Dans une Constitution de 1958 conçue par Charles de Gaulle et Michel Debré pour donner la primeur au pouvoir exécutif, et peu à peu grossièrement déséquilibrée en sa faveur avec l'instauration du quinquennat et un referendum porté disparu, tout est en place pour mettre fin au miracle de la cinquième République.
Il y a 700 ans, prenait fin le "miracle capétien" c'est à dire le fait que chaque Roi de France depuis Hugues Capet avait eu un hériter mâle pour prendre sa suite. En 1316, Louis X le Hutin est mort sans enfant, initiant ainsi une querelle de succession qui finit par déboucher sur le guerre de Cent Ans, et la mise en place pour la dévolution de la couronne, de la règle de primogéniture mâle, grâce à un opportun recyclage de la loi salique.
Si Emmanuel Macron est réélu, la continuation du miracle de la cinquième République est menacée. Car oui, la mise en place d'un pouvoir exécutif ultra dominant à la suite d'un quasi pronunciamiento en 1958, puis son renforcement progressif, sans que cela n'ait débouché jusqu'à nos jours sur une dictature, peut être considéré comme un miracle politique, au même titre que le miracle capétien.
De Gaulle avait beau assurer qu'à 67 ans, il n'avait pas l'intention de commencer une carrière de dictateur, nous n'avons pu le juger sur pièce -si l'on exclut 1946 quand il fut contraint de claquer la porte- que quand à la suite d'un referendum perdu, il quitta effectivement le pouvoir de lui même, initiant ainsi le miracle de la cinquième République : le maintien sur le long terme de ce qu'Edwy Plenel appelle une démocratie de basse intensité, lors même que tous les outils de notre constitution ou presque auraient permis l'exercice d'un régime autoritaire de type bonapartiste.
Le réalisateur Michel Hazanavicius ne s'y était drôlement pas trompé quand il fit dialoguer son personnage principal avec son second rôle dans OSS 117 :Rio ne répond plus . A Dolorès Koutchov qui, pour critiquer la junte brésilienne des années 60, demandait de façon rhétorique à Hubert Bonnisseur de la Bath comment il appelait "un pays qui a comme Président un militaire avec les pleins pouvoirs, une police secrète, une seule chaîne de télévision, et dont toute l'information est contrôlée par l'Etat", celui-ci répondit simplement à peine conscient, comme le sont tant de Français vis à vis de leur régime : "J'appelle ça la France, et pas n'importe laquelle, la France du Général de Gaulle", celle donc, dirigée par un officier militaire supérieur qui s'était en effet arrogé les pleins pouvoirs, qui avait à son service le sinistre SAC, et disposait d'une télévision d'Etat, seul media télévisé autorisé jusque en 1982 quand Américains et Anglais avaient accès à des chaînes libres depuis respectivement les années 40 et 50.
A l'heure où le referendum qui mettait en jeu la crédibilité du magistrat suprême, naguère seul outil qui permettait aux Français "d'aller chercher le Président", fait parti de l'Histoire, et où la mise en place du quinquennat a complètement marginalisé l'Assemblée nationale, le seul garde fou qui s'oppose encore à la toute puissance du monarque Républicain, est la limitation des mandats présidentiels à deux consécutifs.
Paradoxalement mis en place par l'hyper Président Sarkozy en modifiant en 2008 l'article 6 de la Constitution de 1958, cette limitation a justement comme principale limite qu'elle interdit seulement d'aller au delà de deux mandats consécutifs, mais contrairement à la Constitution américaine, et comme celle de la Russie, elle permet de faire plus de deux mandats, s'ils sont entrecoupés d'une pause de cinq ans.
C'est ce qui a notamment permis à Vladimir Poutine en 2008 de quitter le poste de Président de la Fédération de Russie après deux mandats pour devenir chef du gouvernement, et laisser à Dmitri Medvedev le soin de chauffer son siège en attendant qu'il le récupère en 2012. Deux mandats plus tard, on sait ce qu'il est advenu et Vladimir Poutine à réussi à faire adopter une révision constitutionnelle l'autorisant à briguer deux mandats supplémentaires.
Emmanuel Macron n'est certainement pas Vladimir Poutine. Mais plus longtemps l'on exerce le pouvoir, plus difficile il est de s'en détacher. L'hubris qui pourrait naître de se savoir le premier président réélu sans cohabitation, s'ajoutant à celle d'avoir conquis le pouvoir en 2017 en étant parti de rien pourrait griser un homme qui en 2027 aura 49 ans, autrement dit la vie politique devant lui. Les Français ont toujours depuis De Gaulle, ramené sur terre le Président à qui ils ont donné tous les pouvoirs en faisant en sorte qu'il ne soit pas reconduit après une période limitée de pouvoir quasi absolu. Ce temps sera peut être révolu le 24 avril prochain. Sans compter qu'à ce danger s'ajoute celui d'oppositions modérées réduites en cendres, tandis que la gauche radicale, première force d'opposition républicaine et démocratique, est menacée d'une future guerre des Diadoques à la suite d'un possible retrait de Jean-Luc Mélenchon.
Que fera Emmanuel Macron alors? Décidera-t-il en Cincinnatus moderne, de retourner à ses charrues de banquier? Envisagera-t-il un poste créé sur mesure pour lui dans l'UE ou à l'international? Ou alors, plus inquiétant, placera-t-il un homme à sa main en orbite pour être élu sous son label à la mandature suprême en attendant que le cooldown constitutionnel de l'article 6 s'écoule, afin qu'il puisse revenir en 2032 à 54 ans? Reviendra-t-il encore plus tard, imitant ainsi son alter ego libéral conservateur du XIXème siècle Adolphe Thiers, Président du Conseil dans les années 1830 puis Président de la République en 1873? Ou pire encore, tentera-t-il une révision constitutionnelle pour se maintenir?
Comme De Gaulle, on ne saura finalement si Emmanuel Macron à la démocratie chevillée au corps qu'au moment de tester sa capacité à abandonner le pouvoir. Entre temps, nous sommes dans la politique quantique. Tout ce que nous savons, c'est qu'un ingrédient de plus sera probablement ajouté à la possibilité d'une fin du miracle de la cinquième République : la bombe à retardement de la réélection au suffrage universel direct d'un Président de la République ayant réellement exercé le pouvoir.