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Billet de blog 26 juillet 2024

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L’allégorie de Trump en vainqueur fait pschitt…

Une icône qui fait pschitt? La signification attribuée à la photo « historique » de l'attentat contre Trump n'a pas résisté pas au rajeunissement de la candidature démocrate. Une bataille de récits autour d'une image.

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Le 13 juillet 2024, en plein meeting, plusieurs balles sifflent aux oreilles de Donald Trump – l’une d’elle transperce son pavillon. Les snipers du service de sécurité ripostent, exécutant le tireur, âgé de vingt ans. Une minute plus tard, le candidat à la présidence se redresse, protégé par des agents qui font rempart de leur corps. Des traces de sang maculent son visage. Face à son public, il brandit le poing, s’écriant «Fight!» («Combattez!») à trois reprises. De nombreuses photos et vidéos de cet instant sont réalisées par les journalistes présents. Celles d’Evan Vucci, chef du service photographique d’Associated Press à Washington, illustrent dès le lendemain les grands titres des quotidiens.

Illustration 1
Unes du New York Times et du Sunday Telegraph le 14/07/2024 (photos Evan Vucci, AP).

Sur un événement situé au sommet de la hiérarchie de l’actualité, une image aussi soigneusement composée déclenche un processus médiatique qui prend la photographie pour sujet. Au commentaire de l’événement s’ajoute rapidement celui de l’image. L’auteur est interviewé pour livrer les secrets de sa prouesse, des spécialistes sont mobilisés pour interpréter les détails formels de l’œuvre. C’est l’occasion de briller par la mention de précédents photographiques ou picturaux, qui démontrent l’épaisseur symbolique de l’image (et l’érudition du commentateur). En bref, la photographie, qui passe d’habitude pour une image transparente qui ne mérite pas tant de chichis, est ici examinée comme un tableau de maître. Cette conversion de l’interprétation du document photographique est qualifiée du nom d’«icône». Son caractère exceptionnel sera souvent confirmé après coup par un prix.

Interrogé par le Guardian, Evan Vucci souligne lui-même la «composition» de sa série. Hérité de la tradition picturale, ce terme qui désigne la sélection des motifs paraît contredire l’objectivité de l’enregistrement photographique. Mais le mythe indiciel n’en décrit qu’un aspect. Si l’authenticité des images contribue à leur valeur journalistique, la dimension narrative fait également partie des exigences du métier. L’art de saisir dans un bref espace de temps les éléments les plus caractéristiques d’une situation confère leur lisibilité à des photos qui ont pour fonction d’éclairer l’actualité. Dans ce cas, la comparaison avec la vidéo de l’événement permet de saisir les choix narratifs de Vucci. La contre-plongée place l’ancien président au sommet d’un triangle, poing levé, dégage l’arrière-plan en effaçant la foule, et y ajoute le drapeau qui flotte au-dessus de l'estrade. La vision de la scène s'en trouve radicalement modifiée.

Illustration 2
Extrait vidéo, US Network Pool, 13/07/2024.

Echapper de justesse à une tentative d’assassinat, pour un candidat à la présidence des Etats-Unis, constitue sans aucun doute un événement saisissant. Mais la présence du drapeau accentue la dimension allégorique qui guide ici la lecture de l’image. «Pourquoi a-t-on immédiatement qualifié cette photo d’historique?», m’interroge Julia Vergely, journaliste à Télérama, quelques jours après l’attentat. L’explication de ce sentiment tient à l’interprétation de la réponse combative de Trump comme un signe annonciateur de sa victoire future, à un moment qui correspond à l’effondrement de la candidature de Joe Biden. Le caractère fictionnel de cette perception apparaît clairement une dizaine de jours après les faits, alors que le candidat démocrate a cédé sa place à la vice-présidente Kamala Harris, qui semble plus à même de l'emporter. La dimension historique de l’image, que le succès électoral de Trump aurait pu consacrer, semble désormais s’effacer au rythme des interventions maladroites du camp conservateur.

Le cas est donc tout à fait passionnant. D’une part, une photo réalisée sur le vif, sans le moindre trucage, dont l’auteur revendique explicitement la «composition», propose une vision distincte de la scène vécue. Son expressivité la fait immédiatement reconnaître comme une icône au fort potentiel médiatique. Comme le lyrisme de la contre-plongée ou l’introduction du drapeau, l’effacement du public, dont la présence explique la réaction vigoureuse de Trump, modifie la lecture de l’image et lui confère un caractère allégorique. Un document photographique peut-il faire l’objet d’une lecture symbolique? Etroitement dépendante du scénario de la présidentielle américaine, cette interprétation est clairement manifestée par le traitement spécifique de l’image, devenue objet de l’intérêt médiatique, et par les commentaires exaltés qu’elle suscite («Les effets iconiques d'une photographie ne doivent pas être sous-estimés, car la vérité ne résiste pas aux icônes. En fait, les icônes ont toujours plus d'effet que la vérité», indique par exemple l’expert Ron Naiweld au média Voice of America).

La dimension fictive de cette projection, dont on peut noter le succès dans le camp trumpiste, est par ailleurs attestée par l’évolution de la réception de l’affrontement électoral. En l'espace de quelques jours, la portée de cette image qualifiée d’«historique» a été contredite par le rajeunissement de la candidature démocrate. Sa signification ne tenait donc pas à sa seule composition, mais plutôt à la lecture optimiste d'un attentat raté, transformé en présage d’une victoire facile de Donald Trump.

Références

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