Andrea Fichot
Avocat
Abonné·e de Mediapart

26 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 novembre 2020

Andrea Fichot
Avocat
Abonné·e de Mediapart

Biden va-t-il abolir la peine de mort aux Etats-Unis?

Dans l'exultation internationale célébrant la défaite de Trump, Robert Badinter, dernier grand héros de notre République, s'est peut être réjoui en pensant à un sujet oublié de cette campagne américaine et pourtant si important : Joe Biden a été élu et il prévoit bel et bien d'abolir la peine de mort.

Andrea Fichot
Avocat
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son programme sur la justice, La mention n'apparaît pas en tête de liste. Et pourtant, si cette promesse se réalisait, elle serait historique pour les Etats-Unis :

  • "Eliminate the death penalty. Over 160 individuals who’ve been sentenced to death in this country since 1973 have later been exonerated. Because we cannot ensure we get death penalty cases right every time, Biden will work to pass legislation to eliminate the death penalty at the federal level, and incentivize states to follow the federal government’s example. These individuals should instead serve life sentences without probation or parole."

« Abolir la peine de mort. Plus de 160 personnes qui ont été condamnées à mort dans ce pays depuis 1973 ont ensuite été disculpées. Parce que nous ne pouvons pas nous assurer que la peine de mort soit prononcée à bon escient dans tous les cas, Biden travaillera à faire passer une loi pour abolir la peine de mort au niveau fédéral, et incitera les Etats à suivre l'exemple du gouvernement fédéral. Les personnes qui auraient pu être condamnées à la peine de mort, doivent à la place être condamnées à la prison à vie incompressible. »

Contrairement à Obama qui trouve la peine de mort profondément troublante en pratique mais qui n'y est pas opposé en théorie, arguant d'un droit pour la société à "exprimer son outrage" contre les crimes les plus odieux, contrairement aux derniers présidents démocrates (Clinton et Carter, même si ce dernier a changé d'avis depuis), Biden entre donc à la Maison Blanche comme abolitionniste. Sa colistière Harris, en tant que procureur, s'était quant à elle attirée les foudres des syndicats policiers quand elle avait refusé de requérir la peine de mort contre le meurtrier d'un jeune policier, y étant opposée par principe.

Si les démocrates finissent par obtenir la majorité de justesse au Sénat en gagnant les deux sièges de Georgie, et en comptant sur la voix prépondérante de la Vice-Présidente Harris en cas d'égalité au Sénat , tous les voyants seraient donc au vert pour que la plus vieille démocratie du monde abolisse enfin cette barbarie qu'est la peine de mort.

Presque tous. Les Etats-Unis, comme leur nom l'indique, ne sont pas un Etat-nation, mais une union d'Etats. Et même s'ils mettent en place des politiques beaucoup plus inclusives que l'Union européenne et sont bien sûr plus homogènes que cette dernière, bien des sujets que l'on imaginerait pas confiés à une autre autorité que le pouvoir central en France échappent à la décision des autorités fédérales américaines, dont celui de la peine capitale pour certains crimes prévus par les lois des états fédérés.

C'est le sens de l'extrait du programme cité de Biden : Ce dernier va tenter d'abolir la peine de mort au niveau fédéral et "incitera les états fédérés à suivre l'exemple du gouvernement fédéral". Sur la forme, il ne peut pas faire plus.

Sur le fond, les raisons invoquées pour abolir la peine de mort sont celle du pis aller. Un abolitionniste pur pense que la peine de mort est inhumaine par nature, et que même le pire des criminels barbares ne la mérite pas.

En effet, si la noblesse intellectuelle du combat de Robert Badinter a résidé dans le fait qu'il a défendu l'abolition en plaidant pour des criminels patentés comme Buffet et Bontems, le fait de demander cette abolition en reconnaissance de l'humanité inaliénable des auteurs de crimes violents et barbares serait inaudible outre-atlantique. En témoigne par exemple le fait que la plupart des films américains qui mettent en scène le combat contre la peine de mort le font avec des accusés qui se révèlent innocents, de Douze hommes en colère en passant par La ligne verte.

Ainsi pour gagner les indécis et peut être certains élus Républicains,  Biden évoque le nombre de personnes condamnées à mort depuis 1973 et finalement disculpées. Il préfère d'abord mettre en avant le risque trop grand de condamner à mort un innocent, raison qui parle à certains individus plus conservateurs qui ne sont pas opposés en théorie à la peine de mort, mais qui craignent l'erreur judiciaire.

C'est aussi pour cette raison qu'il prône à la place, la peine alternative de prison à vie incompressible, même si beaucoup de voix s'élèvent dans les pays démocratiques - y compris dans le nôtre, qui pratique encore cette peine contrairement à une idée reçue tenace- pour dire que la prison à vie est peut être encore plus inhumaine que la peine de mort : C'est ainsi qu'en 2006 des prisonniers français condamnés à de longues peines sans possibilité de libération conditionnelle ont demandé le rétablissement de la peine de mort.

La peine de mort est abolie dans 22 des États américains (sur 50) et elle est abolie en pratique dans 5 autres États. Le Président américain dispose d'un droit de grâce, mais seulement pour les personnes condamnées pour des crimes fédéraux. Il ne peut pas gracier un condamné à mort pour des crimes prévus par la loi d'Etats fédérés.

Ainsi, à moins d'un changement radical de la nature de l'Etat américain, la seule façon d'arriver à l'abolition totale serait que la Cour suprême des Etats-Unis renverse sa jurisprudence qui considère que la peine de mort n'est pas un châtiment cruel au sens du huitième amendement de la Constitution fédérale. Vu les dernières nominations opérées par Trump dans cette institution qui donnent une majorité de six juges conservateurs contre trois progressistes, et à moins que Biden ne mette à exécution sa menace d'augmenter le nombre de juges de la Cour suprême pour la rééquilibrer ("Court Packing", ce qui serait vécu par bien des observateurs de la politique américaine comme un coup de force inacceptable), l'abolition de la peine de mort ne viendra pas de la Cour suprême avant longtemps, même si celle-ci est paradoxalement pro-life puisque l'on estime qu'elle pourrait prochainement renverser l'arrêt Roe v. Wade autorisant l'avortement aux Etats-Unis.

L'élection de Joe Biden n'est donc pas la dernière marche vers l'abolition totale de la peine de mort aux Etats-Unis, mais elle est certainement une étape très importante.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte