Le consentement du patient est-il plus éclairé qu’en 1947 ?
Nous avons tous été ignorants et bernés en acceptant l’utilisation de « volontaires » humains sains comme moralement et scientifiquement acceptable lors des essais de nouveaux médicaments. La loi impose, en effet, que chaque nouvelle molécule soit testée sur des personnes saines après avoir été testée sur des animaux et avant d'être testée sur des personnes malades. Nos autorités sanitaires savent pourtant que les effets indésirables des médicaments sont la quatrième cause de mortalité dans nos sociétés occidentales, après les maladies cardiaques, le cancer et les attaques cérébrales (1).
Les faits parlent d’eux-mêmes. En moyenne, sur dix nouveaux médicaments déjà testés sur des animaux, un seul passera avec succès les essais sur l'être humain, dits "essais cliniques" (2). Ce chiffre ne reflète pas uniquement l'absence de fiabilité des essais précliniques sur des animaux, il souligne également certaines faiblesses inhérentes à la conduite des essais cliniques. Par conséquent, il est grand temps de moderniser la procédure actuelle d'essais de nouveaux médicaments.
Une réglementation vieille de 75 ans
Précision historique, c’est lors du procès des Médecins à Nuremberg après la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1947 que l’expérimentation humaine a été encadrée. L’obligation de recourir préalablement aux animaux dans les expériences et les essais médicaux pour protéger les êtres humains a été inscrite dans le Code de Nuremberg et dans les lois nationales et internationales qui en ont découlé, ainsi que dans les codes et déclarations qui s’en sont inspirés (3).
Toutefois, consciente de la faible pertinence des essais sur des animaux pour tenter de prévoir les réactions biologiques humaines, l’industrie pharmaceutique a réussi à glisser l’idée d’utiliser des personnes « volontaires » saines comme première étape avant de tester un nouveau médicament sur des patients. Cette étape se nomme “essais cliniques de phase 1" et implique quelques individus (normalement cinq à dix) en bonne santé. Elle connaît un taux d’échec assez élevé, puisque les animaux utilisés au préalable (rats, chiens et singes) ne réagissent pas forcément de la même façon que les hommes, ce qui nécessite souvent le remplacement de certains animaux par d’autres espèces ou lignées d’animaux afin que les résultats obtenus chez les « volontaires » sains et les animaux soient concordants. Cette manipulation dite de « corrélation rétrospective », discutable, voire incohérente sur le plan méthodologique, est acceptée par les autorités de sécurité sanitaire.
À ce stade, c'est principalement l'éventuelle toxicité de la nouvelle molécule qui a été testée sur l'homme puisque les "volontaires" étant sains, on ne peut évaluer sur eux l'efficacité du médicament. De par la conception même des essais cliniques, ces personnes ne peuvent tirer aucun bénéfice pour leur santé du fait de leur participation aux essais. Par contre, elles sont exposées aux effets indésirables non détectés sur les animaux. Comme pour toute expérience faite sur l'être humain, on leur demande de signer un formulaire de consentement "éclairé", c'est-à-dire qu'elles sont censées être informées des risques encourus. Mais dans quelle mesure peuvent-elles l'être si les essais sur des animaux ne fournissent pas des résultats fiables ?
Ayant franchi la première étape (phase 1), les responsables de l’essai clinique testeront le nouveau médicament en phase 2, c’est-à-dire, sur un groupe restreint de patients (100 à 200, par exemple) et si aucun problème significatif n'est rencontré, le produit sera testé en phase 3 sur un groupe de patients plus important (1000 à 2000, par exemple). Là encore, à partir de données non fiables sur des animaux et de données de toxicité sur des personnes en bonne santé (jeunes, robustes), sur quoi peut se fonder le “consentement éclairé" des patients qui acceptent d'intégrer un essai clinique ?
Enfin, si tout se passe bien, le fabricant du médicament obtiendra une autorisation de mise sur le marché (AMM) de la part de l’autorité de sécurité sanitaire responsable (en France, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé -ANSM-). Le produit est alors commercialisé et subira un suivi de pharmacovigilance (la phase 4) dont le but est d’identifier au sein de la population générale des patients, des effets indésirables non observés au cours des essais cliniques (phases 1 à 3). Le nombre de médicaments retirés du marché pour toxicité ou absence d'efficacité, voire les deux, prouve que tout le processus d'essais de médicaments serait à revoir. Si au cours des essais cliniques les volontaires et les patients doivent donner leur accord, nul consentement n'est requis de la part des patients auxquels un médicament approuvé sera prescrit, sans pour autant que la sécurité soit garantie...
Une remise en question depuis 40 ans
Si l’utilisation d'animaux en tant que « modèles » pour tester la sûreté et l’efficacité des médicaments pouvait intuitivement sembler cohérente en 1947, cela n’est plus le cas déjà depuis les années 1980. Un projet international a été lancé à cette époque par la Société scandinave de toxicologie cellulaire pour mieux évaluer les substances chimiques et produits pharmaceutiques (4). En utilisant des cultures cellulaires d’origine humaine, les chercheurs ont réussi à obtenir des résultats plus pertinents pour l’homme que les données issues de tests sur des souris et des rats. Ce projet n’a malheureusement jamais donné lieu à des applications concrètes, faute de subventions et d’intérêt de la part de l’industrie chimique et de l’industrie pharmaceutique, qui ont préféré conserver leur précieux « modèle animal » malgré les données scientifiques disponibles à l’époque.
Bien que des cellules humaines en culture ne puissent prétendre à informer sur ce qui se passe dans le corps humain entier, l'étude suédoise avait démontré que les données issues d'expériences sur des cellules humaines sont plus fiables et pertinentes pour la santé humaine que les données issues d'expériences sur des rongeurs. Il a fallu attendre 30 ans pour que la recherche sans animaux obtienne des subventions suffisamment importantes pour permettre le développement de nouvelles technologies dignes du 21ème siècle et impossibles à ignorer par les industriels et les agences de sécurité sanitaire. L’exemple phare est celui de l’Institut Wyss à l'Université Harvard aux États-Unis, pionnier en bioingénierie et microphysiologie (5), qui proposait le premier "corps-humain-sur-puce" en janvier 2020, après avoir développé différents "organes-humains-sur-puce" durant la précédente décennie (6).
Des méthodes fiables existent
Organes-sur-puce, organoïdes, cultures de cellules en 3D ou encore (ou combinés à) l'intelligence artificielle possèdent des capacités de prédictibilité pour la santé humaine auxquelles les tests sur des animaux ne peuvent tout simplement pas prétendre (7). Ceci représenterait une situation gagnante pour les patients, avec des médicaments plus ciblés et plus sûrs et avec moins d’effets indésirables, comme le démontre l’exemple du « foie-sur-puce ». Ce dispositif est une micro-reproduction d’un foie humain, ayant déjà fait ses preuves. Sur un échantillon d’une vingtaine de produits pharmaceutiques, le foie-sur-puce a correctement identifié 87 % des substances pouvant provoquer des lésions hépatiques tandis que les tests sur des animaux (rats, chiens, singes) requis par la réglementation n’ont pas pu identifier une seule des substances nocives (8).
Si cela est de bon augure pour le remplacement des essais sur des animaux, qu'en est-il pour les « volontaires » sains ? On pourrait envisager le remplacement de ces cobayes humains par un ou plusieurs tests de ce genre afin de débusquer au mieux les « faux positifs » et « faux négatifs ».
Science ou profits ?
Mais que pense l’industrie pharmaceutique de ces avancées ? Serait-ce possible que les industriels freinent le remplacement du "modèle animal" ? Il semblerait que oui. D'abord parce que les dispositifs tels que les organes-sur-puce sont à double tranchant pour les industriels. Reprenons l’exemple du foie-sur-puce. Si d'un côté il signale les nouvelles molécules les plus sûres, de l'autre, il pourrait réduire le nombre de candidats médicaments dans le pipeline des industriels, du fait qu'il révèle en stade préclinique des effets indésirables que les essais sur des animaux ne permettent pas de détecter.
Autre bémol du fait que les agences de sécurité sanitaire, pratiquent le « deux poids, deux mesures ». Depuis 1947, elles acceptent les données issues de tests sur des animaux alors que le « modèle animal » n’a jamais été soumis à une validation scientifique par rapport aux données connues sur l'être humain. Au contraire, les organes-sur-puce et autres méthodes d'essais sans animaux doivent subir des processus de validation minutieux, coûteux et chronophages, malgré la somme de données scientifiques disponibles en leur faveur. Cela retarde l’application des nouvelles technologies, ce qui fait perdurer inutilement les essais sur des animaux mais également l’utilisation de « volontaires » sains, avec des risques non négligeables pour la santé de ces derniers.
Combien de victimes avant de connaître les effets ?
Bien que les essais de phase 1 révèlent des effets toxiques des candidats médicaments, vu le petit nombre de volontaires impliqués et leur bonne santé au départ, nombre d'effets toxiques peuvent apparaître lors des phases ultérieures (2 et 3) menées sur des patients. Ainsi, ni les essais sur des animaux ni les premiers essais sur l'homme ne protègent vraiment les patients qui se prêteront aux essais cliniques.
L’industrie pharmaceutique prétend que ces essais sont sûrs et présentent un risque faible. Cependant, cette affirmation n’est pas étayée par la MHRA (agence de sécurité sanitaire au Royaume-Uni), qui a révélé que 7 187 participants à des essais cliniques avaient subi des « effets indésirables graves et inattendus suspectés » au cours de la période 2010 à 2014, dont plus de 10 % étaient des décès. Pire encore, selon un rapport parlementaire britannique publié en 2018, environ la moitié des essais cliniques ne sont pas déclarés, ce qui conduit à un biais important quant au nombre réel de personnes décédées ou blessées à la suite d'essais cliniques (9). Cette mauvaise nouvelle est corroborée par une étude faite aux États-Unis qui révèle que plus de la moitié des essais cliniques de phase 3 sur de nouveaux médicaments échouent... et la majorité ne sont pas publiés (10).
Il est temps d’abandonner les essais sur des animaux mais également l’utilisation des « volontaires » sains pour prétendre à une science médicale rigoureuse et respectueuse du vivant. Il est temps d'utiliser des méthodes modernes et fondées sur la science pour soumettre des informations fiables aux personnes dont on sollicite le consentement à un essai de médicament.
Références bibliographiques
- https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9555760/
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/
- https://antidote-europe.eu/public/TheNurembergCodeFR.pdf
- https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2688844/
- https://wyss.harvard.edu/
- https://wyss.harvard.edu/news/human-body-on-chip-platform-enables-in-vitro-prediction-of-drug-behaviors-in-humans/
- https://antidote-europe.eu/animal-pas-modele-biologique-homme
- https://www.nature.com/articles/s43856-022-00209-1
- https://publications.parliament.uk/pa/cm201719/cmselect/cmsctech/1480/1480.pdf
- https://www.apmnews.com/freestory/10/293426/plus-de-la-moitie-des-phases-iii-sur-de-nouveaux-medicaments-echouent