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Billet de blog 2 décembre 2021

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Annecy : la « réorganisation » de la psychiatrie ambulatoire publique

Une « réorganisation » des soins ambulatoires en psychiatrie est actuellement imposée dans le cadre du CHANGE, Centre Hospitalier Annecy Genevois. L’ARS Auvergne Rhône Alpes finance ainsi des projets en flagrante contradiction avec le texte législatif sur lequel elle s’appuie par ailleurs pour justifier et impulser ces restructurations, menant notamment à des fusions/suppressions de structures.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous racontons ici une histoire en cours, celle de la réorganisation imposée des soins ambulatoires de la psychiatrie au CHANGE, Centre Hospitalier Annecy Genevois, hôpital général ayant en charge trois secteurs de psychiatrie adulte et un intersecteur (ou secteur) de psychiatrie infanto-juvénile (PIJ).

Nous la décrivons surtout du point de vue de la psychiatrie infantile où nous travaillons, avec toutefois des éléments de l’organisation d’ensemble, en nous penchant sur l’examen de l’adéquation des réorganisations avec les principes affichés de la « politique de secteur », patiemment mise en place depuis les années 60. Nous mettons notamment en évidence le fait que l’ARS (et l’hôpital dans sa suite) est en flagrante contradiction, dans les projets qu’elle approuve et finance, avec les textes législatifs sur lesquels elle s’appuie par ailleurs pour justifier et impulser les restructurations.

Le secteur psychiatrique a retrouvé un fondement législatif avec la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé[1]. Cette loi définit une mission de psychiatrie de secteur, à exercer par l’offre de soins psychiatrique, consistant à garantir à l’ensemble de la population :

○ un recours de proximité en soins psychiatriques ;

○ l’accessibilité territoriale et financière des soins psychiatriques ;

○ la continuité des soins psychiatriques.

PLAN :

I) Etat des lieux de la pédopsychiatrie ambulatoire au CHANGE 

II) Récit des premiers événements

III) Présentation du « projet CMPI »

IV) La mise en place effective

V) Discussion

VI) Conclusion

En bas de l'article figure la liste des acronymes utilisés, dans l’ordre de leur apparition.

I) Etat des lieux de la pédopsychiatrie ambulatoire au CHANGE 

L’intersecteur de pédopsychiatrie 74-I-01 correspond à un bassin de population estimée à 312 224 habitants, donc très supérieur à la taille théorique d’un intersecteur (210 000 habitants)[2], et en augmentation constante. On trouve :

  • la « communauté d'agglomération Grand Annecy», composée de 34 communes, dont la « commune nouvelle d'Annecy » ou C2A (128 422 habitants, sur une superficie de 70 km nommée Annecy, créée le 1er janvier 2017, par la réunion de six communes (Annecy, Annecy-le-Vieux, Cran-Gevrier, Meythet, Pringy et Seynod)).
  • à quoi s’ajoutent les communautés de communes ou communes de Rumilly Cruseilles, Frangy, Seyssel, Sillingy, Thônes/La Clusaz, Faverges etc.

 Ces territoires s’étendent en étoile sur une large superficie autour de la commune nouvelle d’Annecy (C2A).

 Trois Centres médico-psychologiques infantiles (CMPI) sont localisés sur ce territoire :

  • deux CMPI sont situés à l’Est et à l’Ouest de la commune nouvelle d’Annecy (C2A), selon un principe de sous-sectorisation Est (CMPI Sextant) et Ouest (CMPI Valvert, à Seynod). Ils accueillent les habitants de la C2A (70 Km2) et de tout le secteur, en dehors du bassin de Rumilly.
  • une antenne à Rumilly (le CMPI de Rumilly) a également une activité importante. Un projet d’antenne à Faverges n’a jamais été réalisé.

 Il existe des proximités fonctionnelles :

  • le CMPI du Valvert à Seynod jouxte le CATTP (Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel),
  • le CMPI du Sextant jouxte l’HDJ (Hôpital de jour) et le JET (Jardin d’enfants thérapeutique) et se trouve à proximité de l’hôpital d’Annecy (le CHANGE), donc de l’« Unité de liaison pédopsychiatrique » en pédiatrie, et de la psychiatrie adulte.

Rappelons que les CMPI sont les lieux « pivots des soins » et sont composés d’équipes pluridisciplinaires : assistant(e)s social(e)s (AS), éducateur(trice)s, infirmier(e)s, orthophonistes, psychomotricien(ne)s, pédopsychiatres, psychologues, secrétaires.

Ces trois CMPI sont « généralistes », accueillant les enfants de 0 à 18 ans pour des problématiques psycho-affectives et développementales.

Les premiers consultants sont en général les psychologues et les pédopsychiatres. Certaines situations, y compris des urgences, sont aussi reçues en premier accueil par des binômes de soignants (infirmier(e)s, éducateur(trice)s, assistantes sociales (AS)), suite à appréciation d’équipe.

Les professionnels sont surchargés de travail, des listes et temps d’attente (cf infra) existent pour les bilans et les soins, cependant variables selon les périodes et les professionnels. Les VAD (visites à domicile) réalisée par les infirmièr(e)s ont dû être stoppées il y a quelques années pour des raisons prévalentes de manque de personnel (les AS en pratiquent encore).

Certains professionnels ont vu leur nombre diminuer entre les années 2007 et la période actuelle (orthophonistes, pédopsychiatres), perte non sans conséquences sur le nombre global d’actes des CMPI. Nous avons la chance d’un recrutement récent de jeunes pédopsychiatres, encore insuffisant. Le secrétariat est également en sous-effectif par rapport à l’accueil de la demande et la gestion globale de l’activité. Les familles peuvent être découragées dans leur prise de contact, avec une incidence sur la file active (FA : nombre d’enfants suivis durant une année).

Une Maison des adolescents est implantée à Annecy ; elle n’a pas de mission soignante à proprement parler et renvoie si nécessaire les adolescents vers les structures adaptées.

 Files actives (FA) (nombre d’enfants suivis durant une année) :

                                                   2017              2018             2019               2020

CMPI Valvert                            482                535               523                 524

CMPI Sextant                           665                643               645                 566

CMPI Rumilly                           262                277               280                 309

Total FA                                    1409               1455             1448               1399

Une légère baisse de la FA globale est constatée en 2020 (début pandémie Covid-19). On assiste à une augmentation des demandes liée à l’augmentation de la détresse psycho-affective des enfants et des adolescents liée à cette pandémie.

Les FA ont été beaucoup plus importantes il y a quelques années :

Années                                                  2004             2005          2006           2007

FA globale des CMPI/CHANGE        2366             2365           2278            2328

Le rapport ARS de 2019 sur la psychiatrie au CHANGE[3] établit que le recours de la population aux CMP est faible comparativement aux données de la région Auvergne Rhône Alpes. Ceci peut s’expliquer en pédopsychiatrie par l’importance de l’offre locale et du recours aux soins en libéral (psychologues, rééducations), accrus ces dernières années. Malgré ces données, le pôle santé mentale (PSM) du CHANGE semble penser que les CMPI devraient réserver les soins aux enfants ayant besoin de soins pluridisciplinaires, ce qui est en contradiction avec la politique publique de soins accessibles et gratuits pour tous. Le bassin de Rumilly semble avoir un meilleur recours aux soins de CMP.

Délais d’attente pour premier rendez-vous :

Pour le CMPI du Sextant, le dernier rapport d’activité mentionne des délais d’attente variant selon les périodes entre 1 et 6 mois dans l’année 2017, avec un délai moyen de 4 mois. Une réponse à l’urgence est organisée avec un rendez-vous possible dans la semaine.

Un rapport de l’ARS Ile-de-France de mars 2015[4] propose neuf « bonnes pratiques mises en œuvre pour la réduction des délais d’obtention du premier rendez-vous en CMP Infanto-Juvénile », dont l’une consiste à « définir un délai maximal de premier rendez-vous ». Deux CMPI d’un intersecteur donné en exemple ont estimé que ce délai maximum serait de 4 mois ; à cet effet, une « mesure exceptionnelle d’arrêt de réception de nouvelles demandes a été mise en œuvre le temps de résorber la liste d’attente ». L’ARS Ile-de-France ne semble pas exiger autre chose.

Comme le montre cet exemple, ces neuf « bonnes pratiques » tendent à contourner le manque chronique de moyens à l’origine des délais d’attente. Et cherchent des solutions hors recrutement de personnel.

Situation comparée avec le reste de la France :

Nous consultons le rapport IGAS 2018 sur les CMP-IJ, les CMPP et les CAMSP, en accès libre internet.

a) Les files actives :

           Tableau : comparaison FA/CMPI en France avec nos CMPI locaux :

CMPIFrance CMPISextant CMPIValvert CMPIRumilly  Total/CMPIlocaux

 (FA moyenne)

267 (2016)      665 (2017)         482 (2017)        262 (2017)        1409 (2017)

Les files actives des CMPI du Sextant et du Valvert sont supérieures à la moyenne des CMPI dans l’hexagone (qui est de 267 en 2016), à la moyenne française de celles des CAMSP (FA : 251 en 2016) et sont similaires à la moyenne de celle des CMPP (FA : 533 en 2016)[5].

b) Créations ou suppressions de structures :

Le nombre d’intersecteurs de PIJ en France est de 340 en 2016, avec 1500 CMPI et antennes, soit 4,4 CMPI par intersecteur. Les territoires couverts peuvent être vastes et la création des CMPI et antennes a eu pour vocation de permettre une meilleure accessibilité géographique pour les populations, avec une équipe dédiée.

Alors que la politique de sectorisation psychiatrique a été réaffirmée par la Loi Santé 2016, on assiste à l’heure actuelle à des fusions/suppressions de structures CMP (adultes et de PIJ), au détriment de leur accessibilité géographique pour les populations.

Tableau : évolution du nombre de CMPA (adultes) et CMP-IJ en France entre 2011 et 2019[6]

Année                                             2011              2016               2019

Nombre de CMP adultes             2245                                     1794

Nombre de CMP-IJ                       1565              1500               1342

Dans le même temps, les CAMSP font l’objet de créations de structures (les CMPP ont un nombre stable entre 2012 et 2017).

II) Récit des premiers événements

Tout commence par une inspection des structures ambulatoires du CHANGE, les CMPA et CMPI, sur commande du directeur général de l’ARS Auvergne Rhône Alpes, en novembre 2019. Un rapport en est tiré, avec « remarques » et « écarts », menant à des « recommandations » et des « prescriptions ». Une « remarque » est un « dysfonctionnement ou manquement ne pouvant être caractérisé au regard d’une référence juridique opposable, mais de nature à engendrer un niveau de risque plus ou moins critique ». Un « écart »  est une « non-conformité constatée par rapport à une référence juridique opposable ».

On pourrait réfléchir à certaines de ces « recommandations » et « prescriptions », aboutissant à des exigences d’ordre bureaucratique notamment, donnant un surcroît de travail aux équipes sans bénéfice patent pour les soins. Par ailleurs, chaque ARS semble disposer de ses propres recommandations et prescriptions : l’ARS Nouvelle Aquitaine par exemple a voulu imposer en 2019 un nouveau cahier des charges à l’ensemble des CMPP de sa région, ce qui a pu être heureusement contré par une mobilisation efficace des acteurs concernés.

Une rencontre est organisée en septembre 2020 entre la Direction du CHANGE, le PSM (Pôle Santé Mentale) et les équipes, nommée « restitution du rapport de l’inspection ARS ». Un projet de réorganisation pour la psychiatrie ambulatoire au CHANGE est présenté, comportant :

  • le regroupement des quatre CMPA en « un CMP unique et des points de consultations avancées »,
  • le regroupement des trois CMPI actuels en « un CMPI unique avec une organisation en filières d'âge (périnatalité, 3-11 ans, adolescents) » et des « consultations avancées ».

L’hôpital fait alors appel au cabinet privé d’ergonomes (ANCOE) présenté lors de cette rencontre[7]. Ce cabinet, « structure de conseil atypique », doit accompagner les équipes sous forme d’une « mission d’appui à la réorganisation des CMP ». Il y aura « 2 COTECH mobilisant une représentation des professionnels pour les 2 projets (CMPA, CMPI) », pour une « concertation », le cabinet ayant pour « rôle de préparer la transformation effective des CMP » et de « tenir le cap du projet de réorganisation ». Les guillemets sont issus du diaporama de présentation du cabinet ANCOE. Le COTECH est le terme employé pour dire « comité technique ». Des réunions de COPIL (« comité de pilotage ») ont lieu également.

Ainsi, les équipes peuvent encore penser que la participation à la démarche proposée avec ANCOE permettra la prise en compte de leurs réflexions et élaborations.

De décembre 2020 à mars 2021, se déroulent pour la pédopsychiatrie sept réunions COTECH avec ANCOE, durant trois heures chacune, rassemblant des représentants des professionnels, prenant sur le temps soignant et auxquelles participe notre Chef de Pôle. Les premières réunions consistent par exemple à définir les fonctions et rôles de chacun. Lors de la troisième réunion, coup de théâtre : un nouveau diaporama dessine le projet pour les CMPI avec davantage de précisions. Les soignants ébahis apprennent qu’un « appel à projet » (AAP) pour cette organisation a été envoyé à l’ARS, et que le projet accepté.

III) Présentation du « projet CMPI » : « Dispositif d’accueil rapide et d’évaluation » (« DARE ») et renforcement/réorganisation des CMPI en « CMPI central » organisé en « filières d’âge »

Trois AAP (Appels à projets) du PSM ont concerné récemment la pédopsychiatrie, dont deux ont été élaborés par des pédopsychiatres et soignants du service : 1) un projet périnatalité : « Le Cocon, un berceau groupal pour accueillir le bébé et ses parents », et 2) « Une équipe mobile ADOS et SENS » pour les adolescents. Ces deux AAP ont également été acceptés par l’ARS.

Le troisième a été conçu et élaboré par le PSM via sa chefferie durant l’été 2020, la pédopsychiatrie laissée dans l’ignorance de la démarche, donc sans concertation. Le Directeur du CHANGE appuie ces changements d’allure disruptive, nécessaires selon son point de vue, dans la modernité.

Nous déclinerons ce projet tel qu’il figure dans l’AAP financé par l’ARS :

Il s’agit de « rassembler les forces pour pouvoir les déployer », mais également de « réimpulser une philosophie du soin et des missions d’un CMPI et les mettre en œuvre ».

Le CMPI, centre ambulatoire central situé à Annecy, est constitué par le « regroupement des 3 CMP-IJ », l’antenne de Rumilly étant conservée sous forme de « point de consultations avancé ».

Ce CMPI unique est associé à une « refonte de l’organigramme structurel de la pédopsychiatrie » et organisé par des soins en filières d’âge avec trois équipes : Cocon (0-3 ans) ; CMP-IJ général : 3-11 ans, et adolescents 12-18 ans (ADO et SENS, dont équipe mobile).

(Le PSM a donc saisi l’opportunité offerte par les deux autres AAP (projet Cocon/périnatalité, et équipe mobile adolescents) pour réorganiser de fond en comble les CMPI : les trois projets sont présentés comme articulés entre eux, avec la réorganisation en filières d’âge.)

Un « guichet unique secrétariat unique » permet le recueil des demandes, alors adressées au « DARE » (dispositif d’accueil rapide et d’évaluation), si elles n’ont pas été l’objet d’une évaluation en amont.

Les secrétariats des trois filières d’âges et de l’équipe mobile (mais aussi du CATTP, du JET, de l’HDJ, du Cocon) sont formés de « temps mutualisé de secrétaire ».

Le CATTP et le Cocon semblent également faire partie du « Centre ambulatoire central ».

Un « rendez-vous dans les 48 heures doit être donné, avec un binôme de professionnels, constitué d’infirmier(e) et de travailleur social ».

L’évaluation se déroule « dans un temps court et circonscrit (trois rendez-vous) », permettant la présentation du lieu de soins, la réalisation d’une évaluation globale, la prise de contact avec les partenaires (avec accord des parents).

Une synthèse pluridisciplinaire, en présence du pédopsychiatre, permet la présentation de ces demandes, et la « construction d’un projet personnalisé » :

- réorientation vers d’autres acteurs du sanitaire, social ou médico-social et centres ressources,

- projet de soin et désignation d’un consultant référent.

« L’évaluation comme le projet font l’objet d’une rédaction qui vient renseigner le dossier ».

Le projet de soins pourra s’appuyer sur différentes modalités soignantes (thérapies individuelles, bilans, travail à médiation thérapeutiques individuelles et groupales, rééducations, « aller vers » sous forme des VAD).

Un volet comporte aussi le développement de la télémédecine (téléexpertise et téléconsultation).

Un renforcement des postes infirmiers et travailleur social, des psychologues, du neuropsychologue, orthophoniste, et la création d’un poste d’ergothérapeute sont prévus, mais sans précisions supplémentaires (pas de chiffrage). Ceci reprend le contenu d’un AAP que nous avions soumis, demandant une augmentation globale de moyens pour le service de pédopsychiatrie, mais qui n’avait pas été retenu.

IV) La mise en place effective

A la rentrée de septembre 2021, les professionnels vont être peu à peu recrutés. Les pédopsychiatres sont redéployés sur les nouvelles structures (Cocon et équipe mobile adolescents) du fait de l’absence de nouveaux candidats.

Tout se fait dans les locaux actuels, il faut donc les partager. En effet, pour l’instant le « lieu central » n’est pas trouvé, mais l’hôpital le rechercherait activement.

Le « COCON » démarre début octobre. Certains seulement d’entre les soignants prévus dans le projet AAP sont recrutés (3,9 ETP pour 11,5 ETP demandés). Il n’y a pas de local destiné, alors qu’il figurait dans le projet. On note qu’une psychomotricienne (recrutée sur un temps d’orthophoniste non pourvu) quitte le CMPI du Sextant pour le COCON mais elle n’est pas remplacée au CMPI, laissant des enfants sans soins et l’attente déjà importante pour ces rééducations augmenter.

L’EQUIPE MOBILE ADOLESCENTS se met également en place en octobre. Les professionnels prévus dans l’AAP sont recrutés (4,9 ETP pour 5 ETP demandés (dont redéploiement du pédopsychiatre)).

Le « DARE » doit « démarrer » début décembre (finalement reculé début janvier 22). Recrutement de trois infirmier(e)s et un éducateur(trice) à temps plein. Les infirmiers, éducateurs et assistantes sociales des CMPI devront également participer au DARE pour une partie de leur temps. Un 2è cadre de santé à temps plein pour la pédopsychiatrie est recruté « grâce aux financements de l’ARS ».

Puisque ces personnels arrivent et seront pour l’instant répartis sur les CMPI, il s’agit d’organiser le fonctionnement du DARE : ces soignants sont censés faire l’accueil/évaluation des nouvelles demandes ; il faudrait donc prévoir du temps de « psys » (psychologues, pédopsychiatres) pour évoquer les situations et élaborer les « projets de soins », sans recrutement de psychologue, alors que les temps de synthèse sont déjà bien occupés et qu’il y a de l’attente pour les soins. Il nous est donc demandé de nous organiser rapidement pour la mise en place.

Il n’y a pas d’autre renforcement des CMPI avec recrutement de psychologues, orthophoniste, ergothérapeute, comme cela était prévu dans l’AAP. (Les postes d’orthophonistes sont pour la plupart vacants dans le service).

Enfin le projet dévoile aussi son vrai visage avec la situation du CMPI de Rumilly, qui fonctionnera avec équipe réduite (sans les rééducateurs, ni la secrétaire), passant de 4 à 2 jours d’ouverture, dans les locaux du CMPA, alors qu’un local spécifique, en ville et proche des lieux de scolarisation, est mis gratuitement à disposition par la Mairie de Rumilly. Une diminution d’activité est donc également imposée aux professionnels du CMPA de Rumilly puisque les locaux doivent être partagés entre les deux équipes. Il reste un flou sur son statut : antenne[8] ou « point de consultation avancé » (PCA), les patients étant invités à rejoindre le CMPI central à Annecy (et l’équipe étant réduite comme pour les « PCA »).

Des « points de consultation avancé » « PCA » seront également organisés un jour par quinzaine dans les bourgs de Faverges et Thônes, et un jour par mois à Cruseilles et Seyssel, avec équipe réduite (sans les rééducateurs ni secrétaires), dans les locaux des antennes de psychiatrie adulte. Voilà l’organisation de vrais soins de pédopsychiatrie, et avec quels moyens ? C’est le mystère.

Enfin, l’organisation du futur CMPI central reste floue. Lors d’une réunion avec le PSM le 21/9/2021, il nous est répondu oralement que les équipes Est et Ouest (correspondant aux deux CMPI d’Annecy) resteront séparées (sectorisées) dans le CMPI central, mais ce point n’est pas écrit dans le compte rendu de réunion. Pour les dites « filières d’âge » nous ne savons rien non plus. Le DARE ne sera pas sectorisé (« guichet unique »).

Un courrier a été envoyé récemment à la Direction pour témoigner de l’inquiétude des soignants sur la diminution de l’offre de soins au CMPI de Rumilly, et soulignant l’inadéquation de cette activité dans les locaux du CMPA, il vient de recevoir une réponse en fin de non-recevoir de la part du Directeur. Précédemment, d’autres courriers n’avaient pas eu de réponse.

V) Discussion

Les structures publiques de psychiatrie sont délaissées depuis des années, n’obtenant pas les moyens nécessaires pour assurer leurs missions, alors que la demande n’a cessé de croître et que les temps d’attente s’allongent pour les soins.

On ne peut que déplorer l’absence d’une politique sanitaire globale, coordonnée, permettant de donner des moyens soignants, s’intégrant dans les dispositifs déjà existants afin d’assurer des soins accessibles et gratuits pour tous, sans pour autant multiplier artificiellement des couches peu efficaces.

Les difficultés de la psychiatrie publique à assurer ses missions sont le plus souvent mises au compte d’une organisation défaillante des structures, des équipes et du travail plutôt que sur le manque de moyens humains, ce qui conduit à de profondes restructurations, dont notre récit est un exemple.

Dans le même temps, et sans doute de façon liée à cette carence, l’accent est mis plutôt sur la gestion des « crises » et des « urgences » et sur les évaluations au détriment du processus de soin à proprement parler. Les secteurs sont invités à obtenir des moyens par le recours à des « appels à projets » (AAP), s’assortissant d’un soupoudrage de budgets pour des dispositifs soit-disant « innovants », mais qui ne concourent pas obligatoirement à la satisfaction des besoins de tous les patients, adultes, enfants et familles en souffrance, ce qui était pourtant à la base de l’organisation du secteur.

Certains AAP reprennent les locutions valorisées actuellement par les tutelles, « aller vers », « point de consultation avancé », et « équipes mobiles » partout mises en place. Ces équipes mobiles, pourvues de personnel propre, « vont vers » les personnes souffrantes pour créer un lien et les amener aux soins. Le secteur quant à lui organisait les « visites à domicile » (VAD), différentes en ce sens qu’une émanation de soignants des équipes CMP, connaissant ou non déjà les patients et pouvant continuer à les suivre, vont à leur rencontre lorsque nécessaire. Le manque de moyens a pu amener les équipes de secteur à devoir restreindre ces actions. Dans l’expérience des équipes mobiles, les patients s’attachent à ces soignants et sont souvent réticents à rejoindre les structures de soins, démarche qui leur impose une discontinuité relationnelle ; les patients sont alors exposés à la rupture des soins, puisque les « équipes mobiles » ne sont pas censées travailler au long cours avec les mêmes patients. Rappelons que la politique de secteur doit assurer la continuité des soins psychiatriques dans la mesure du possible.

Les équipes proposent ainsi parfois des AAP pour obtenir des moyens et finissent par participer à cette désorganisation progressive, avec multiples couches et dispositifs ne permettant pourtant pas toujours une cohérence et une meilleure efficacité.

Revenons à notre situation locale et pointons les dysfonctionnements :

A) Existence de trois AAP, dont un, concernant une « réorganisation » majeure des CMPI (« pivots des soins ») -dans son « infrastructure » comme dans ses « modes de faire »- a été conçu hors de toute concertation avec les acteurs de « terrain », des soignants spécifiquement formés et expérimentés. Imposerait-on au charpentier ou à tout autre « spécialiste » une nouvelle façon de faire et organisation sans être du métier ? Espérons que non. C’est pourtant ce qui se passe dans notre hôpital.

B) Examinons la cohérence du projet avec les soins en pédopsychiatrie, leur accessibilité, continuité et efficience.

a) Le projet DARE : « dispositif d’accueil rapide et d’évaluation »

Ce projet tient à un « écart » relevé par l’ARS dans son inspection : « L’organisation mise en œuvre au CMPI d’Annecy ne permet pas qu’un rendez-vous pour une première consultation puisse être donné dans un délai de quelques jours, tel que le prévoit la circulaire du 14/3/1990[9] en termes d’accessibilité aux soins », suivi d’une « prescription » ainsi formulée : « organiser le fonctionnement des CMP de manière à réduire les délais de rendez-vous, notamment pour une 1ère consultation qui doit pouvoir être donnée dans un délai de quelques jours (circulaire du 14/3/1990) ». Le texte de cette circulaire[10] stipule : « Au centre médico-psychologique doit se trouver un secrétariat et des soignants, en une organisation telle qu’un rendez-vous puisse être donné pour une première consultation dans un délai de quelques jours, et que des thérapies individuelles ou de groupe puissent y être assurées dans de bonnes conditions ».

Le DARE a soulevé de nombreuses réflexions et controverses dans le service, mais sa conception s’accompagne d’une méconnaissance et/ou incompréhension de la pratique pédopsychiatrique, ce que nous allons expliciter.

Mentionnons alors nécessairement la position de la pédopsychiatrie au CHANGE. La mise en place des pôles a été instaurée par la loi HPST ; l'ancien « service » de pédopsychiatrie, qui possédait son autonomie et son pouvoir d'organisation, a été fusionné avec la psychiatrie adulte au sein du « Pôle santé mentale » (PSM), le Chef de pôle ayant toujours été un psychiatre exerçant en psychiatrie générale (adulte). De manière répétitive depuis, la spécificité de la pédopsychiatrie n’est pas reconnue et son fonctionnement tend à être assimilé à celui de la psychiatrie adulte. Le DARE illustre ce fait, imitant le fonctionnement mis en place dans les CMPA, avec un accueil infirmier, ou infirmier de pratique avancé (IPA), élargi aux CMPI.

Or la pédopsychiatrie s’adresse par définition à un être en développement, en dépendance totale de son entourage proche et plus distal (école etc.). L’évaluation est un processus spécifique et complexe, demandant une appréciation clinique relevant d’un bagage de connaissances, notamment psychopathologiques. Il faut par exemple différencier les troubles transitoires, pouvant régresser et disparaître avec le temps, de troubles pouvant se fixer et perdurer, aboutissant à des psychopathologies entravant le développement normal, cette évaluation pouvant parfois durer plusieurs mois en raison du développement. En pratique, cette différenciation est ardue. De plus la place des parents et leur participation inhérente au processus de soins fait aussi la différence avec la psychiatrie adulte. Les consultations sont plus longues en raison de cette évaluation nécessairement plurifocale (enfant, fratrie, parents, famille, école etc.).

C'est par la poursuite de cette rencontre, dans la relation de confiance qui s'instaure peu à peu entre enfant, parents et soignants, que les éléments de compréhension se font jour, cette compréhension permettant et guidant le soin et pouvant d’ailleurs parfois amener des améliorations substantielles rapides. Ainsi évaluation et soins forment un tout indissociable. Les évaluations ne sont pas neutres, leur qualité pouvant infléchir l’évolution des troubles ; elles peuvent aussi avoir un pouvoir négatif provoquant une fixation symptomatique, une stigmatisation etc.

D’une position traditionnelle de premiers accueils nécessairement faits par les pédopsychiatres dans les CMPI, nous étions « en avance » à Annecy où la pratique de ces accueils par les psychologues existe depuis fort longtemps, ceux-ci assurant la poursuite des soins avec le reste de l’équipe, les consultations pédopsychiatriques étant pratiquées si nécessaire. Une des « bonnes pratiques mises en oeuvre en Seine-et-Marne (77) pour la réduction des délais de premier rendez-vous » relevée par l’ARS Ile-de-France[11] est de diversifier les modalités d’accueil des premiers entretiens : « L’ouverture des premiers entretiens aux psychologues au sein de certains CMP-IJ constitue un premier mouvement en ce sens. Autres premiers accueils possible par les infirmières et AS ». Dans nos CMPI, les infirmières, AS (assistantes sociales) et éducateurs accueillent également déjà des premières demandes, après appréciation de l’équipe.

Mais l’accueil/évaluation premier systématique par les infirmier(e)s, éducateurs, AS n’est pas le plus adapté en CMPI. Chacun a sa place et sa fonction dans l’équipe pluridisciplinaire. Ces professionnels sont impliqués dans des suivis parfois au long cours, certains entretiens familiaux, mais également des premiers accueils parfois en urgence, pour les situations les plus réactionnelles et celles du champ social, le binôme pouvant continuer à proposer ses soins lorsqu’il le juge possible, en relation avec le reste de l’équipe et les référents « psys » (pédopsychiatres, psychologues). Ces binômes pourraient assurer davantage de visites à domicile si l’équipe était en nombre suffisant.

Il est aussi artificiel de proposer un accueil/évaluation en trois séances menant à un « projet de soin », impliquant de plus une discontinuité soignante évitable autrement. La « reprise » en réunion des premiers accueils des soignants du DARE nécessitera également la présence des « psys », sans recrutement donc sans temps supplémentaire, alors que la réunion de synthèse d’équipe est déjà bien occupée : ce temps sera alors pris sur les soins.

Les binômes de soignants du DARE risquent aussi d’être rapidement saturés par cet accueil systématique. Alors ils ne seront plus disponibles pour octroyer les autres soins indispensables. Enfin, cet accueil sera redondant avec celui des psychologues et pédopsychiatres, obligés de toutes façons de refaire en grande partie l’anamnèse pour prendre vraiment connaissance de la situation et établir la relation thérapeutique.

Si préalablement à ce projet, la consultation normale des équipes de CMPI avait eu lieu comme il se doit, et compte tenu de la « prescription » de notre ARS de rapprocher le délai de 1ère consultation à quelques jours, nous aurions certainement conclu à la nécessité impérative du recrutement de psychologues, à même d’assurer l’évaluation suivie des soins. L’idée de binômes d’accueil psychologues/soignants aurait également pu être discutée.

b) Le regroupement des structures en un CMPI central

Ce projet contrevient à la politique de secteur consistant à rapprocher les populations des équipes de soins. Il contrevient en outre précisément à cette circulaire du 14/3/1990, qui mentionne, dans le même chapitre que celui cité plus haut[12] : « En psychiatrie infanto-juvénile, l’équipe psychiatrique, pour être insérée dans le milieu naturel de l’enfant et de sa famille, doit disposer sur son terrain d’action d’au moins deux centres médico-psychologiques répondant aux critères déjà énoncés (sauf cas très particulier de secteur urbain peu étendu) ». Ces critères déjà énoncés sont par exemple un centre « ouvert au moins cinq jours par semaine, (non compris les jours d’ouverture de ses antennes éventuelles) », et dont « les jours et heures d’ouverture doivent être tels qu’ils permettent un contact hors heures de travail et heures scolaires » etc. Nous rappelons que la C2A s’étend sur un périmètre de 70 km2.

Ainsi, l’instauration d’une sous-sectorisation Est/Ouest et deux CMPI à Annecy était en conformité avec la législation. L’ARS finance un projet de CMPI central unique détruisant cette infrastructure, et instituant de fait un nouvel « écart », soit une « non-conformité constatée par rapport à une référence juridique opposable », qui est cette même circulaire du 14/3/1990 utilisée par ailleurs pour pointer un « écart » permettant d’imposer des changements, comme nous venons de le voir au chapitre précédent.

La même remarque peut être faite pour l’ambulatoire de psychiatrie adulte. La circulaire du 14/3/1990 stipule ceci[13]: « L’accessibilité aux soins : Elle suppose que l’équipe psychiatrique se trouve disponible, là, et au moment où la population peut aisément accéder, et qu’une information ait été faite au public. L’organe principal de l’accueil ainsi défini est le centre médico-psychologique. C’est pourquoi il convient qu’en tout secteur de psychiatrie générale existe au moins un centre médico-psychologique implanté au sein du secteur ou à proximité immédiate, en un lieu d’accès facile par les transports en commun, et ouvert au moins cinq jours par semaine (non compris les jours d’ouverture de ses antennes éventuelles) ».

Ainsi, l’organisation de 4 CMPA pour les trois secteurs de psychiatrie générale (adulte) du CHANGE était conforme à la législation, et la mise en place d’un CMPA centralisé unique détruit cette organisation en instituant de fait un « écart », soit une « non-conformité constatée par rapport à une référence juridique opposable ».

Ces regroupements de CMP permettent une mutualisation des locaux et des moyens humains, et une « harmonisation » (« standardisation » ?) des fonctionnements des CMP. Le secrétariat « mutualisé » permet par exemple d’élargir l’amplitude horaire d’accueil sans recrutement supplémentaire. Mais les secrétaires, personnellement rattachées à chaque équipe, connaissent les familles et les partenaires, ce qui assure un accueil non anonymisé, humain. En outre, aucune « mutualisation » ne saurait résoudre le sous-dimensionnement chronique des secrétariats, celles-ci n’arrivant plus à assurer correctement les tâches qui leur incombent. Ainsi le recrutement de tous les personnels est le moyen d’augmenter l’accessibilité des CMPI tout en diminuant les temps d’attente pour l’accueil et les soins.

Malgré le fait qu’un grand nombre d’habitants du secteur ne bénéficie pas d’une proximité géographique aux soins, le maintien des 3 CMPI et des 4 CMPA leur assure une meilleure accessibilité. En outre, comment peut-on tolérer ces nouveaux « écarts » majeurs avec des textes de loi, créés par les restructurations, alors que l’imposition du respect des mêmes textes en sont à l’origine ? A cet égard, les précisions récemment obtenues sur ce que sont les « points de consultation avancé » (PCA) ne peuvent que décevoir. Bien maigres solutions, sans moyens supplémentaires, et donnant un illusoire vernis de réponse aux besoins. L’effectivité d’un accueil et de soins coordonnés exige une augmentation très importante de moyens soignants : les soins en pédopsychiatrie sont très souvent pluriels, requérant l’association de professionnels différents et à proximité des populations.

c) Enfin, le découpage des soins en filières d’âges n’est préconisé ni par les pédopsychiatres, ni par les soignants de pédopsychiatrie. Ce découpage instaure de fait une discontinuité des soins et va à l’encontre de la richesse et de l’expérience professionnelle nécessaires à la pratique (ceci en dehors du projet périnatalité « autour de la naissance », projet spécifique et très utile).

Le CMPI central implique la réunion d’équipes de taille importante sur un même lieu (au Sextant : 14 personnes pour 8,5 ETP (équivalent temps plein) en 2017 (rapport d’activité 2017), chiffres similaires pour le CMPI du Valvert à Seynod. La tenue de réunions de synthèse fonctionnelles et opérantes à trente personnes et plus n’est pas concevable. Ce nouveau découpage en « filière d’âge » était-elle la fine solution trouvée à ce problème ?

VI) EN CONCLUSION

Suite à une inspection de l’ARS Auvergne Rhône Alpes, nous assistons, pour la psychiatrie ambulatoire du CHANGE à Annecy à une « réorganisation » devant se faire au pas de charge. Cette transformation est décidée sans concertation préalable avec les acteurs de « terrain » et au mépris du travail en intelligence de soignants en contact direct avec leurs patients, et qui bénéficient d’années d’expérience de la mise en place de soins sectorisés en psychiatrie, fondés sur des principes précieux (accessibilité, proximité, gratuité pour des soins dans la continuité). Elle est alors imposée aux équipes avec le secours d’un cabinet privé coûteux, payé par l’hôpital (deniers publics) pour manier le vent d’une pseudo-concertation. Ceci sans doute pour tenter de faire passer peu à peu dans les esprits les transformations, en paralysant les velléités d’action réelle, alors que les soignants déjà surchargés de travail sont « occupés » par les réflexions et controverses complexes que ces changements suscitent, tout en pensant que ces réunions pourront peut-être infléchir le cours des choses.

Au nom d’une modernité devant soudain faire table rase des organisations précédemment mises en place, les « réorganisations » sont présentées sous un vernis favorable et trompeur, comme un « progrès » en adéquation avec les principes du secteur. Mais elles désorganisent en profondeur ce qui existait, et des équipes qui, tant bien que mal, tentaient d’accomplir leurs missions de soins, malgré une absence instituée et pathétique de moyens.

En terme de proximité et accessibilité, ce qui existait à Annecy tendait à respecter les textes législatifs, notamment la circulaire du 14/3/1990 : au moins un CMPA par secteur, et deux CMPI par intersecteur pour un domaine urbain étendu. Cette infrastructure est remplacée par un CMPA centralisé au lieu de quatre, et un CMPI centralisé au lieu de trois, projet déjà accepté et financé par notre ARS, qui se trouve ainsi prise en flagrant délit de non conformité par rapport au même texte de loi qu’elle demande par ailleurs et soudainement de respecter scrupuleusement. Ainsi en est-il de l’obligation nouvelle d’une 1ère consultation dans un délai de quelques jours, selon des termes de cette même circulaire. Cette « prescription », n’est visiblement pas exigée par d’autres ARS (nous avons vu cependant que chaque ARS semble avoir le pouvoir de faire la pluie et le beau temps sur son territoire). L’hôpital est alors conduit, avec la raison d’une mutualisation nécessaire des moyens, à proposer ces suppressions des CMP existants en les fusionnant, ce que l’ARS accepte et finance, dans la contradiction la plus absolue.

L’ARS se met encore en non conformité avec les principes du secteur qu’elle prône au sujet de la continuité des soins, en acceptant et finançant le contenu de projets conçus par le PSM (pôle santé mentale) de l’hôpital sous sa pression. En effet, ces projets instaurent une systématisation de la discontinuité relationnelle, en séparant ce qui serait du domaine de l’« accueil/évaluation rapide » (CMPI) ou de la gestion de l’accueil, urgence et crise (CMPA) faits par certains soignants, suivie de « soins » confiés à d’autres.

Finalement l’ARS utilise la législation à sa guise. Elle pointe les « écarts » de conformité avec celle-ci lorsqu’il s’agit de pousser à des restructurations, tout en omettant les nouveaux « écarts » ainsi créés par les projets régressifs qu’elle accepte et finance. Elle se soustrait aussi à l’obligation du respect des lois, qui amènerait à devoir reconnaître l’évidence de la carence des moyens alloués, les PCA (point de consultation avancé) en étant un bon exemple (PCA : ou comment ne pas faire de vraies antennes de CMP, ou encore les supprimer).

Se faisant, elle amène à des désorganisations profondes des structures et des équipes avec modification des pratiques, sans réelle considération pour les patients en souffrance et leurs besoins, malgré les discours affichés. Il est vrai que depuis les bureaux des administrations il est sans doute difficile de se rendre compte de ce qu’est la souffrance psychique, ainsi que des réponses à mettre en place pour « soigner ». Comme l’écrivent très justement deux psychologues de CMPA ayant faire part de leurs réflexions dans un courrier à la Direction resté sans réponse : « Par notre expérience, nous affirmons que c’est la relation qui soutient le soin, une relation qui ne peut se construire que progressivement. La technique thérapeutique n’est rien sans la relation. »

Ainsi en est-il de la proposition du nouveau dispositif qui accompagne, pour la pédopsychiatrie, le regroupement des CMP-IJ : le « dispositif d’accueil rapide et d’évaluation » ou « DARE ». L’accueil et une « évaluation » rapide sont confiés, de façon systématique, à des binômes de soignants infirmiers et professionnels socio-éducatifs, sur un modèle proche de ce qui est proposé en psychiatrie adulte. Rapide, c’est-à-dire en trois séances, au terme desquelles devrait être conçu un « projet de soins », travaillé en réunion avec les psychologues cliniciens et pédopsychiatres, ceci sans nouveaux moyens donnés pour ces derniers, c’est-à-dire sans recrutements de ces « psys ». Les temps de réunions supplémentaires nécessaires devront donc prendre sur les temps de soins.

La pédopsychiatrie notamment ne peut séparer l’« évaluation » des « soins » : ces deux processus sont conjoints et complexes ; ils requièrent l’appréciation clinique et les connaissances psychopathologiques des psychologues et pédopsychiatres et se déroulent dans la continuité relationnelle et la confiance mutuelle acquise avec les parents et les enfants. Ainsi, la «réorganisation » oblige, révolution copernicienne absurde et malheureuse, à fouler aux pieds les principes de base de notre discipline et de notre pratique. Pourtant les soignants qui seront impliqués dans le DARE (avec les nouveaux soignants recrutés) effectuent déjà des premiers accueils, y compris en urgence, décidés en équipe, souvent pour les situations les plus « réactionnelles ». Chacun a sa place et sa fonction dans l’équipe soignante pluridisciplinaire. Le systématisme de ce nouvel accueil risque aussi de rendre ces soignants indisponibles pour les suivis et soins précieux et indispensables qu’ils octroient aux petits patients de tous âges, adolescents compris, dans le cadre du travail régulier d’équipe. De plus le temps de cette évaluation « rapide » sera de toutes façons redondant avec celui des « psys » qui devront refaire l’anamnèse pour appréhender finement la situation et établir la relation thérapeutique. Cet accueil/évaluation premier systématique n’est donc pas adapté en pédopsychiatrie. Si il s’agit de tendre à diminuer les temps d’attente pour les rendez-vous, ce qui est nécessaire et louable, et pour réaliser des évaluations/soins, pourquoi pas en binômes parfois, des recrutements de psychologues sont absolument indispensables.

Parmi les 3 AAP acceptés par l’ARS concernant la pédopsychiatrie au CHANGE, les personnels du « DARE » et de l’équipe mobile adolescents sont intégralement recrutés ainsi qu’un poste de cadre supplémentaire. En contrepartie, le projet périnatalité récolte des « miettes » par rapport à ce qu’était son projet initial, et il n’est plus fait mention du reste du « renforcement des CMPI », notamment recrutement de psychologues et ergothérapeute.

La réunion des CMPI en un « CMPI central » dévoile aussi son vrai visage à travers la situation de l’antenne de CMPI de Rumilly, dont la forte activité serait démantelée. Situé idéalement dans la ville au milieu des écoles, collège et lycée, dans un local prêté gratuitement par la Mairie, son activité se trouverait amputée de moitié (2 jours par semaine au lieu de 4), l’équipe réduite (sans les rééducateur(trice)s et la secrétaire) devant partager les locaux du CMPA. Ce partage des lieux obligerait aussi à la réduction de présence de l’équipe de psychiatrie adulte dans ses locaux. Les habitants de Rumilly seront alors invités à rejoindre les CMPI et CMPA centraux à Annecy.

Une vraie politique publique de soins en psychiatrie aurait consisté à donner des moyens au fur et à mesure des besoins, en demandant aux équipes d’intégrer peu à peu les nouveaux soignants dans leurs organisations, s’intégrant aux modalités habituelles, tout en continuant de tâcher d’améliorer tel ou tel point, et en créant de vraies antennes dans les localités trop distantes. Nous avions d’ailleurs fait un AAP (appel à projet) allant dans le sens d’un renforcement global des moyens du service à l’attention de tous les patients, mais celui-ci n’a pas été pris en compte, au profit de celui qui s'impose. Le « projet » (simple) de « renforcement des moyens » ne suffit visiblement pas, il faut des dispositifs (soit-disant) « innovants ».

Pourtant le recrutement des différents professionnels permettrait d’organiser mieux l’accessibilité, avec un accueil non anonymisé humain contraire à la « mutualisation des secrétariats » et de réduire des délais d’attente très dommageables pour les premiers rendez-vous et l’ensemble des soins.

Les termes actuels valorisés sont : AAP, équipe mobile, aller vers, PCA (point de consultation avancé) (nous avons vu à quel point cette dernière locution PCA fonctionne comme un leurre), alors que les soins dans la continuité demandent des locaux et une équipe dédiée présente. Nous avons dû abandonner les VAD (visites à domicile) faute de personnel suffisant. Mais celles-ci auraient pu être simplement réintroduites si les moyens avaient été octroyés, et elles assurent mieux, à la différence des « équipes mobiles », la continuité des soins.

Au vu de cette histoire annécienne, les enjeux sous-jacents méritent d’être éclaircis. Cette histoire ne fait d’ailleurs qu’en copier d’autres, ces multiples réorganisations/mutualisations/suppressions de structures se déroulant sur tout le territoire. Nous nous résolvons à penser que le modèle du soin n’est pas actuellement orienté par un souci éthique, mais par des perspectives bureaucratiques et gestionnaires[14], au mépris du patient et de ses besoins. Nous nous questionnons également sur les orientations nouvelles de l’organisation des soins, où la part de la psychologie, de la relation, donc des soins proprement psychothérapiques semble se réduire, avec l’évidence systématique du non recrutement de psychologues. (Nous soulignons à ce propos que les psychiatres et les pédopsychiatres manquent de plus en plus. Leurs postes vacants pourraient aussi servir pour un recrutement alternatif de psychologues, alors que les moyens afférents sont visiblement utilisés à d’autres fins au CHANGE). L’accent est mis sur les « évaluations » rapides et la gestion de la crise et de l’urgence, avec sans doute à la clé, à la place de la compréhension progressive dans la confiance des liens, un recours plus facile et massif aux médications, assorti de l’abandon des patients. Et comme le formule très bien encore cette fameuse circulaire du 14/3/1990 : « Une bonne accessibilité des services et la disponibilité des équipes, organisée dans les centres médico-psychologiques, doivent réduire le recours aux soins par les voies de l’urgence ». Il est à craindre que ce qui est écrit là se vérifie de plus en plus, par sa négative.

Nous avons vu que notre ARS finance des projets de destruction d’infrastructures, la mettant ainsi que l’hôpital en contradiction précise avec les textes légaux dont elle se réclame par ailleurs pour impulser les réorganisations. Nous espérons que la révélation de ce fait permettra l’arrêt de ces projets régressifs, au profit d’un nouveau processus pour des « soins » construits en réelle collaboration avec les équipes de terrain.

Anne Delègue, décembre 2021

***

[1] Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, établi par Alain LOPEZ, Gaëlle TURAN-PELLETIER, Membres de l’Inspection générale des affaires sociales, TOME 2 ANNEXES-Novembre 2017–-N°2017-064R-, p. 15. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-064R-Tome_II_annexes.pdf

[2] La psychiatrie de secteur désigne les principes organisationnels de la psychiatrie publique française et la répartition des structures de soins de santé mentale, en secteurs adultes correspondant à des zones géo-démographique d’environ 70 000 habitants, et en intersecteurs ou secteurs de psychiatrie infanto-juvénile (PIJ), chacun correspondant à trois secteurs de psychiatrie adulte (soit environ 210 000 habitants). Une équipe pluridisciplinaire de professionnels soignants pour chaque secteur et intersecteur doit pouvoir assurer la continuité des soins.

[3] Rapport d’inspection ARS, CHANGE, novembre 2019, p. 36 et 37.

[4] Santé mentale. Réduction des délais d’obtention du premier rendez-vous en CMP Infanto-Juvénile. 9 bonnes pratiques mises en oeuvre en Seine-et-Marne (77). ARS Ile-de-France (mars 2015).

[5] CMP-IJ (CMPI) : Centre médico-psychologique infanto-juvénile (secteur sanitaire) ; CMPP : Centre médico-psycho-pédagogique et CAMSP : Centre d’action médico-social précoce (CMPP et CAMSP : secteur médico-social).

[6] Bellahsen M., Knaebel R. (avec la collaboration de Bellahsen L.), « La révolte de la psychiatrie, les ripostes à la catastrophe gestionnaire », Ed La découverte, Paris, 2020, p. 131.

On peut consulter un exemple de ces fusions/suppressions à Poitiers :

https://ch-laborit.fr/centre-medico-psychologique-unique-enfants-adolescents-a-poitiers-2018-2/

[7] Ibid, p. 96 : « Comme dans le monde de l’entreprise, les ARS et les directions d’hôpitaux font régulièrement appel à des cabinets de conseils privés, pour faire défendre et faire passer des fusions, fermetures et suppressions de « lits » ou de structures (etc.). « Auprès des professionnels, leurs missions sont présentées comme devant les « aider », « faire parler les gens entre eux ». Mais, comme dans toute prestation de conseil, l’autorité qui la commande et la paie a avant tout un projet à faire passer. Les soignants sont pris dans un dilemme : participer aux réunions qui semblent bien ne servir à rien, répondre consciencieusement aux questions des consultants sans rien retrouver de ce qui a été dit dans le projet final, ou les ignorer, pour consacrer leur temps au soin. Le marché du conseil en organisation de la santé a crû depuis les années 2000 et les cabinets se sont multipliés (Ylios, Acsantis, Adopale …). Les missions, payées par de l’argent public, sont facturées des dizaines de milliers d’euros (une seule journée de conseil est facturée dans les 1000 euros). Voilà encore une pratique, le recours aux cabinets de conseil, directement importée du secteur privé. »

[8] Notons qu’un CMP, contrairement à une antenne, doit être ouvert 5 jours sur 5.

[9] Circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale, publiée au Journal Officiel de la République Française du 3 avril 1990.

[10] Ibid : Circulaire du 14 mars 1990. Titre III « La transformation du dispositif psychiatrique public », au sous-chapitre « Objectifs à atteindre en tout secteur psychiatrique dans les cinq années à venir ».

[11] Ibid : note 4.

[12] Ibid : note 9

[13] Ibid : note 9

[14] On peut lire par exemple : Peoc’h M et al, « Perspective économique et/ou orientation thérapeutique en psychiatrie ? L’information psychiatrique 2020 ; 96 (4) ; p 261-268.

Acronymes utilisés, dans l’ordre de leur apparition :

  • CHANGE : Centre Hospitalier Annecy Genevois
  • PIJ : psychiatrie infanto-juvénile
  • ARS : Agence Régionale de Santé
  • CMPI : Centre médico-psychologique infantile (ou infanto-juvénile : IJ)
  • C2A : commune nouvelle d'Annecy
  • CATTP : Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel
  • HDJ : Hôpital de jour
  • JET : Jardin d’enfants thérapeutique
  • AS : assistant(e)s social(e)s
  • VAD : visites à domicile
  • FA : file active (nombre d’enfants suivis durant une année)
  • CMP : Centre médico-psychologique
  • PSM : pôle santé mentale
  • IGAS : Inspection générale des affaires sociales
  • CMPP : Centre médico-psycho-pédagogique
  • CAMSP : Centre d’accueil-médico-social précoce
  • CMPA : Centre médico-psychologique pour adultes
  • COTECH : comité technique
  • COPIL : comité de pilotage
  • AAP : appel à projet
  • DARE : « dispositif d’accueil rapide et d’évaluation » 
  • PSM : Pôle Santé Mentale
  • PCA : « point de consultation avancé »
  • Loi HPST : Loi « Hôpital Patient Santé Territoire » (Loi dite « Bachelot »)
  • IPA : infirmier de pratique avancé

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