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Billet de blog 21 octobre 2025

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Il est temps

Oui, après trois condamnations, dont une définitive pour corruption de magistrat, il est plus que temps d'enfin radier Nicolas Sarkozy du tableau de l'Ordre des avocats du barreau de Paris

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Il faut reconnaître à Nicolas Sarkozy qu'il est un homme qui sait faire feu de tout bois. Même le spectacle pathétique de son incarcération peut et doit être pour lui le moyen de démontrer l'étendue de sa puissance et de son influence : Du petit détail du camion de police qui se gare opportunément dans l'angle de vue des caméras pour éviter que les téléspectateurs puissent le voir passer les portes du pénitencier, en passant par les médias propriétés des milliardaires entièrement mobilisés pour accompagner la narration d'un "Capitaine Dreyfus" qu'on accable, jusqu'au pot de départ qui lui a permis de compter le peu de défections qu'il a eu a subir avec notamment la venue du secrétaire général de l'Elysée, et bien sûr la future visite du Garde des Sceaux au parloir après l'audience accordée par le Chef de l'Etat lui même, pour des raisons "humaines", qu'on peine à expliquer rationnellement, si ce n'est la connivence malsaine qu'entretient le Président de la République avec un homme condamné pour des faits d'une telle gravité.

Mais de tous les privilèges dont bénéficie encore Nicolas Sarkozy, il en est un qui dure, un peu oublié, c'est celui qui me forcera à appeler Nicolas Sarkozy "Confrère", si j'avais à le croiser fortuitement à la prison de la Santé dans trois semaines lors de ma permanence commission de discipline, si tant est toutefois qu'il ne bénéficie pas d'un autre privilège, celui de voir sa demande de mise en liberté examinée en un temps record.

Si vous vous rendez sur l'annuaire du barreau de Paris  et que vous y cherchez le nom de Nicolas Sarkozy, vous constaterez que Maître Nicolas Sarkozy est toujours en exercice. Malgré sa condamnation définitive pour corruption de magistrat. Malgré le fait donc qu'une telle condamnation définitive, pour des faits aussi infamants, grossièrement contraires aux obligations déontologiques de l'avocat, aurait dû normalement aboutir à sa radiation.

Cela s'explique facilement : A l'époque , l'Ordre des avocats du barreau de Paris avait pris fait et cause pour Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog, vent debout contre la possibilité pour les enquêteurs de pouvoir écouter les conversations secrètes entre un avocat et son client. Cette possibilité avait bien sûr été contestée par la défense de Nicolas Sarkozy, mais elle avait été in fine jugée parfaitement légale, car le secret des conversations entre un avocat et son client n'est protégé que s'il est utilisé dans l'exercice des droits de la défense et non pour commettre une infraction, ici, la corruption d'un magistrat.

Alors bien sûr, nous pouvons militer en tant qu'avocat pour que les enquêteurs coupent l'écoute dès qu'ils prennent conscience que la personne placée sur écoute converse avec son avocat, tant une telle pratique, si elle peut permettre de sanctionner des abus, a des externalités négatives énormes sur les droits de la défense dans une démocratie. Mais l'Ordre des avocats n'est pas un syndicat militant. Il doit appliquer la loi et nos règles déontologiques. A partir du moment ou la condamnation de Nicolas Sarkozy s'est faite sur une base parfaitement légale, il doit normalement en tirer les conséquences.

Mais il y a plus. Même pour des condamnations non définitives, l'Ordre peut engager des procédures disciplinaires car le pénal ne tient pas le disciplinaire en l'état. L'on pourrait comprendre qu'il s'abstienne avant la première condamnation, encore que tous nos Confrères ne bénéficient pas de la même mansuétude, voire très récemment pour une Consœur moins connue, au barreau de Rouen.

De plus, l'Ordre peut toujours prendre des mesures conservatoires de suspension avant toute condamnation définitive quand les soupçons à l'encontre d'un avocat sont graves, même au stade des indices graves ou concordants qui justifient une mise en examen tout en préservant la présomption d'innocence.

Qui y-a-t-il de plus grave qu'une condamnation -même frappée d'appel- pour association de malfaiteurs en rapport avec une collusion au plus haut niveau avec une puissance étrangère responsable de la mort de dizaines de Français dans un attentat? De surcroît, quand le procès a démontré que la demande de financement était une contrepartie à un éventuel pardon des auteurs de l'attentat?  Nicolas Sarkozy est présumé innocent, mais les éléments graves qui ont justifié le procès existent toujours.

Sans même parler de sa condamnation en première instance et en appel dans l'affaire "Bygmalion" ou il fut convaincu d'avoir plus que doublé le plafond autorisé pour sa campagne présidentielle de 2012 avec un système de fausse facturation. Là encore, en attendant la décision de la Cour de cassation il est présumé innocent.

Le Barreau a fourni une réponse, dans Le Monde de ce jour : "Inscrit au barreau de Paris depuis 1981, il est « propriétaire de parts [34 %] de son cabinet » d’avocats qu’il a cofondé en 1987, Realyze (6,8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024), spécialisé en droit des affaires. A ce stade, le barreau de Paris attend un jugement définitif dans l’affaire libyenne avant de vérifier, le cas échéant, si l’intéressé a commis une faute dans l’exercice de ce métier."

Cette raison donnée est une contre vérité. Il n'est absolument pas besoin que l'infraction pénale soit commise strictement en tant qu'avocat pour faire l'objet d'une sanction disciplinaire. Notre serment nous oblige à la probité et à la dignité dans tous les pans de notre vie, et dans toutes nos activités, liées à l'avocature ou non. Et comme dit précédemment, il n'est pas besoin d'une condamnation définitive pour prononcer une sanction disciplinaire, et a fortiori pour prendre des mesures conservatoires devant la gravité des faits.

Le fait d'avoir épargné Nicolas Sarkozy d'un point de vue disciplinaire nous amène aujourd'hui à la situation grotesque d'un avocat laissé en exercice alors qu'il est incarcéré.

Aujourd'hui, j'ai honte de porter la même robe que Nicolas Sarkozy -même si celui-ci ne l'a jamais vraiment portée au quotidien dans son exercice professionnel-. J'ai honte que la dignité d'avocat et son maintien contre toute raison, soit l'une des preuves les plus éclatantes de la persistance des privilèges dans notre pays.

Laisser à Nicolas Sarkozy sa robe dans ces circonstances exceptionnelles où il est incarcéré et où la gravité des faits pour lesquels il a été définitivement condamné a même justifié le retrait de sa Légion d'Honneur, ce n'est pas défendre un avocat, c'est défendre le membre d'une caste. C'est une salissure sur tous les avocats français et c'est aussi fouler au pied le combat pourtant porté par l'Ordre de tous les avocats étrangers qui sont injustement emprisonnés par des pouvoirs autoritaires.

Nicolas Sarkozy peut aujourd'hui faire sienne et détourner la phrase arrogante lancée un jour par Donald Trump : Il pourrait tirer sur un homme en plein Champs Elysées qu'il ne perdrait pas un gramme de ses privilèges.

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