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Billet de blog 10 janv. 2023

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Le patient obèse et le ouistiti

À l’Université de Strasbourg, des chercheurs ont utilisé de petits primates (ouistitis) pour tester une molécule censée faire perdre du poids. Vu que les humains ne sont pas des ouistitis de 70 kilos, peut-on continuer à justifier ce genre d’expérience sur des animaux au nom de la recherche scientifique ?

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À l’Université de Strasbourg, des chercheurs ont utilisé de petits primates (ouistitis) pour tester une molécule censée faire perdre du poids. Ces travaux ont fait l'objet d'un article scientifique publié en 2021. Lien vers la publication : https://www.nature.com/articles/s41366-021-00786-6

Pour justifier ce genre d'études, les chercheurs (et pas seulement ceux de l’Université de Strasbourg) appliquent une méthode bien connue. On va d’abord apporter des faits sur un problème majeur de santé humaine, en l’occurrence la pandémie d’obésité. Ensuite, on proposera une solution simple (genre pilule magique) pour régler ou atténuer le problème. Pour tenter de prouver l'efficacité de la molécule, on propose un “modèle animal”. Les chercheurs ont l’embarras du choix : il y a pléthore de lignées et d'espèces de rongeurs (souris, rat, hamster, cochon d’inde), pour beaucoup génétiquement modifiées.

Une fois la molécule évaluée sur des rongeurs, les chercheurs ont choisi le ouistiti comme deuxième "modèle animal", peut-être considérant qu'un primate serait plus proche de l’homme qu'un rongeur. Mais qu'en est-il ? Les ouistitis pèsent entre 120 et 400 grammes. À l'état sauvage, ils consomment les gouttelettes ou filets gluants de gomme qui suintent du tronc de certains arbres. On ne voit pas de ouistiti obèse dans la nature, preuve de leur mode de vie actif et d'un régime alimentaire adapté et équilibré.

Pour l’étude que nous analysons, 19 ouistitis mâles ont été répartis en trois groupes. Le premier (5 animaux) a reçu les croquettes standard composant l'ordinaire de la nourriture de laboratoire ; le deuxième groupe (8 animaux) a reçu une alimentation plus riche en calories (ajout de gras et de sucre) ; et le troisième groupe (6 animaux) a reçu cette même alimentation, enrichie de la molécule à tester (le candidat-médicament pour faire perdre du poids).

Chaque animal a été suivi pendant 16 semaines. Des prélèvements sanguins et des essais de tolérance au glucose ont été réalisés au début et à la fin de l'étude. Après quoi, tous les animaux ont été conservés pour être réutilisés pour la reproduction ou d'autres études.

Le compte-rendu des résultats mentionne que, sans traitement, les ouistitis exposés au régime riche ont pris du poids tandis que ceux qui ont reçu le traitement ont gardé un poids normal.

Les chercheurs en concluent que le ouistiti en surpoids représente un modèle expérimental de haute pertinence clinique pour étudier l'obésité pour évaluer les effets des thérapies émergentes ciblant ce problème. Selon ces chercheurs, leurs données confirment les effets préventifs de cette molécule dans un modèle de primate non humain et démontrent pour la première fois la grande puissance de ce médicament dans la promotion du (bon) cholestérol HDL.

Concrètement, quelle est la valeur scientifique de cette étude ? Sur le plan méthodologique, le fait de ne tester le médicament que sur des mâles présente le biais bien connu de la sous-représentation des femelles dans les études pharmacologiques (et de la sous-représentation des femmes dans les études cliniques). Par ailleurs, que conclure à partir de données obtenues sur seulement 6 animaux alors que les essais cliniques visant à évaluer l'efficacité d'un médicament chez l'homme portent sur au moins des centaines, puis des milliers d'individus ? Et même si les chercheurs avaient utilisé des animaux des deux sexes en nombre suffisant pour produire des analyses statistiques robustes, quelle en serait la pertinence pour l'être humain ? 

À ce jour, il n'existe pas de traitement médicamenteux miracle contre l'obésité. Certains médicaments permettent d'aider à la perte de poids et de limiter l'absorption des graisses alimentaires par l'organisme. Ils ne sont vendus que sur ordonnance dans le cadre d'indications précises.

Par ailleurs, l’obésité n’est pas simplement un problème de poids, ni de pourcentage ou de répartition des graisses. Depuis les années 1990, des troubles du comportement alimentaire  - encore largement sous-estimés - font également partie du problème. L’influence et l'impact de l’industrie du fast-food est un autre sujet de société qui joue un rôle important sur nos comportements alimentaires.

Compte tenu de ces enjeux et du fait que les humains ne sont pas des ouistitis de 70 kilos, peut-on continuer à justifier ce genre d’expérience sur des animaux au nom de la recherche scientifique ?

Pour en savoir plus, voir aussi : “Que fait le Centre des Sciences du vivant à Fontenay-aux-Roses avec nos impôts?” : 

https://antidote-europe.eu/fontenay-aux-roses-impots/

Références bibliographiques

Profil psychologique du patient obèse (revmed.ch)

The psychology of obesity - PubMed (nih.gov)

https://www.nature.com/articles/s41366-021-00786-6

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