Entre Brel et Bouvier j’en viens, à défaut de créer un monde d’imagerie drôle et irrévérencieuse, à désigner quelques oiseaux rares dont la fourberie et la malignité à se fondre dans la foule constitue souvent un obstacle à établir leur véritable identité de parasite. Oui oui chaque parasite à ses spécificités naturelles. Entre le pou, le cafard, la sangsue et le corbac vous en avez déjà pour le Tour de France. Bon marathon de curiosité et de perfidie ! Pour ma part, la tâche qui m’incombe d’identifier et de comprendre le fonctionnement de ces vieux plumeaux me turlupine à un point tel que je crois vouloir en faire une priorité. Autant vous dire que j’ai du pain sur la planche.
L’aspect ingénieux de ma trouvaille réside dans le fait que l’espèce que je m’évertue à nommer ici partage plusieurs aspects avec d’autres fripouilles de cette grande famille d’assistés. D’où la difficulté à saisir une certaine constance chez elle. Toutefois, la lecture (toujours elle) m’a conduit sur une piste on ne peut plus révélatrice.
Justement, l’idée de ce titre m'est apparue comme une évidence en lisant Bouvier et en fredonnant Brel. Comme si un beau matin vous vous levez et soudain vous vous rendez compte de la fonction élémentaire du PQ ou du coton-tige par exemple, à cette différence près que nos corbacs, eux, maculent, étalent…vous voyez de quoi je parle bon sang !
Oui, Bouvier ne pouvait pas être plus juste, plus précis et je le soupçonne (parlant des corbacs) d’être un brin métaphorique.
« Le corbac est un charognard qui repère à cent mètres toute proie blessée ou vulnérable, et convoque aussitôt quelques compères pour prendre part à la curée […] Ils vident les orbites des pendus ; ils ne se ménagent pas davantage entre eux : je les ai souvent vus se mettre à cinq ou six pour achever un congénère blessé (ou puni ?) »[1] Puni ? Vraiment ? Formeraient-ils une confrérie ? Une mafia ?
Si cette comparaison est légèrement caricaturale, n’empêche que les particularités du corbac évoquées ici résonnent et font écho aux pratiques quasi naturelles de certains hominidés de notre temps et de nos contrées ... Ceux-là ne connaissent d’autres lois que celles de l’accumulation, du mensonge et du confort personnel. Pour atteindre leur but ils sont capables, sans état d’âme, de composer avec le diable en personne. Mettons vite de côté les multinationales, véritables profiteuses de crises, et leur coreligionnaire (dans l’acception du capitalisme comme religion) au pouvoir un peu partout sur le globe. Pourquoi ? Parce qu’ils sont des vautours c’est-à-dire d’une catégorie plus élevée, ils sont connus, de toute façon c’est déjà tranché avec eux, par ailleurs ils ne font pas les poubelles.
Attardons-nous sur les vulgaires corneilles d’un pays comme Haïti. Si si, ça vaut le coup, vous allez voir. Etant un témoin privilégié, je peux vous dire que leur spectacle est sordide, de médiocres comédiens. Si les nouvelles qui vous parviennent du pays sont si sombres c’est parce qu’ils sont légions là-bas, les corbacs. Ce sont des intermédiaires. Ça vient d’en bas, ça lit, écrit parfois et sait faire des phrases en bon français. Donc bon pour le FONCTIONNEMENT. Voilà un peu le profil. Ce sont eux (elles d’ailleurs) aujourd’hui qui orchestrent et administrent le chaos pour les vautours du pays. Ils entretiennent le cadavre pour leur maître. Ils sont à la fois dans le pouvoir et dans l’opposition, ils dirigent et s’apitoient en même temps sur le sort du pays. Les micros des médias étrangers leurs sont grands ouverts. La nuit ça danse avec les chefs de gangs dans des salons arrosés et surtout saupoudrés et le lendemain matin on les retrouve au chevet des victimes. Ils rendent impossible tout sursaut populaire, ce sont le vrai cancer du pays, de vrais caméléons du système. Ils vermillent la plaie, remuent la merde en quête de petits morceaux mal digérés.
Revenons à la métaphore de Bouvier pour mieux saisir les similitudes et s’efforcer de garder une certaine élégance.
« Parce que le corbac est un charognard, on lui prête bien à tort le mérite de faire la toilette de notre nature et d’exercer UNE FONCTION VOIREUSE D’UTILITE PUBLIQUE. Faux. Il éventre les sacs poubelle et répand à l’entour tout ce qui avait été si soigneusement réuni […] Il pille les nids, casse et gobe les œufs de quantité d’autres espèces. Je le rends responsable de la disparition d’au moins trois d’entre elles (verdiers, bouvreuils et rossignols) […] JE NE VEUX PAS QUITTER CE MONDE TROMPEUR AVANT LA DISPARITION TOTALE DE CETTE ENGEANCE. »
« Alors il n’y a donc pas d’espoir ? » bien sûr qu’il y a de l’espoir, nous persistons à espérer, mais d’un espoir conquis, lucide, hors de toute naïveté, dirait Césaire. C’est pourquoi il est impératif pour les groupes progressistes de débarrasser de leur rang une bonne fois pour toute ces corbacs qui se font passer pour des colombes endeuillées. La vigilance doit être de mise s’ils veulent être prêts pour les combats et les grands défis auxquels le pays est confronté.
Voilà en gros le portrait des corbacs d’Haïti. Ils sont facilement identifiables à la vue de leur bec fardé d’un rouge sang et leur sourire grotesque de croque mort.
Si vous voulez leur infliger un petit châtiment moral, il vous suffit de les appeler par leur vrai nom, chose qu’ils détestent à en mourir. Genre « Hé corbac, t’as le bonjour de jimmy… jimmy le cerisier !» Ils comprendront.
Mezavwa
04/05/2022
[1] Bouvier Nicolas, Histoires d’une image, Genève, Zoé, 2001