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Billet de blog 2 avril 2022

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Un appel à l’esprit critique des chercheurs qui pratiquent l’expérimentation animale

Nos chercheurs et nos chercheuses sont pour la plupart dévoué(e)s, brillant(e)s et honnêtes. Mais ces qualités perdent de leur valeur sans un esprit critique vis-à-vis du paradigme actuel, qui repose sur une pensée enracinée à l’époque de Claude Bernard (1865).

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La France est l'un des trois pays européens qui pratiquent le plus l'expérimentation animale. En 2017, cette pratique a concerné 4 millions d’animaux. Ce chiffre comprend deux catégories : 1,9 million d’animaux utilisés dans des études scientifiques et 2,1 millions non utilisés mais nécessaires pour la reproduction des premiers ou à d'autres égards. La directive européenne 2010/63/UE « relative à la protection des animaux utilisés à des fin scientifiques » préconise le remplacement total des tests sur animaux comme objectif final. Citons son article 10 : « la présente directive représente une étape importante vers la réalisation de l’objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique. À cette fin, elle cherche à faciliter et à promouvoir les progrès dans la mise au point d’approches alternatives. »

Les deux principaux domaines d'utilisation des animaux sont la recherche fondamentale (38 %) et la recherche appliquée (30 %), qui, ensemble, représentent les deux-tiers des 1,9 millions d’animaux utilisés. C’est donc aux chercheurs et chercheuses dans ces domaines que le présent appel est destiné. Utiliser des rats, par exemple, pour étudier le cancer ou des cellules cancéreuses issues de patients suite à une chirurgie relève du choix qui est laissé à chaque chercheur.

Si nous écartons pour le moment la question de la pertinence de la souris (ou du rat) comme modèle des cancers chez l’homme, il s’avère souvent plus facile d’obtenir une autorisation pour expérimenter sur 100 souris que d’obtenir des déchets chirurgicaux humains destinés à l’incinération. Aussi faut-il savoir où trouver des cellules humaines si le chercheur ou la chercheuse n'est pas en contact avec les chirurgiens du CHU le plus proche. En l’occurrence, il existe aujourd’hui des bio-banques, comme celle du CRBIP (Centre de Ressources Biologiques de l’Institut Pasteur) qui conserve des échantillons biologiques d’origine humaine ainsi que les informations qui leur sont associées (1).

Toutefois, c’est le « modèle animal » qui est toujours le paradigme dominant de la recherche biomédicale. Retournons à la pertinence de la recherche animale par rapport à la santé humaine. Est-il possible que la plupart des chercheurs et des chercheuses qui défendent l'utilisation d'animaux ignorent deux principes fondamentaux des sciences du vivant, à savoir le principe de la « prédiction » et le principe de la « complexité » ? Concrètement, administrer une substance à un rat, un chien ou un singe ne permet pas de prédire son effet sur l’organisme humain, vu que toutes ces espèces sont des « systèmes complexes évolutifs » et également « adaptatifs », c’est-à-dire des systèmes qui, en interaction permanente avec leur environnement, adaptent leurs sous-systèmes par restructuration permanente pour atteindre des objectifs et notamment assurer leur survie. Un système complexe se caractérise également par la non-linéarité, la redondance et l’émergence, ce qui, collectivement, soutient la thèse qu’aucune espèce animale n’est un modèle biologique pour une autre.

Les vertébrés sont des systèmes complexes évolués. De tels systèmes peuvent manifester des réactions différentes à un même stimulus en raison : (1) de gènes ou allèles propres à une espèce donnée ; (2) de mutations propres à une espèce donnée; (3) de différences relatives à la structure des protéines et à leur activité ; (4) de différences liées à la régulation des gènes ; (5) de différences liées à l’expression des gènes ; (6) de différences au niveau des interactions protéine-protéine ; (7) de différences au niveau des réseaux génétiques ; (8) de différences liées à l’organisation anatomique et physiologique de l’organisme ; (9) de différences au niveau des expositions environnementales ; et enfin, (10) de différences sur le plan des histoires évolutionnaires.

Ces caractéristiques sont parmi les raisons importantes pour lesquelles les  individus d’une espèce réagissent souvent différemment aux médicaments et aux toxines, et souffrent de maladies différentes que ceux d'une autre espèce. Ces dix faits suffiraient à eux seuls pour conclure que les modèles animaux ne peuvent pas être prédictifs pour l’être humain ; que l’extrapolation entre espèces est impossible en ce qui concerne la réaction à un médicament et les maladies (2).

Chez les systèmes complexes, les conditions initiales sont d’une importance primordiale. Parmi ces conditions initiales, il faut inclure le patrimoine génétique d'une espèce animale donnée, puisque de ce patrimoine dépendra la façon dont l'organisme croître et effectuera ses différentes fonctions biologiques. Or, nous constatons une variabilité significative entre gènes homologues murins et humains, variabilité en termes de séquence génétique mais aussi d'expression génétique. De surcroît, les gènes fonctionnent en réseaux et pas de façon isolée. De tout ceci, une conclusion s'impose : la souris n’est pas un modèle prédictif pour l’homme (3). Les données empiriques en toxicologie confirment ce constat. Une des plus grandes études dans ce domaine obtient un taux de 43 % de corrélation entre rongeurs et humain (Leist & Hartung, 2013) (4). Si les résultats sur les rongeurs devaient servir à prédire les résultats chez l'homme, cette corrélation indique que la prédiction serait moins fiable que de jouer à pile ou face.

Le contribuable ainsi que la plupart de nos élus ignorent ces faits, de même que la crise de reproductibilité qui gangrène la recherche biomédicale et qui a des conséquences graves pour la santé humaine. Dans le domaine du cancer, les essais cliniques s’appuient largement sur des données issues de tests sur des animaux, alors que ces résultats ne sont reproductibles que dans 11 % des cas selon un article phare publié dans Nature (5). Ceci n’est pas une anecdote mais un problème systémique lié à la foi dans le modèle animal pour trouver des traitements en médecine humaine. Nos chercheurs et nos chercheuses sont pour la plupart dévoué(e)s, brillant(e)s et honnêtes. Mais ces qualités perdent de leur valeur sans un esprit critique vis-à-vis du paradigme actuel, qui repose sur une pensée enracinée à l’époque de Claude Bernard (1865).

Que devrait-il se passer pour que les chercheurs et les chercheuses trouvent le courage de mettre en évidence ce qui représente une de plus grotesques erreurs dans l’histoire de la médecine ?

Références bibliographiques :

  1. http://www.biobanques.eu/fr/nous-connaitre/membres/item/crb-institut-pasteur-crbip-paris
  2. https://antidote-europe.eu/modeles-animaux-ont-ils-valeur-predictive/
  3. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0079610713000539
  4. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3604596/
  5. https://www.nature.com/articles/483531a

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