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Billet de blog 10 mars 2023

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Les sang-culottes ou les protections réutilisables

Les culottes périodiques bientôt remboursées pour les jeunes à condition qu'elles achètent des réutilisables. Ou comment nos politiques lavent notre linge sale en famille - Épisode 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le gouvernement annonce le remboursement des protections périodiques des femmes, à 3 conditions : utiliser des protections réutilisables, les acheter en pharmacie et avoir moins de 25 ans. Devons-nous nous en réjouir ?

Certes, réjouissons-nous que notre gouvernement reconnaisse que les jeunes et les femmes sont pauvres. Oui, ce sont très majoritairement les jeunes et les femmes qui sont pauvres. Et de très loin. Des pauvres moins jeunes restent pourtant exclues de ce dispositif.

Néanmoins, toutes fabuleuses que puissent être les protections réutilisables dans certaines conditions d'usage, je trouve culotté de la part du gouvernement d'imposer aux jeunes (pauvres) le choix de leurs protections.

S'il est des évènements qu'on ne choisit pas, en la matière, ce sont : le flux, conditionnant le nombre et la nature des protections nécessaires, et surtout, surtout, les conditions dans lesquelles nous pouvons nous changer. Protections réutilisables, ça veut dire conditions de change particulières.

En tant qu'ergonome, je vous propose une analyse centrée utilisatrice des protections périodiques réutilisables en conditions réelles d'activité (travail ou études).

Ça nous changera de l'analyse centrée utilisateur. Quoi que, si le cœur vous en dit Messieurs, faites-vous plaisir, vous avez le choix des armes : culotte réutilisable ou coupe menstruelle. Et on ne veut pas savoir laquelle vous avez choisie, ni où et comment vous la portez.

Pour ce premier épisode, commençons par l'analyse centrée utilisatrice de la culotte réutilisable.

D'abord, elle faut choisir une protection, sur différents critères : conditions de change, durée envisageable pour le change, identification des protections exemptes de toxiques plus farfelus les uns que les autres (dont certains sont interdits depuis plus de 20 ans dans l'UE). Et je vous passe les autres critères de choix, ça mériterait un article complet.

Ensuite, le remboursement étant aussi conditionné à l'achat en pharmacie, elle faut faire un détour par la pharma, dans ses heures d'ouverture, parce que, évidemment, vous n'avez que ça à faire.

Mais concentrons-nous sur l'analyse d'usage, en conditions réelles, de la culotte réutilisable, dans la journée d'une femme, de moins de 25 ans, pauvre.

  1. Mettre la protection réutilisable le matin, avant de partir. Et penser à prendre un petit sachet hermétique (voir étape 11).
  2. Choisir consciencieusement les vêtements, pour faciliter les étapes 9 et 10 ci-après.
  3. Prendre les transports en commun pour aller à l'école ou au boulot. Quand ça n'est pas à l'école puis au boulot pour certaines.
  4. Arrivée à l'école ou au boulot. Cool, ce n'est pas jour de gros temps, ça ne déborde pas encore. Heureusement, car impossible d'accéder à un toilette gratuit propre sur le trajet de 1h30, voire 2h, de transports en commun.
  5. Pause de 11h : elle est temps d'aller se changer (je vous épargne les indicateurs d'alerte).
  6. Recherche d'un toilette, propre. Ça se complique. Celui-ci fera l'affaire.
  7. Lavage de mains. Ouverture de la porte du toilette, fermeture de la porte. Zut, mains sales.
  8. Sortir la culotte réutilisable propre du sac à main.
  9. Mission : enlever la culotte réutilisable utilisée et mettre la propre, sans rien poser par terre (pas de porte-manteau). Prêt·es ? Tout en tenant le sac à main d'une main, avec l'autre main, enlever la ceinture, déboutonner la braguette, enlever la chaussure droite, la jambe de pantalon droite, et reposer le pied (droit) dans la chaussure (droite). Idem à gauche. Et rebelote pour enlever la culotte utilisée, en faisant attention à ne pas en mettre partout. Puis, trouver une solution pour tenir la culotte utilisée (les dents ?), et dans le même temps, enfiler, toujours d'une main, la culotte propre, sans la salir.
  10. Refaire la manip inverse pour remettre pantalon (sans le salir), chaussures et ceinture. Rompez !
  11. Sortir le petit sachet hermétique (on espère qu'il sera hermétique) pris ce matin (voir étape1) . Ranger la culotte dedans.
  12. Trouver un endroit dans le sac à main pour trimballer ce petit paquet toute la journée en espérant qu'il ne tombera pas par inadvertance en cherchant un stylo pour votre collègue. La prochaine fois, penser à prendre un sac non transparent.
  13. Sortir comme si de rien n'était et se laver les mains.
  14. Et recommencer autant de fois que nécessaire dans la journée : entre 2 et 5, voire plus selon le flux et la longueur de la journée.
  15. Petite précision, réutilisable, ça veut dire lavable. Donc la journée n'est pas finie. D'autant que le soir, tout ça aura bien séché.

Vous allez me dire, c'est un peu le même problème avec des protections jetables. Certes, c'est aussi un sport de haut niveau. On ne peut rien vous cacher. Mais, d'une part, vous n'avez pas besoin de retirer le pantalon et d'autre part, la serviette jetable, elle peut se poser par terre.

La culotte réutilisable utilisée, que vous prévoyez de re-réutiliser après-demain quand elle sera sèche... bof, pas très envie de la poser par terre ici.

Enfin, si vous recherchez le remboursement, c'est que vous êtes pauvre. Donc éventuellement, vous n'avez pas de machine à laver. Donc vous devez aller exposer vos culottes souillées à la laverie collective à l'autre bout de la ville. Ou alors, le gouvernement a prévu de rembourser les 15 litres d'eau qu'il faut pour les rincer et laver au lavabo ?

Messieurs les politiques (masculin générique ou masculin intentionnel, allez savoir), ne lavez pas notre linge sale en famille ! Laissez-nous choisir nos culottes.

Demain, c'est l'épisode 2 avec les coupes menstruelles.

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