Dans les épisodes 1 et 2, nous avons étudié ce qu'implique concrètement, l'activité de changer sa culotte périodique réutilisable ou celle de changer sa coupe menstruelle réutilisable, puisque notre gouvernement conditionne le remboursement des protections périodiques des jeunes au fait d'acheter des réutilisables. Or on comprend bien que ces activités exigent des conditions de change décentes.
De plus, changer sa protection périodique sur le lieu de travail ou d'études doit se faire tout en répondant à un certain nombre d'injonctions paradoxales. Voici les 4 principales, mais elles sont bien plus nombreuses :
- L'injonction de cacher que vous avez vos règles : évidemment, avec tout le boxon que vous avez fait en changeant votre culotte réutilisable, dans les toilettes en face du bureau de votre patron, c'est loupé !
- L'injonction sociale de préserver l'image désirable des femmes. Vous devez donc sortir de ces toilettes de bonne humeur pour répondre à cette injonction et qu'on ne vous accuse pas de renforcer les discriminations (pourtant systémiques), à cause de votre comportement (individuel).
- L'obligation de porter des "protections" qui, certes, protègent les autres de la vue des traces (et non pas taches) mais qui vous, ne vous protègent de rien, et surtout vous exposent aux toxiques qu'elles contiennent.
- L'injonction hygiéniste : respecter à la lettre le protocole d'hygiène pour l'usage des protections sinon, vous faites "mésusage" de vos protections et c'est de votre faute si vous êtes malade (infections, irritations, ulcérations, sécheresse, prurits, syndromes de choc toxique pouvant amener au décès – page 4 du rapport 2019 de l'ANSES).
Évidemment, ces conséquences ne sont surtout pas de la faute des protections qui vous arrachent la muqueuse ou des produits toxiques qu'elles contiennent en quantités nécessairement inférieures aux seuils. C'est votre corps le problème, votre "mésusage", et certainement pas ces toxiques, ni l'effet cocktail entre ces toxiques et tous les autres auxquels l'environnement vous expose, ni le mode de calcul des seuils (définis en général pour un corps d'homme blanc de 35 ans, 75 kg, en pleine santé, qui n'a pas de muqueuse vaginale).
Au sujet de cette dernière injonction contradictoire, l'ANSES, répondant à une demande d'expertise sur la toxicité des protections périodiques, nous donne quelques réponses édifiantes :
- D'abord, le rapport ne s'intitule finalement pas Toxicité des protections mais Sécurité des protections (sic) : pas la peine de lire le rapport, la conclusion est dans le titre.
- Ensuite, le premier paragraphe de réponse de l'ANSES à la demande d'expertise sur la toxicité, nous explique qu'on ne se lave pas les mains avant de changer nos protections et qu'on les garde trop longtemps. Alors même que la question de départ est sur la toxicité des protections.
D'autres rapports nous expliquent que nous faisons "mésusage" de nos protections. Bah oui, et pour cause ! Entre parenthèse, l'ANSES ne donne pas de leçon aux hommes pour leur enjoindre de se laver les mains et le reste avant de les enfouir dans le sexe des femmes.
Dans mon métier, on appelle ça des injonctions contradictoires. Vous avez un process idéal à suivre, cependant vous n'avez pas les conditions nécessaires pour le respecter. Vous devez obéir et pour cela, elle vous faut désobéir. De plus, les autres peuvent faire tout à fait l'inverse (sur votre corps) que ce qu'on vous demande à vous de faire.
Et les injonctions contradictoires sont de gros facteurs de risques psycho-sociaux (ou RPS pour les intimes).
En tant qu'ergonome, quand je vois qu'une travailleuse fait mésusage de ses outils de travail et que cela occasionne des risques, je commence par me demander ce qui fait obstacle au bon usage. Et certainement pas à la culpabiliser de ce mésusage. Et en général, elle y a une bonne raison.
Par exemple, se laver les mains serait utile si on pouvait les laver DANS les toilettes. Mais à l'extérieur des toilettes, avant de manipuler la poignée extérieure, la poignée et le verrou intérieurs nécessairement souillés, tout en tenant son sac cradingue, et après ce que votre partenaire vous a fait hier soir sans passer par la case lavage de mains, l'intérêt de vous laver les mains pour changer de culotte peut paraitre tout relatif. Éventuellement, votre partenaire manipule des solvants toute la journée, ou autres toxiques dont vous profitez également (et votre fonctionnement hormonal variable est bien plus sensible que celui des hommes à tout un tas de toxiques).
J'en profite pour souligner que, oui, les protections périodiques, ce sont des outils de travail.
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