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Billet de blog 17 décembre 2024

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L'industrie pharmaceutique face à un dilemme

Malgré les tests sur des animaux et malgré les essais cliniques, les effets indésirables des médicaments provoquent des dizaines de milliers de décès par an en France et plusieurs centaines de milliers d'hospitalisations.

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Les PDG de l’industrie pharmaceutique ne sont pas jugés par le nombre de vies qu’ils auraient sauvées, mais plutôt par le retour sur l’investissement des actionnaires. La pilule est difficile à avaler mais c’est le moteur de toute industrie : maximiser les profits.

Développer un nouveau médicament dans le but de le commercialiser pour le plus grand nombre possible de patients n’est pas à la portée de n'importe qui. En moyenne, il faudra investir environ un milliard d’euros et patienter dix ans afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) si tout se passe bien.

La partie la plus coûteuse sont les essais cliniques, c’est-à-dire les essais sur des volontaires sains (dits "de phase 1") et sur des patients (dits "de phases 2" et "de phase 3"), ce qui a fait naître l’adage au sein de l’industrie pharmaceutique : "fail often, fail early" (échouer souvent, échouer tôt).

Malgré les tests sur des animaux et malgré les essais cliniques, les effets indésirables des médicaments provoquent des dizaines de milliers de décès par an en France et plusieurs centaines de milliers d'hospitalisations. Le 31 mai 2022, Le Figaro publiait un article intitulé "Les effets indésirables graves des médicaments en forte hausse". On y lisait : "Le plus surprenant, c’est que les scientifiques ne comprennent pas pourquoi une telle hausse. «Il s’agit d’une tendance observée dans d’autres pays, mais nous n’avons pas d’explications claires», commente la Pr Marie-Laure Laroche, pharmacologue au centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Limoges, principale investigatrice de l’étude Iatrostat, menée par le réseau des 31 CRPV et présentée le 18 mai à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)." (1)

Pour prendre réellement la mesure de l'ampleur des effets secondaires des médicaments, encore faudrait-il que les données de pharmacovigilance (le suivi des médicaments après leur autorisation de commercialisation) soient fiables. Or, seuls entre 1 % et 10 % des effets indésirables subis suite à la prise de médicaments seraient déclarés (2). De quoi faire encore monter en flèche le nombre d'effets indésirables graves constatés si seulement ces accidents médicamenteux étaient tous déclarés, enregistrés et analysés.

Pourrait-on faire mieux pour la sécurité des médicaments en utilisant certaines technologies du 21ème siècle ? Les avancées des dernières décennies et notamment la mise au point de dispositifs issus de la bio-ingénierie sont assez spectaculaires. Prenons comme exemple concret la star des "organes sur puces" : le "foie-sur-puce". On parle de "puce" parce que la taille de ce dispositif est de l’ordre d’un centimètre carré. Dans un organe sur puce, on installe une perfusion qui mime la circulation sanguine pour s’assurer que les cellules (d’origine humaine) vont fonctionner de la même manière que dans l’organe entier.

Le foie-sur-puce a déjà fait ses preuves sur le plan scientifique. Il est capable de révéler des effets indésirables de médicaments de façon beaucoup plus fiable que tous les autres indicateurs utilisés en stade préclinique, c’est-à-dire avant les essais sur les volontaires sains et les patients. Il est également important de noter que les essais sur des animaux (rongeurs, chiens et singes) pour révéler les effets indésirables des médicaments au niveau du foie ne sont pas plus fiables que de jouer à pile ou face (3).

Dans une enquête récente menée par la haute autorité de santé aux États-Unis (la FDA), parmi les 81 patients traités par un médicament déjà commercialisé, sept ont nécessité une transplantation hépatique contre un seul dans le groupe placebo, et quatre patients sont décédés contre un seul dans le groupe placebo (4, 5). Ceci n’est pas un cas isolé. Les dégâts causés au foie par les médicaments représentent la raison principale de retrait d’un médicament du marché.

Ces tragédies soulèvent la question brûlante de pourquoi les agences de sécurité sanitaire n’imposent pas l’utilisation du foie-sur-puce en stade préclinique de façon systématique pour tout nouveau médicament ?  Cela pourrait sauver des vies parmi les patients, voire permettre de ne plus faire des essais sur des volontaires sains.

Voilà le dilemme qui se pose à l’industrie pharmaceutique : l'utilisation du foie-sur-puce autant pour les médicaments en attente d'AMM que pour ceux déjà commercialisés mettrait en évidence leur vrai impact sur le foie et pourrait ainsi mener à moins d'approbations et à davantage de retraits du marché. Alors, sécurité des médicaments ou bénéfices commerciaux ? Un cauchemar pour les PDG de l’industrie pharmaceutique mais une chance pour les patients. Qu'attendent les agences de sécurité sanitaire pour trancher en faveur de ces derniers ?

Références bibliographiques :

  1. https://www.lefigaro.fr/sciences/les-effets-indesirables-graves-des-medicaments-en-forte-hausse-20220530
  2. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02473574/document    
  3. Performance assessment and economic analysis of a human Liver-Chip for predictive toxicology | Communications Medicine
  4. Ocaliva, Azelaprag, and the Continuing Challenge of Drug-Induced Liver Injury: A Call for Human-Relevant Models | Emulate
  5. Serious liver injury being observed in patients without cirrhosis taking Ocaliva (obeticholic acid) to treat primary biliary cholangitis | FDA

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