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Billet de blog 21 mai 2024

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La supercherie des xénogreffes

Le public est incité à croire que la recherche représente la meilleure stratégie pour faire avancer la médecine. Mais qu'en est-il de la prévention, devenue le parent pauvre de la santé publique ?

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Selon les autorités de santé, le nombre de personnes en attente d’une greffe d’organe dépasse de loin la disponibilité de ces derniers. Comment expliquer cette pénurie ? Notre système de santé publique serait-il en échec dans ce domaine ? Parmi les nombreuses raisons qui pourraient expliquer cette situation, citons, par exemple, les diagnostics tardifs, les effets secondaires de certains médicaments, le tabagisme, l'alcoolisme ou l’obésité. Le public est incité à croire que la recherche représente la meilleure stratégie pour faire avancer la médecine. Mais qu'en est-il de la prévention, devenue le parent pauvre de la santé publique ?

En 2023, plus de 21 866 patients étaient en attente d’une greffe d’organe (foie, cœur, rein), alors que seules 5 634 greffes ont été réalisées cette même année (1). Face à cette situation, il existe a priori deux stratégies. La première serait de faire diminuer la liste d’attente des receveurs, c'est-à-dire d'améliorer l'état de santé de la population, notamment en favorisant une meilleure hygiène de vie dès le plus jeune âge. Les slogans "Bougez, mangez moins salé, moins sucré, moins gras" ne sont clairement pas suffisants pour mettre en place une réelle prévention.

La deuxième stratégie serait d'augmenter le nombre d'organes disponibles. Pour certains chercheurs, le manque d’organes d’origine humaine pourrait être compensé, du moins en partie, par des organes d’origine animale, notamment issus de porcs génétiquement modifiés. Le côté éthique concernant la souffrance animale est évacué très facilement, puisque les porcs sont considérés comme des animaux destinés à l’assiette pour beaucoup de gens.

Cependant, les chercheurs, tout comme les autorités de santé publique, ne seraient-ils pas en train de dissimuler les risques et les dangers de telles transplantations (appelés xénogreffes) pour les patients et pour la population ? En janvier 2022 aux États-Unis, un cœur de porc génétiquement modifié a été greffé chez un homme, M. Bennett, pour la première fois. Cette personne est décédée au bout de deux mois. Le journal Le Monde titrait alors : « Malgré le décès du patient, la première xénogreffe avec un cœur porcin est considérée comme un succès » (2). Est-ce bien sérieux ?

Il est important d’examiner quelle planification a eu lieu avant cette greffe.

L’équipe chirurgicale l'ayant réalisée à l’hôpital universitaire du Maryland avait auparavant tenté d'obtenir de la Food and Drug Administration (FDA) une autorisation de réaliser un essai clinique impliquant la xénogreffe de cœur de porc chez plusieurs patients. La FDA a exigé que l’équipe chirurgicale réalise dans un premier temps la procédure sur dix babouins avant de passer aux essais cliniques impliquant des patients. Mais en définitive, la FDA a autorisé la xénogreffe chez un premier patient pour des raisons que l’on pourrait qualifier de « compassionnelles » sans passer d’abord par les expériences sur les babouins (3).

Après le décès de M. Bennett, les langues se délient dans le milieu biomédical. « Il faut étudier les xénogreffes chez l’homme et non chez les babouins » déclarait le Docteur Chapman aux États-Unis. « Les différences entre les espèces nous empêchent d’aller plus loin avec ce modèle pour prédire le résultat clinique », ajoutait-il. Au nombre de ces différences, par exemple, considérons le fait que les babouins (et d'autres primates non humains) possèdent des anticorps différents des nôtres qui attaquent les protéines des organes de porc. De nombreux travaux ont donc été consacrés à rendre ces organes adaptés aux babouins et non aux humains. Tout cela est sans doute connu des autorités de santé. Alors comment expliquer la demande de la FDA ?

Autre commentaire intéressant, cette fois-ci suite aux greffes de rein de porc chez deux personnes en état de mort cérébrale et d'une greffe de rein de porc chez une personne vivante qui décède en 2024, elle aussi, au bout de deux mois : « Avec quatre patients, nous apprendrions bien plus que nous n'en apprendrions sur quarante singes », affirmait David Cooper, chirurgien spécialiste des transplantations au Massachusetts General Hospital de Boston. Et de suggérer : « Il est temps de passer aux essais cliniques et de voir comment se comportent ces cœurs et ces reins chez les patients. » (3)

Au chapitre des risques, il y a des « petits détails » que les médias grand public ne relayent pas forcément. Par exemple, le fait que ces patients reçoivent de fortes doses de médicaments antirejet, requises malgré les manipulations génétiques réalisées chez les porcs, ce qui rend ces patients beaucoup plus vulnérables aux infections.

Autre « détail » dissimulé, le fait qu’un certain virus de porc ait été trouvé chez le patient ayant reçu la xénogreffe de cœur après sa mort est inquiétant. « C'était surprenant. Ce porc est censé être exempt de tout agent pathogène porcin, et celui-ci est important », a déclaré Mike Curtis, PDG d'eGenesis, une société concurrente qui élève également des porcs pour la transplantation d'organes. « Sans le virus, M. Bennett aurait-il vécu ? Nous ne le savons pas, mais l’infection n’a pas aidé. Cela a probablement contribué à l’échec. » (4)

Effectivement, la transmission de virus des animaux aux humains est une préoccupation majeure pour de telles transplantations. Si un virus venait à muter dans le corps d'un patient de façon à devenir transmissible entre humains et infectait médecins et infirmiers, d'aucuns craignent qu’il ne déclenche une pandémie.

Le principe de précaution exige à minima un débat public avant de tenter des interventions aussi risquées pour les patients que pour la population. Ce débat devrait également prendre en compte les coûts de telles interventions versus les coûts d’une politique de prévention s’appuyant sur une stratégie visant une meilleure hygiène de vie dès le plus jeune âge.

Références bibliographiques :

  1. Chiffres 2023 du don et de la greffe d'organes - France Adot (france-adot.org)
  2. Malgré le décès du patient, la première xénogreffe avec un cœur porcin est considérée comme un succès (lemonde.fr)
  3. First pig-to-human heart transplant: what can scientists learn? (nature.com)
  4. Porcine Virus May Have Led to the Death of First-Ever Pig Heart Transplant Patient | Smithsonian (smithsonianmag.com)

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