anne debregeas
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Billet de blog 16 mars 2023

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Réforme du marché de l'électricité : proposition insuffisante et dangereuse de la CE

La « réforme en profondeur du marché de l'électricité » tant attendue n'aura pas lieu : la Commission européenne propose encore et toujours d'ajuster un marché malade à la base, à coup de mécanismes de plus en plus complexes, sans étude d'impact. Pire, elle impose de poursuivre la privatisation de ce secteur pourtant essentiel, avec la bénédiction du gouvernement français.

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Un an et demi après la flambée des prix de l’électricité qui a déclenché une crise économique et sociale majeure, la réforme tant attendue du marché de l‘électricité passe à côté de sa cible et accouche d’une souris. La « réforme en profondeur » annoncée l’été dernier par la présidente de la Commission, Ursula Van der Leyen, se résume à des « ajustements » et certains pays veulent remettre à après les prochaines élections européennes une véritable réforme, pourtant urgente.

La Commission maintient une position négationniste, continuant d’affirmer que « la conception actuelle du marché a permis, pendant de nombreuses décennies, de créer un marché efficace », oubliant les crises à répétition qui se sont enchaînées depuis sa création.

Elle ne s’appuie sur aucune étude d’impact, « compte tenu de l’urgence de l’initiative »… pourtant annoncée depuis 9 mois après un an de crise majeure. Une telle étude est pourtant essentielle au vu de la complexité des mécanismes mis en œuvre et des antécédents pléthoriques d’ajustements qui se sont révélés au mieux largement insuffisants, au pire contre-productifs[1].  La Commission propose donc de continuer à jouer les apprentis sorciers, car non seulement l’étude d’impact fait défaut, mais de nombreux mécanismes sont insuffisamment décrits et semblent irréalisables[2].

Sur le plan démocratique, cette réforme ne devrait pas passer devant la représentation nationale, alors que l’énergie est un sujet majeur. Pire, la position défendue par la France n’est toujours pas disponible : elle n’a jamais été publiée et les contributions à la consultation de la Commission, annoncées comme publiques, ne le sont toujours pas.

Sur le fond, en refusant de remettre en cause le marché et la concurrence du secteur électrique malgré l’échec patent de ce système, cette proposition condamne tout espoir de remettre sur pied ce secteur pourtant essentiel : impossible, dans ce cadre, de garantir des prix stables, lisibles et équitables pour tous les consommateurs ni un financement efficace de la transition énergétique.

La commission continue à imposer à chaque Etat-Membre une référence à des prix de marché basés sur le coût marginal, volatils, incontrôlables et ne reflétant pas les coûts moyens de production. Elle ne propose que d’en limiter l’effet par des mécanismes largement insuffisants (contrats de long terme, « amélioration » des marchés à terme, produits financiers, etc.) et par ailleurs complexes et très peu décrits. Mais certaines productions continueront à être vendues à ce prix de marché pourtant jugé « aberrant » par de nombreux dirigeants, en particulier l’hydraulique pilotable, les centrales thermiques, le stockage.

Mais surtout, elle approfondit la privatisation du secteur électrique en faisant des contrats privés, les PPA, un axe incontournable et prioritaire des investissements de production. Les contrats publics (CFD) ne sont tolérés que pour certains investissements [3] et à condition de réserver une place aux PPA.   Cela revient à réserver certaines centrales à certains consommateurs, faisant voler en éclat toute forme d’égalité de traitement car les coûts de production sont très hétérogènes d’un site à l’autre et les plus chers seront couverts par des contrats publics (voir cette note, §3.2 pour plus de détail).

Le projet de réforme renforce encore la complexité et la fragilité de cette organisation déjà incontrôlable. L’appel à plus de régulation n’empêchera pas les nombreuses dérives et comportements opportunistes, constatés depuis des années, de se poursuivre.

La commission prétend protéger les consommateurs mais continue à les exposer à des offres complexes, proposées par une multitude de fournisseurs dont personne ne perçoit pourtant l’utilité et qui se sont même révélés largement nuisibles, adoptant des comportements spéculatifs et opportunistes pour profiter des hausses de prix, usant de manière massive de pratiques commerciales amplement dénoncées comme frauduleuses et agressives. Il ne suffira pas d’appeler à une transparence à laquelle les fournisseurs n’auront jamais intérêt. La Commission limite le recours aux tarifs réglementés de vente, qui ne seraient plus autorisés que pour les plus petits consommateurs, en cas de crise majeure et sous réserve de son accord. Les consommateurs devront faire leur « choix » et naviguer entre des offres de plus en plus complexes :

  • à prix fixe (qui existent déjà aujourd’hui mais ne garantissent pas l’évolution des prix en fin de contrat),
  • offres dynamiques dont on a pourtant observé les effets délétères ces derniers mois,
  • contrats avec telle ou telle centrale (PPA),
  • participation à des mécanismes d’effacement sur le marché,
  • partage d’énergie avec des producteurs locaux …

Ils pourront même avoir plusieurs fournisseurs pour un même site … alors qu’ils ne demandent que des tarifs simples, stables et lisibles.

Enfin, e proposant de retarder la prise en main par les gestionnaires de réseau aux dépends des mécanismes de marché, elle fait passer l’optimisation financière avant la stabilité du réseau, augmentant les risques de défaillance.

La proposition de la Commission n’est pas significativement différente de celle du gouvernement français, qui prétend défendre un système plus réglementé et vouloir pour les usagers des prix reflétant les coûts de production français, mais qui fait les mêmes propositions de contrats privés (PPA) et de maintien de la vente au prix de marché pour certaines filières, entre autres.

Commission comme gouvernement refusent de considérer la mise en place d’un opérateur public européen, ou même d’opérateurs publics nationaux coordonnés entre eux par le marché, permettant une mutualisation des coûts et une tarification de tous les consommateurs sur la base des coûts de production nationaux (y compris les coûts et recettes des imports-exports Ce systèmes, décrit dans le détail ici, est pourtant incontestablement plus efficaces, plus simples, plus lisible, plus robustes et plus justes que le marché. Il est temps d’imposer un vrai débat !

[1] Exemples : marchés de capacité, marchés de services systèmes, contrats long terme mal ficelés, régulation aberrante du nucléaire avec l’ARENH, etc.

[2] Exemple : obligation de couverture des fournisseurs, CFD pour les filières pilotables

[3] Nucléaire nouveau et rénové / prolongé (en remplacement de l’ARENH), solaire, éolien, géothermie, hydraulique au fil de l’eau

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