mais qui osera sans ridicule affirmer que le dirigeant du Front de gauche est aussi dangereux qu'Hitler, ou que ses critiques de la politique gouvernementale sont aussi condamnables que les sorties racistes d'un Le Pen? L’arme de la caricature ne se justifie qu’à la condition d’être proportionnée. En plus de tomber à plat, une caricature hypocrite et gratuite justifie les protestations de Mélenchon contre la partialité du traitement journalistique.

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