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Billet de blog 15 février 2020

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Témoignage #1 : naissance d'Anouk, enfant atteint d'anencéphalie

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Anouk (18 juillet 2000 - 19 juillet 2000)

Source : https://www.anencephaly.info/fr/anouk.php

Vous vous êtes déjà posé la question de ce qui fait la valeur d’une vie ?
Est-ce le nombre d’années qu’elle dure ?
Est-ce que ce sont les choses qui ont été accomplies pendant cette vie ?
Comment est-ce qu’on définit une vie qui en vaut la peine ?
Un jour, on m’a demandé d’en décider.
Alors que j’étais au milieu de grossesse avec mon 4e enfant, le gynécologue m’envoie à l’hôpital pour une échographie approfondie. Là-bas, le spécialiste Dr. V., m’annonce que mon bébé à naître a une grave malformation. Une anencéphalie. Le nom est presque aussi barbare que ce qu’il signifie : le haut du cuir chevelu et du crâne sont absents et par conséquent, le cerveau ne peut pas se former comme il faut. L’espérance de vie d’un enfant atteint d’anencéphalie est de quelques heures à quelques jours après la naissance.
Le Dr. V. est très sûr de son diagnostic, il n’y a aucune chance de guérison.
« Et maintenant ? »
Si je le désire, on peut interrompre la grossesse. « Non, il n’en est pas question. » Même si je n’arrive pas encore à comprendre la portée de ses paroles, il n’y a aucun doute en moi : cet enfant, je l’aime et je ne veux pas écourter sa vie ne serait-ce d’un jour.
Sur cette réponse si claire, le docteur me dit: « C’est vous seule qui décidez. »
Le reste de la grossesse et l’accouchement devraient se passer tout à fait normalement. Le seul risque est une trop grande production de liquide amniotique, mais on peut facilement la contrôler et y remédier.
Si j’ai d’autres questions ? Je ne sais pas ce qui se passe autour de moi, si je vis réellement cette situation ou si ce n’est qu’un cauchemar. Comment formuler une question dans cet état ? Il m’offre de pouvoir lui téléphoner à tout moment et, si je le désire, suivre le reste des contrôles dans son cabinet.
C’est seulement une fois à la maison, dans les bras de mon mari, que je peux pleurer toutes les larmes de mes yeux. Pour lui aussi, il n’y a aucun doute : il faut aller jusqu’au bout de cette grossesse.
Notre aînée voit tout de suite que quelque chose ne va pas bien. Ainsi j’essaie d’expliquer aux enfants que ce bébé mourra tout de suite après sa naissance. « On n’a qu’à prier, Jésus va le guérir ! » Oui, c’est ce que nous leur disons toujours. Mais là je ne pense pas que Dieu veuille le faire.
Mon oncle qui est médecin m’encourage à donner à ce bébé les mêmes droits qu’à un autre. Il faut que j’essaie de vivre le plus normalement possible. Ces paroles me secouent, car une de mes premières pensées, après le diagnostic, était de savoir comment j’allais vivre encore quatre mois et demi avec, en moi, un être voué à la mort.
La nuit qui suit est la pire de ma vie. Je n’arrive pas à fermer l’œil, mes pensées tournent en rond. Brisée, je me lève le lendemain matin pour m’occuper de mes enfants.
Notre pasteur et sa femme nous rendent visite. Ensemble nous prions pour que Dieu nous guide et nous console.
Ma sage-femme aussi m’encourage de continuer à vivre normalement et de donner à ce bébé tout ce que je donnerais à un enfant en bonne santé. Il a les mêmes droits à l’amour et aux bons soins qu’un autre. Nous devons aussi profiter du temps qui nous reste pour préparer l’accouchement, afin que tout se passe comme nous le voulons.
Elle me donne également l’adresse d’un site Internet sur l’anencéphalie. C’est là que je vois pour la première fois des photos de bébés atteint d’anencéphalie. Les témoignages d’autres parents concernés m’aident beaucoup dans les jours qui suivent. Je ne suis pas seule, d’autres ont vécu la même chose. Ce n’est pas complètement insensé de vouloir aller jusqu’au bout de la grossesse. Si le monde ne peut comprendre notre décision, Dieu le peut. Il me le montre tous les jours par des versets bibliques qui me touchent profondément, me donnent du courage, m’aident concrètement. Ainsi, un matin, je lis les versets suivants :

« En effet, ce qui est mortel doit se revêtir de ce qui est immortel ; ce qui meurt doit se revêtir de ce qui ne peut pas mourir. Lorsque ce qui est mortel se sera revêtu de ce qui ne peut pas mourir, alors se réalisera cette parole de l' Ecriture : La mort est détruite, la victoire est complète ! O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton pouvoir de blesser ? Mais loué soit Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ! » [1 Corinthiens 15.53-57]

C’est dans ces versets que se trouvent mon espoir et ma force ! Parce que je crois en ces paroles, je pourrai vivre les mois à venir confiante ! Ce n’est pas l’espoir d’un miracle qui me permet de tout supporter, mais l’assurance de la résurrection et de la vie éternelle de ce bébé ! Que vont peser 80 ans (si tout va bien) contre toute l’éternité ?
Pour que nous puissions donner un nom à notre enfant déjà maintenant, vivre le temps qui est devant nous le plus consciemment possible, nous désirons quand même savoir si c’est un garçon ou une fille. Au prochain contrôle, le gynécologue m’apprend que nous attendons une petite fille. Elle s’appellera Anouk. A part ça, la consultation se déroule assez mal. Le médecin ne m’écoute pas du tout. Il ne veut que me donner son avis à lui et ne veut pas admettre que nous nous sommes déjà décidés depuis longtemps pour Anouk. Pour lui, des gens normaux ne peuvent pas penser ainsi ! Je ne retournerai pas chez lui.
Je n’ai aucune complication durant toute la grossesse, tout se passe normalement. Maintenant, j’essaie de jouir de chaque moment des semaines qui nous restent. De me réjouir de chaque mouvement d’Anouk, et elle bouge beaucoup. Chacun de ses petits signes est quelque chose de précieux. Je réalise combien je tiens à chaque jour de sa vie, lorsque je ne la sens pas bouger pendant toute une journée. « Et si elle était morte ? » Quel soulagement lors du prochain coup de pied !
A la recherche d’autres parents concernés, j’ai frappé à toutes les portes imaginables, mais sans résultat. L’anencéphalie est assez rare (heureusement) et presque toutes les femmes avortent après le diagnostic. Mon dernier espoir est une annonce que j’ai mise dans un journal pour familles. Ma patience (deux mois et demi avant la parution de l’annonce) est récompensée : trois familles me téléphonent. Cela fait tellement de bien de pouvoir parler avec des gens qui ont vécu la même situation. Leurs récits m’encouragent, leurs expériences me donnent de nouvelles impulsions.
Le Dr. V. organise une rencontre avec un néonatologue de l’hôpital. Nous pouvons lui expliquer comment nous imaginons la courte vie de notre fille. Nous émettons quelques désirs et il est d’accord de déroger aux habitudes pour nous. Cette discussion me remue, car je réalise tout à coup qu’il n’y a plus que quelques semaines jusqu'à la naissance d’Anouk. Après, tout deviendra réalité.
Des choses toutes pratiques me font peur : comment se passera l’accouchement ?

Comment réagirons-nous face à la plaie de la tête ?

Anouk pourra-t-elle boire ?

La naissance d’un bébé anencéphale ne se déclenche souvent pas toute seule. A cause de l’absence de parties du cerveau, les hormones responsables ne peuvent être produites. Dr. V.  me propose de provoquer l’accouchement par médicaments au moment voulu.
Les derniers jours avant le terme sont assez difficiles. Chaque heure semble durer une éternité, j’ai de la peine à penser à autre chose qu’à l’accouchement. Cela m’occupe tellement que je voudrais être toute seule sur une île. Les gens autour de moi m’énervent. Ils sont très gentils, me demandent comment je vais, me témoignent leur sympathie. Mais moi, j’aimerais être pour moi toute seule. Mon humeur change d’une minute à l’autre, de la joie immense au creux le plus profond.
Physiquement je vais bien. Il n’y a pas ce tiraillement habituel avant l’accouchement. Il y a la paix. Mais spirituellement c’est la tempête. Je me fais du souci, j’ai peur de ce qui m’attend. Un accouchement normal n’est déjà pas une partie de plaisir, ici se rajoute toute l’insécurité de « l’après ». Mais Dieu est là ! Il ne nous fait pas toujours passer à côté de l’épreuve, mais il nous aide à la traverser.

« Ne vous inquiétez de rien ; mais, en toutes choses, par la prière et la supplication, avec des actions de grâces, faites connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Christ-Jésus. » [Philippiens 4.6-7]

Le jour avant le terme, j’appelle Dr. V. pour demander la provocation de l’accouchement pour le lendemain. Jusqu’au dernier moment, j’ai espéré que le travail se mette en route tout seul, mais maintenant je ne peux plus attendre. C’est trop dur.

Anouk naît le 18.07.2000 à 17 heures 21 après un accouchement normal, très court et sans aucune complication. La sage-femme lui met juste un petit bonnet et je peux enfin la tenir dans mes bras.
Elle vit !
Va-t-elle se mettre à respirer ? Le monde autour de moi s’arrête, la seule chose qui compte est ma fille. Chaque seconde avec elle est infiniment précieuse, et nous sommes si reconnaissants. Alors que je sais pertinemment qu’elle va bientôt mourir, je ne peux que jubiler. La joie remplit la pièce autour de nous. La joie et la paix.
Tout doucement Anouk se met à respirer, d’une manière très espacée au début et toujours plus régulière après.
Maintenant je la regarde de plus près. Elle me semble minuscule, surtout la tête. Le bonnet, que j’ai pris soin de tricoter très petit, est quand même trop grand. Je ne veux pas encore regarder dessous. J’essaie de m’imprégner du reste de son corps. Je vois ma fille, un bébé avec une malformation terrible, mais tout d’abord ma fille.
Elle ressemble aux trois autres à la naissance. On aurait pu les confondre et Anouk ne fait pas exception. Et voilà qu’ils arrivent faire la connaissance de leur petite sœur. Intimidés par la salle d’accouchement avec tous ses appareils, désécurisés parce que maman est couchée dans ce lit blanc et ne peut se lever pour les accueillir. Ils regardent Anouk pleins de curiosité, posent un tas de questions. Personne ne veut la porter. Avec sa peau violette, elle a l’air bien étrange. Nous faisons beaucoup de photos pour pouvoir nous souvenir plus tard.
Après que nos parents aient passé, je suis seule avec Anouk. Je pense qu’elle est sourde et même si elle ouvre tout grands ses yeux bleus, elle est aveugle. Depuis la naissance elle n’a plus jamais bougé. Mais elle est capable de réagir à l’amour que nous lui témoignons. On voit clairement des réactions. Car l’amour est donné et reçu avec le cœur. Nul besoin d’avoir un cerveau pour cela.
Maintenant je suis prête à jeter un coup d’œil sous le bonnet taché de sang. La plaie n’est pas belle du tout, mais elle fait partie d’Anouk et ne me choque pas.
C’est tellement paisible dans la chambre d’hôpital. Je suis si contente qu’Anouk vive. Mais je dois m’avouer que je serai soulagée quand elle mourra. Son corps n’est pas fait pour vivre, il n’y a aucun doute.
Vers deux heures du matin, elle pleure un petit peu, sa respiration devient difficile. J’appelle le néonatologue qui lui dégage les voies respiratoires. Elle se calme, mais respire quand même avec plus de peine qu’avant. Et toujours plus lentement. Peu avant 6 heures 30, Christophe et moi prions pour elle, la remettons entre les mains de son Père céleste. Elle respire encore une fois, puis dans une paix incroyable, elle s’en va.
Je n’ai pas besoin de médecin pour savoir qu’il n’y a plus de vie. Je ne tiens dans mes bras plus qu’une enveloppe vide.
Je pleure, pleure...
Avant de laver et d’habiller Anouk, nous faisons des empreintes de ses mains et de ses pieds. Il est important pour moi d’avoir le plus de souvenirs possible. Plus tard, je pourrai toujours les jeter, mais jamais en rattraper.
Ensuite, plus rien ne nous retient à l’hôpital. Nos grands ont besoin de nous à la maison, pour Anouk nous ne pouvons plus rien faire. Elle reposera à la morgue de l’hôpital en attendant l’enterrement une semaine plus tard.
Je quitte l’hôpital en pleurant, je pleure dans la voiture, et lorsque notre fille nous demande à la maison où est Anouk, c’est reparti. Je passe le reste de la journée au lit avec une boîte de mouchoirs. Mais il n’y a pas d’amertume. Je ne regrette pas une seconde des derniers mois. Je me réjouis malgré toute ma tristesse d’avoir pu porter Anouk pendant 9 mois dans mon ventre, d’avoir pu l’aimer, tisser des liens avec elle pendant ces mois et finalement d’avoir pu la porter dans mes bras et la connaître.
Ça me fâche lorsqu’on déclare les bébés comme elle « incompatibles avec la vie ». Les mois entre le diagnostic et la mort ont été remplis de vie pour nous, pour elle !
Des moments tristes, mais aussi de la joie immense. La vie quoi !
Si après le diagnostic nous avions décidé d’avorter, nous aurions manqué tout ça.
Anouk en valait la peine.
Monika Jaquier

Illustration 2

***

Prendre soin d'une famille qui attend un bébé atteint d'anencéphalie en tant que sage-femme

Source : https://www.anencephaly.info/fr/sage_femme.php 

Voici deux articles des sages-femmes qui ont accompagné la famille d'Anouk

#1 Qu'est-ce que cela signifie pour moi, sage-femme, d'accompagner cette famille ?

Je pense que ma toute première réaction a été la compassion.


Car on ne peut pas rester insensible à une telle nouvelle, et je crois que nous pouvons en tant que professionnelle « pleurer avec ceux qui pleurent ».
Puis il y a eu la recherche d'informations.

Durant mes études, un nouveau-né anencéphale était non-viable donc on interrompait la grossesse dès la découverte par une échographie. Cela faisait donc partie des pathologies que nous ne voyions plus, fort heureusement. En recherchant dans la littérature médicale ainsi que sur le net, toujours les mêmes informations, cela s'arrête au diagnostic par les ultrasons. J'avais connaissance néanmoins d'une famille aux USA, qui n'avait pas interrompu la grossesse. J'ai continué à chercher et j'ai trouvé sur le net un site de parents d'enfants anencéphales, qui témoignait de la courte vie de leurs enfants.
Il y avait donc un choix possible. Par une information réaliste, je pense que nous devons accompagner les parents dans leurs choix. En les aidant à peser le pour et le contre de poursuivre ou non la grossesse. Cette situation ne touche pas seulement le domaine médical, mais aussi la philosophie de vie de chacun, son éthique. Il est donc important pour les parents que nous puissions aussi entendre ces aspects-là et ne pas nous mettre à leur place avec nos valeurs. De plus, cette situation a des répercussions sur tous les membres de la famille. Il est donc important de tenir compte des limites de chacun.
La préparation à la naissance sera donc plus axée sur les sentiments de chaque membre de la famille (même élargie), de leurs interactions. Il me paraissait aussi important de respecter le rythme de chacun dans le processus d'acceptation de cette situation et de deuil. Il y a une part de la préparation à la naissance qui est la même que chez n'importe quelle famille. Et il est essentiel de le faire, car cette femme qui est enceinte et attend un enfant a les mêmes questions que pour ses autres grossesses ainsi que le même besoin de partager une certaine normalité avec d'autre femmes enceintes.
Il est cependant important d'aborder au bon moment la malformation de leur enfant et comment y faire face, ainsi que les détails qui entourent le deuil. Je pense qu'il est important de prévoir ces détails à l'avance, car sur le moment, les événements s'enchaînent très rapidement et les heures qui entourent la naissance passent très vite et sont très intenses en émotions.
Cette dualité d'une situation à la fois normale et à la fois particulière reste présente dans les soins concernant l'accouchement et ceux du post-partum. Nous avons à chaque fois à informer le plus justement possible et à laisser le choix aux parents. Est-il mieux de provoquer ou d'attendre ? En cas de montée de lait après le décès et de sevrage, faut-il redonner des médicaments ou accepter ces signes comme une normalité ? Je pense important que chaque famille ait le temps de trouver sa réponse. Chaque famille ayant des ressources différentes.
Il est donc important, même si le nouveau-né est décédé, de prodiguer les mêmes soins à ces mères même si elle sortent rapidement de l'hôpital et qu'elle ne présentent pas de problèmes médicaux majeurs. Et la période post-partum dure le temps que la famille puisse à nouveau se tourner vers l'avenir.
Corinne Meyer, sage-femme indépendante

#2 Accouchement d'un bébé atteint d'anencéphalie

C'est dans le cadre de mon travail de sage-femme à la maternité du CHUV, que j'ai entendu parler de la situation de la famille J. Le couple désirait mener la grossesse de leur bébé anencéphale à terme. Le médecin qui les suivait en a informé le personnel de la salle d'accouchement en des termes qui induisaient le respect.
Dans la charte des hospices, on peut lire dans les droits et devoirs des collaborateurs : « ils ont le devoir de travailler dans le respect des règles éthiques et déontologiques, de pratiquer le respect mutuel et la coopération... » Et des patients : « ... ils ont le droit de recevoir des soins appropriés dans le respect de leur personne, de leurs valeurs morales, culturelles et spirituelles et de collaborer à leur traitement... »
A une époque où la « norme sociale » va dans le sens d'interrompre la grossesse lors de pathologie grave du fœtus, la demande de ce couple a été pourtant entendue et respectée. La prise en charge de cette situation s'est faite dans l'esprit des valeurs promues dans la charte des hospices.
Madame J. a été provoquée le jour de terme selon sa demande. Il est rare que l'accouchement d'un bébé anencéphale se déclenche spontanément. Il semble que « le fœtus participe au déclenchement du travail par l'intermédiaire de son hypophyse et de ses surrénales comme tendent à le prouver les prolongements de la grossesse chez les anencéphales dont ces glandes sont à l'état d'atrophie » (Précis d'obstétrique, R. Merger, J. Lévy, J. Melchior, Mosson, 1985).
Le travail s'est rapidement mis en route et nous avons accueilli Madame J. en salle d'accouchement dans l'après-midi alors qu'elle était déjà à 7 cm de dilatation. Elle nous a donné des petits bonnets de différentes tailles à mettre à son bébé avant de le lui donner dans les bras. Elle a mis au monde son bébé en présence de 2 sages-femmes et de 2 médecins dans un climat d'intensité et de calme « religieux ». J'ai pris son bébé sur le chariot de réanimation pour la sécher et lui mettre son petit bonnet. Elle respirait spontanément. J'ai pu rapidement la donner à sa mère.
L'accueil de cette enfant m'a impressionnée. Elle a été regardée comme un nouvel être à découvrir, alors même que ses parents savaient qu'elle allait mourir. Je propose quelques hypothèses d'explications à cet accueil :

  • le bébé étant à terme est plus « attirant » qu'un bébé prématuré, malgré son handicap. J'avais déjà vu un bébé anencéphale à environ 32 semaines et il m'avait semblé beaucoup plus impressionnant.
  • La période d'attente entre le moment du diagnostic et la naissance a permis au couple de commencer un processus de deuil. Quand leur enfant est né, ils ont pu l'accueillir, non pas dans un stade de deuil, mais dans un stade ultérieur du deuil, plus proche du stade de l'acceptation.
  • « Attribuer une valeur humaine à son enfant est généralement un processus naturel, immédiat et le plus souvent antérieur à la naissance (pendant la grossesse, voire même avant la conception). Ce processus est remis en cause, questionné, à l'annonce d'un handicap. L'humanisation adviendra ou non en fonction du poids respectif des images de handicap, du désir d'enfant, des compétences actuelles du bébé et de l'histoire traumatique des parents » (AFREE, Cahier n ° 6, Handicap, médecine, éthique, décembre 1993). Dans cette situation, d'une part, l'enfant était désiré, d'autre part, la représentation des parents par rapport au handicap est probablement positive et n'induit pas le rejet ou l'exclusion, mais plutôt l'acceptation. L'enfant a respiré spontanément et a permis à sa mère en particulier de le découvrir vivant et de passer quelques heures avec elle. Elle l'a regardé passionnément en essayant de trouver des ressemblances avec ses frères et sœurs (et il y en avait !).
  • Les mères ont un regard sur leur enfant qui est différent de celui d'une personne extérieure puisqu'elles ont une connaissance « intérieure » de leur bébé. Elles l'ont senti bouger, elles lui ont parlé, elles ne peuvent pas « l'oublier » puisqu'il prend de la place en elles. Dans ce cas, le regard de Madame J., remplie d'un amour inconditionnel, était particulièrement frappant.
  • Madame J. attendait son quatrième enfant et son instinct maternel a eu le temps de s'élaborer. Elle savait comment elle voulait accueillir son bébé et elle a pu le vivre conformément à ses attentes.

Après quelques temps, ce sont les frères et sœurs qui sont venus voir le bébé. Leur père est allé les chercher dans la salle d'attente et les a amenés vers leur mère. Il y avait de leur part une certaine appréhension, surtout de l'aînée, mais les enfants n'oublieront certainement jamais l'accueil que leurs parents lui ont fait. Cette expérience participera à la construction de leur représentation du handicap. La vision de leur sœur handicapée leur permettra aussi d'intégrer cet événement plutôt que de le vivre dans un climat de mystère, de non-dit déstabilisant et générateur de fantasmes.
« Le corps est le point d'ancrage dans la réalité. Voir le corps, c'est donner un visage à la perte. C'est l'inscrire dans une histoire. Le corps qui n'a pas été vu laisse une impression flottante. » (Profil femme, p.29, n° et date inconnues).
Plusieurs photos de l'enfant, seule et avec sa famille ont été prises. Elles permettront à chacun de garder un souvenir tangible.
Madame J. a gardé son bébé dans ses bras presque tout le temps passé en salle d'accouchement. Au bout de deux heures environ, elles sont allées dans une chambre à l'étage et c'est là que quelques heures plus tard, au petit matin, cette petite fille est morte à côté de sa mère.
Pour l'équipe soignante, cette situation, bien que pathologique et triste, a été vécue intensément mais sereinement grâce au respect des sentiments et des convictions de cette famille propice à l'accueil de la différence.
Anne Michaud, sage-femme
Epalinges, le 28.02.2001

Voir également : 

Anencéphalie : 20 raisons d'y réfléchir à deux fois avant d'interrompre une grossesse

Est-ce que l'anencéphalie est « mortelle » ou « incompatible avec la vie » ?

Site internet principal : https://www.anencephaly.info/fr/index.php

Témoignages de parents ayant donné naissance à un enfant atteint d'anencéphalie : https://www.anencephaly.info/fr/temoignages.php

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