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Billet de blog 28 février 2012

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Figures de la campagne présidentielle russe. Episode 8: Observateur électoral, le jeu des mille voix.

C’est par les observateurs électoraux que tout a commencé.Le soir des élections législatives, le 4 décembre 2011, lorsque les bureaux de vote ont fermé, des témoignages ont inondé le Net.

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C’est par les observateurs électoraux que tout a commencé.

Le soir des élections législatives, le 4 décembre 2011, lorsque les bureaux de vote ont fermé, des témoignages ont inondé le Net. Des récits dénonçant les fraudes électorales, des documents fournissant des preuves et des vidéos qui montraient les fraudeurs dans le feu de l’action. C’était le début d’une contestation de masse qui allait devenir le marqueur de la campagne électorale actuelle.

Les règles et les procédures électorales, c’est technique et ennuyeux. Les fraudes se sont révélées bien plus drôles à observer, surtout que les fraudeurs ont pris bien peu de précautions.

Les présidents des bureaux de vote ont rempli de leur main des bulletins vierges devant les yeux d’une caméra. Aux protocoles de décompte des voix signé par les observateurs, on a substitué d’autres protocoles aux résultats plus alléchants pour le parti du pouvoir, sans prévoir que les observateurs photographiaient les documents et ne manqueraient pas de les comparer. Des paquets de faux bulletins soigneusement empilés et pliés ont été déposés dans les urnes, au mépris des lois de la physique qui veulent qu’un bulletin solitaire envoyé dans l’urne ne pourra jamais se poser droit sur son prédécesseur pour former une pile bien ordonnée (voir aussi ici). Les organisateurs des groupes d’électeurs mercenaires ont omis de rémunérer certains d’entre eux et ces employés de la fraude sont allés se plaindre sur le Net.

Bref, les fraudes électorales ont été un véritable feu d’artifice de bêtise et d’inventivité et les observateurs étaient là, leurs petites caméras à la main. La caméra numérique ne coûte pas cher ces derniers temps, les fraudeurs ont oublié cela. Ils ont aussi oublié les médias Internet qui ont fait circuler l’information en quelques heures. Le temps d’un clic, des centaines de milliers de Russes se sont sentis grossièrement floués et méprisés. Et se sont posés la question si d’une manière plus générale ils n’étaient pas grossièrement floués et méprisés par le pouvoir de leur pays.

Les observateurs de décembre 2011 étaient soit des activistes de l’opposition, soit, d’une manière plus massive, des personnes attirés par la modeste rémunération (de l’ordre d’une trentaine d’euros) promise aux observateurs par les partis politiques. Donc, des retraités, des fonctionnaires sous-payés, des petits employés, des étudiants…

Depuis la dénonciation des fraudes, être observateur électoral est devenu à la mode, comme il est devenu tendance d’aller aux manifestations. Le 5 mars prochain, on verra certainement pas mal de fourrures coûteuses et de téléphones portables dernier cri dans les bureaux de vote des grandes villes. Plusieurs associations se chargent d’enregistrer et de former des observateurs bénévoles : cette fois-ci, on ne parle plus d’argent. Pour ceux qui souhaitent prendre part à l’observation, il ne s’agit pas seulement d’éviter les falsifications, mais surtout de reprendre le contrôle sur un processus politique dont ils avaient été écartés. Etre là, voir de ses propres yeux, se sentir responsable.

Cependant, dans cette campagne présidentielle sans leader de l’opposition, il faut que l’observation reste drôle pour que le dégoût ne l’emporte pas. Devenir observateur électoral est donc devenu un jeu de société ; le jeu du plus malin où il faut rester vigilant, connaître les règles mieux que son adversaire et déjouer les pièges. En parallèle avec les vidéos « sérieuses » de formation, des petits films humoristiques à usage des futurs observateurs circulent et font un tabac.

Voici une vidéo intitulée « Observateur, ne dors pas ! » où la jeune observatrice est hypnotisée par les membres de la commission électorale qui lui chantent une berceuse.

En voici une autre où l’observateur s’ennuie et finit par détourner les yeux au mauvais moment.

Dans une autre encore (désolée, je n'arrive pas à intégrer cette vidéo dans le billet), l’écrivain Boris Akounine (interviewé il y a peu de temps par Mediapart) joue le rôle d’un président de bureau de vote véreux.

Les protestataires d’aujourd’hui ont choisi le rire comme drapeau et le jeu comme arme. La plupart d’entre eux ne se font pas d’illusions sur l’élection de Vladimir Poutine aux élections présidentielles ; l’enjeu est plutôt de se réapproprier l’espace politique et de ramener la popularité de Poutine à sa juste valeur.

Observateur électoral, voici un jeu qui peut rapporter des millions. De voix.

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