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Billet de blog 23 octobre 2020

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Les deux étendards de l'extrême droite

L'assassinat du Professeur Samuel Paty fut une épiphanie plus grande encore que celle de Charlie et du Bataclan. La prise de conscience terrifiante que les forces de gauche de ce pays sont encerclées dans un réduit par la poussée irrépressible de deux extrême droites , celle des nationalistes, et celle des islamistes.

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Le destin accouche souvent de ces étranges coïncidences. Quelques heures après qu'un professeur d'histoire-géographie tombait sous les coups d'un fou de Dieu mais sans savoir ce qui c'était passé, je postulais, sur le site de l'académie de Paris pour devenir Professeur de droit au lycée, en parallèle de mes activités d'avocat et de chargé d'enseignement à l'université. Ma lettre de motivation fut simple : Avocat pénaliste, je pratique au jour le jour les libertés fondamentales et je détiens un savoir pratique que j'aimerais enseigner à des futurs citoyens.

Ma candidature validée, j'ai ensuite appris que celui qui avait été décapité pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo était enseignant. "Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place." ai-je pensé.  Sans même savoir si ma candidature pourrait être retenue, j'ai imaginé la fierté que je ressentirais, 15 ans après l'avoir quitté, de retourner au lycée, mais cette fois pour transmettre ce que j'avais appris, être un Soldat-Professeur, enseigner comme on tient une tranchée à Verdun.

Et puis, l'exaltation passée, j'ai repris mes esprits et j'ai contemplé le péril, dans toute sa monstruosité. Le Professeur Samuel Paty était un hussard sans sabre ni cheval. Il n'était pas préparé à devenir un martyr de la liberté, comme aucun de ses collègues . Les professeurs, vecteurs de l'émancipation de citoyens en devenir, sont pris en étau comme toutes les forces progressistes de ce pays. A gauche, du nouveau  : ce n'est plus Verdun, c'est la ligne Maginot, avec des ennemis des deux côtés qui veulent lui faire un sort de mort.

Longtemps j'ai pensé que ce qui faisait l'essence de notre pays, c'était le droit pour chacun de revendiquer, même des choses qui paraissent choquantes, et de porter ces idées dans le débat du public, surtout quand ces idées sont celles de ceux qui sont écrasés par le rapport de force infrastructurel. L'esprit d'une personne de gauche, doit toujours être l'ouverture, la tolérance du discours de l'autre, même en envisageant les choses les plus dérangeantes. Comme peut l'être l'islamisme.

Je me revois dans cette intervention sur Mediapart, quand quelques jours après le 13 novembre, après une garde à vue pour avoir manifesté contre l'état d'urgence, je défendais l'idée qu'en France, dans une vision maximaliste de la liberté d'expression, il devrait être possible de dire, comme l'imam de Brest le disait, que "si l'on écoute de la musique on va en enfer", qu'il devrait être possible d'être islamiste radical tant que l'ordre public était respecté, même si cela choquait nos conceptions de la laïcité et de l'ouverture , qui sont des règles importantes, mais qui comme toutes les lois, ne sont ni sacrées, ni immuables, ni universelles, et donc soumises au débat public.

Le crime de vendredi dernier m'a fait prendre conscience brutalement que pour la première fois en France, un attentat islamiste avait été commis par un fou, certes, mais aussi à cause du tapage bruyant de musulmans rigoristes. Brahim C., par qui tout commence, n'est pas un terroriste, mais c'est un musulman radical, prosélyte, qui trois semaines après l'attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, ne pouvait ignorer qu'il collait une cible dans le dos du Professeur Paty. En tout cas, il ne le devait pas. Charlie et le Bataclan ont été possibles car commis par des commandos surentraînés, pas Conflans-Sainte-Honorine.

C'est la prise de conscience qu'il ne suffit plus d'un fou de Dieu, mais qu'il faut aussi tout un village de bigots, virtuels ou non, pour assassiner un innocent.

Depuis l'attentat, chacun lance des procès en sorcellerie, entre les idiots utiles de l'islamisme, et ceux qui sont accusés de faire le jeu du racisme et de l'extrême droite, comme le démontre ce dialogue de sourds entre Rokhaya Diallo et Pascal Bruckner,ou les quasi accusations d'intelligence avec l'ennemi que subit Mediapart et son directeur de la publication.

La gauche est prise entre deux feux et son espace politique devient de plus en plus un réduit.

D'un côté il faut convenir que la religion, par nature même, en ce qu'elle se base sur un corpus de textes sacrés, immuables, ininterprétables et irréformables, basés sur une vision patriarcale et traditionnelle de la société , est une force conservatrice et ne pourra jamais constituer un vecteur émancipateur, qui est la raison d'être de toute personne qui se dit de gauche.

De l'autre la religion la plus dynamique de France est l'Islam, et il se trouve qu'elle est celle des déshérités économiques et sociaux de ce pays, des immigrés et enfants d'immigrés et qu'elle est donc la cible de l'extrême droite nationaliste, tandis que défendre les sans grades dans leurs aspirations sans les chapitrer est aussi une mission de la gauche.

Ainsi les forces politiques de gauche subissent comme un tir de suppression croisé qui les cloue au sol. Défendre les musulmans déshérités, c'est de facto se ranger et défiler aux côtés d'islamistes qui se servent de la gauche pour mieux mettre en place des préceptes qui n'ont rien à voir avec le progressisme et l'émancipation, et qui pour mieux séduire certains, développent un discours anticapitaliste rôdé sur la vanité de l'accumulation des choses matérielles, comme avaient pu le faire en leur temps les soit-disant chrétiens de gauche pour allumer un contre-feu au communisme.

Mais attaquer la religion musulmane en ce qu'elle a de plus conservateur et arriéré dans son message et dans son influence sur la vie sociale et économique des quartiers défavorisés, c'est de facto se ranger et défiler à côté de Le Pen qui entend aussi se servir des citoyens de gauches excédés par les attentats et les revendications islamistes pour mieux les phagocyter ensuite. Notre histoire regorge de ces hommes de gauche qui sont tombés dans ce piège et sont passés du côté obscur, de Doriot à Dieudo. Ce piège, car cette extrême droite là critique bien moins la religion musulmane que l'ethnie de ceux qui la pratiquent. Le combat contre l'Islam devient alors le faux nez du racisme d'un camps politique qui a en vérité toujours pratiqué avec délice l’alliance du sabre et du goupillon, dans un contexte ou l'immigration n'existait pas en France. Et si l'extrême droite nationaliste a encore peu frappé en France avec le seul attentat de Bayonne en 2019 contre plusieurs fois par an pour les terroristes islamistes, elle fourbit ses armes, et elle n'aura peut être besoin que des urnes pour abattre la République.

Le discours nuancé est devenu impossible au temps des réseaux sociaux qui tronquent, réduisent toute argumentation un tant soit peu mesurée, et de plus en plus souvent, commanditent des cyber-harcèlements, des agressions et des attentats, sans que l’État de droit ne puisse matériellement réagir devant la masse des prises de parole. Les femmes et les hommes de gauche de ce pays sont alors sommés de choisir leur camps, de choisir entre deux idéologies qui signeraient l'arrêt de mort de leurs idées.

Mais moi je ne choisirai pas. Nous savons depuis vendredi que certains musulmans rigoristes peuvent constituer, même sans le vouloir, une force auxiliaire pour les fous de Dieu, ouvrant la voie à une nouvelle Terreur et à des lois des suspects. Néanmoins je ne peux que constater que les musulmans pratiquants français et de France sont plusieurs millions, qu'ils subissent des discriminations, et que de ce fait, nous ne pouvons qu'envisager, à défaut d'avancer main dans la main, une tolérance de l'Autre sans baisser les armes intellectuelles, une coexistence pacifique, car sans cela, c'est la fin de la démocratie, et le début d'une nouvelle Saint Barthélémy. 

A nous de trouver, au delà de nos désaccords, des solutions médianes, transactionnelles, comme la France a toujours su le faire avant même qu'elle soit République, quand Henri IV signa l’Édit de Nantes, puis après qu'elle le soit, quand Aristide Briand arracha 1905.

Rien ne s'opposera alors à ce que la gauche, sociale et démocratique, s'oppose à la fois aux nationalistes qui se servent des musulmans comme bouc-émissaires, et aux islamistes, qui détournent nos libertés et les discriminations subies par leur audience,  dans le but d'asseoir une société religieuse vitrifiée dans la bigoterie et imposer d'autres inégalités. Les attentats islamistes malheureusement, continueront, "ils passeront" contrairement à ce qu'a dit le Président de la République, mais nous devrons tenir.

Et si nous gardons cette ligne de crête, alors la gauche fera face à la puissance conjuguée des deux étendards de l'extrême droite, et brisera l'encerclement.

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