Exclusivement produit par Monsanto à partir de 1974 (sous la marque Roundup), ainsi que par d'autres firmes depuis que son brevet est passé dans le domaine public en 2000, le glyphosate est le désherbant le plus vendu au monde. Il est pulvérisé chaque année sur des millions d'hectares de cultures agricoles.
Le 20 mars 2015, il a été classé « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Un an plus tard, plusieurs autres organismes ont émis un avis différent : il serait improbable que le glyphosate soit cancérigène... Parmi les tenants de cet avis figurent l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA/EFSA), ainsi que différentes agences nationales récemment chargées d'évaluer le risque sanitaire du glyphosate lorsqu'il est absorbé par voie alimentaire ou dans le cadre d'une exposition professionnelle.
En 2021, nouveau rebondissement. Des chercheurs de l'INSERM ont déclaré que le « lien entre glyphosate et certaines pathologies ou problématiques est plus fort que ce que l'on pensait jusqu'ici » (1). Toutes ces oppositions entre différentes institutions sèment la confusion auprès du grand public et peuvent amener une grande partie de la population à douter de ces autorités sanitaires. Cerise sur le gâteau, certains puristes du vocabulaire médical font la distinction entre les termes « cancérogène », qui désignerait une substance favorisant l'apparition d'un cancer, et « cancérigène », pour parler d'une substance favorisant le développement d'un cancer.
Alors, cancérigène ou pas, le glyphosate ?
D’abord faut-il poser les bonnes questions. S’agit-il de cancer chez les humains ou de cancer chez les animaux confinés dans les laboratoires ? La majorité des cancers chez l’homme sont des carcinomes tandis que la majorité des cancers chez les animaux sont des sarcomes, donc très différents.
Intéressons-nous à la santé humaine. Le glyphosate est en vente depuis 1974. Nous avons donc été exposés à ce produit (les agriculteurs en particulier) pendant presque 50 ans, ce qui aurait dû fournir d'abondantes données concernant son impact sur la santé humaine. Mais hélas, nous observons d'immenses lacunes dans les rapports des différentes agences responsables de la sécurité sanitaire. Par exemple, il existe très peu d’études épidémiologiques impliquant des agriculteurs et des consommateurs sur les niveaux d'exposition réels au glyphosate.
Comment l'expliquer ? De façon scandaleuse, vu les moyens scientifiques et technologiques dont nous disposons de nos jours, les informations requises par les agences de réglementation pour délivrer une autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire reposent principalement sur des études impliquant des rongeurs, notamment les rats. Cette réglementation date de 75 ans et est loin d’être en cohérence avec nos connaissances du 21ème siècle en matière de fonctionnement du vivant.
Pour nos médicaments, il existe un système de « pharmacovigilance » qui a pour objet la surveillance de leurs effets indésirables. Cette pharmacovigilance est en place tout au long de la vie d’un médicament. Pour les produits phytosanitaires, la surveillance n’est que symbolique et repose surtout sur des cas anecdotiques et des études menées par des chercheurs universitaires ayant un intérêt particulier en la matière, mais n’ayant pas forcément les moyens de réaliser les études qui confirmeraient leurs soupçons d’effets indésirables de tel ou tel produit phytosanitaire.
Concernant le glyphosate, ce qui ajoute à la confusion et donc fait gagner du un temps précieux aux industriels est la définition de ce qu'est la « substance active » du produit. C’est l’une des subtilités du dossier : le glyphosate, l’ingrédient actif du célèbre herbicide Roundup de Monsanto, n’est jamais utilisé seul. Le fabricant identifie le glyphosate comme étant le principe actif, bien que le produit en vente contienne de nombreuses substances déclarées comme étant « inertes » auprès des autorités de réglementation, comme les surfactants (agent qui permettent une meilleure émulsion des liquides organiques avec l’eau). C’est le cas du surfactant polyethoxylated amine (POEA) trouvé systématiquement dans les formulations commerciales du glyphosate. Ce surfactant est nécessaire car le glyphosate ne pénètre pas seul dans les feuilles, partie de la plante où il est absorbé. Or, certaines études ont démontré que le POEA est lui-même plus toxique que le glyphosate pur pour des organismes aquatiques ainsi que pour des cellules humaines (2).
L’avis des agences de réglementation concernant la toxicité du glyphosate se repose largement sur l’effet du « pur » glyphosate, ignorant l’impact réel du produit commercialisé. En particulier, ces agences donnent un poids déterminant aux résultats des essais standardisés fournis par les industriels.
Mais lorsque l’on teste les formulations commercialisées de glyphosate sur des rats, les résultats ne sont pertinents que pour les lignées de rats utilisées pour l’étude. Il est évident que nous avons besoin de sortir de ce schéma, dans lequel les industriels peuvent tester leurs produits sur une espèce d’animale éloignée de l’homme par 90 millions d’années d’évolution. L’espérance de vie d’un rat dans un laboratoire est de deux ans tandis que celle de l’être humain est d’environ 80 ans. Notre espèce a développé des mécanismes particuliers pour se défendre contre le cancer. C’est une des raisons pour lesquelles les cancers peuvent apparaître 30 à 40 ans après une exposition aux substances cancérigènes (tabac, amiante, etc.). C’est hélas aussi le cas pour les agriculteurs exposés aux produits phytosanitaires pendant de longues années avant l'apparition des premiers symptômes, d'où, entre autres difficultés, un parcours du combattant pour parvenir à prouver le lien de cause à effet entre exposition à tel produit phytosanitaire et maladie.
Que faire ? D'abord, remplacer sans délai les essais sur des animaux requis par la réglementation par des méthodes dignes du 21ème siècle, impliquant du matériel humain (cultures cellulaires en 3D, cellules souches, organe-sur-puce, etc.) (3). Il faudrait également instaurer l’équivalent d’une pharmacovigilance pour les produits phytosanitaires (une « phytovigilance » ?) afin de recueillir des données épidémiologiques précieuses, ce dont les autorités se sont bien gardées depuis presque 50 ans.
Références bibliographiques
- https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/
- https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30951798/
- https://antidote-europe.eu/entretiens/page/2/