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Billet de blog 11 novembre 2023

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Un inconscient antisémite d'Emmanuel Macron

Se demandant s'il devait aller ou non marcher à la manifestation contre l'antisémitisme de dimanche prochain, le Président de la République a cru bon de convoquer les Périgourdins et leur supposé manque d'intérêt pour l'antisémitisme. il a réactivé ainsi un vieux cliché antisémite utilisé naguère, à la Chambre des Députés, contre un ancien Président du Conseil de la troisième République.

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C'est le journal Le Parisien qui nous l'a appris le 8 novembre, Emmanuel Macron était dans un dilemme. Devait-il ou ne devait-il pas se rendre à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris dimanche 12 novembre, appelée par Gerard Larcher et l'une de ses lieutenantes, Yaël Braun-Pivet? 

Pesant le pour et le contre lors d'un dîner des cadres de son parti mardi, il a fait entrer dans la balance une curieuse considération, craignant d'« apparaître déconnecté des préoccupations des Français » et poursuivant :  « Pour certains, l’antisémitisme n’est pas ce qu’ils vivent au quotidien, ils ont d’autres préoccupations très concrètes comme les problèmes de pouvoir d’achat par exemple, de fin de mois difficiles. Je l’ai encore vu ce mercredi lors de mon déplacement en Dordogne, où personne ne m’a parlé d’antisémitisme ».

Or cette manière d'opposer les Juifs d'un côté, et les Français des terroirs de l'autre, n'est rien d'autre que la remontée à la surface d'un phantasme antisémite, qui dépeint les Juifs, dans un racisme faussement mélioratif, comme "peuple d'élite", comme l'avait fait De Gaulle pendant la guerre des Six jours, incapables qu'ils seraient de tisser des liens sincères et une communauté d'intérêt avec un peuple là aussi phantasmé de paysans enracinés, bourrus et simples, durs au mal et rustiques, dont un ennemi rusé et mal intentionné pourrait facilement se jouer pour abuser de sa générosité.

Cette rhétorique fut déployée avec une violence paroxystique lors de l'intronisation de Léon Blum comme Président du Conseil à la Chambre des députés, le 6 juin 1936. Léon Blum, premier chef du Gouvernement juif de France. Insupportable pour un certain Xavier Vallat, alors député, puis devenu ensuite le tristement célèbre commissaire aux questions juives du gouvernement de Vichy pendant la guerre. Ce jour là, il décoche ses flèches empoisonnées : 

« Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif. [...] Je dis, parce que je le pense - et j'ai cette originalité qui, quelquefois, me fait assumer une tâche ingrate, de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas - que, pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu'un talmudiste subtil. »

Cette proposition que je souligne en gras, bien qu'intolérable, bien qu'ignominieuse aux yeux de toute personne honnête qui la lit et même déjà de toutes celles qui l'ont entendue et lue en 1936,  est toujours présente dans l'inconscient collectif d'un certain nombre de Français, dont fait manifestement partie Emmanuel Macron.

La Dordogne est restée un des départements les plus ruraux de France, et il ne fait pas de doute que quand il convoque le Périgourdin aux "préoccupations très concrètes comme les problèmes de pouvoir d’achat par exemple, de fin de mois difficiles", il évoque cette image d'Epinal de la France rurale, du paysan aux origines modestes, enraciné dans les "territoires", aux préoccupations simples,  qui finalement n'aurait aucunement vocation à être le frère d'un Juif, lequel peut avoir des malheurs, mais reste trop rusé, trop "subtil" pour reprendre le mot de Vallat, et donc trop dangereux pour lui. C'est cette même caricature en opposés du Français paysan contre le Juif intellectuel, qui servit d'absolution à la grande masse des Français apathiques voire indifférents au sort réservé aux Juifs par Vichy et les nazis pendant la guerre. Il fallait d'abord se préoccuper de semer et de moissonner, et de rapatrier les semeurs et les moissonneurs prisonniers en Allemagne.

Cet inconscient antisémite, même chez ceux qui se veulent les défenseurs de nos compatriotes juifs, d'Emmanuel Macron à Gerald Darmanin, qui réactivait grossièrement la figure du juif usurier dans un livre sur Napoléon, devrait tous nous alerter sur l'immensité du travail qu'il reste à faire pour l'identifier et l'éradiquer. 

Ces préjugés sont gravés dans nos esprits par l'Histoire de notre pays, de Dreyfus à l'affaire Stavisky,  souvent passés subrepticement par la tradition familiale ou amicale, et fixés par un procédé bien connu de retenu de toute expérience qui les confirme, et d'oubli de toutes celles qui les infirment. Ils concernent aussi autant nos compatriotes musulmans, victimes de notre histoire coloniale, et toujours soupçonnés d'être des fellaghas en puissance capable de rééditer les massacres cruels de Philippeville en 1955 en Algérie, auxquels ressemblent tant ceux du 7 octobre 2023 en Israël, jusque dans la répression vengeresse, aveugle, industrielle, dix fois disproportionnée, qu'ils ont suscité. Ils sont le saillant de la maladie de l'esprit qu'est la xénophobie -qui touche autant les étrangers que nos compatriotes aux origines étrangères-, reprochant aux uns de ne pas assez s'intégrer, et aux autres, au contraire, de trop l'être dans les milieux de pouvoir.

Il serait illusoire de penser que la seule bonne volonté de la lutte générale contre le racisme suffirait à venir à bout de ces préjugés racistes et xénophobes. Au contraire, il faut les mettre à jour, les disséquer, les circonscrire, les extirper, quand ils sont imprudemment répétés, même et surtout de façon inconsciente, et de surcroît, par nos chefs politiques, de Macron à Mélenchon.

Les imprécations creuses conjurant les "valeurs de la République" que chacun cuisine à la sauce de ses propres préjugés, obsessions et agenda,  ne sauraient constituer un programme de lutte. Seule la résolution, sincère et dépourvue de volonté de nuire, de prendre conscience ensemble des monstres qui nous habitent et d'en guérir, nous sauvera tous des périls qui s'annoncent. 

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