Luçon le 30/04/2019
Madame l’inspectrice,
Nous avons lu avec attention les nouveaux programmes de français sortis dans le cadre de la réforme du lycée. Dès la rentrée prochaine nous sommes tenus d’appliquer ces nouveaux programmes qui jusqu’à présent font grandir en nous plus d’inquiétudes que d’espérances.
Qu’est-on en droit d’attendre d’une réforme ? Qu’elle propose des solutions, des améliorations pour les aspects problématiques et qu’elle pérennise ce qui fonctionne bien. Qui a déjà entendu un professeur de français se plaindre de sa liberté pédagogique ? Notre équipe de français est composée de 5 professeurs, aucun de nous n’a jamais remis en question cet aspect de notre métier. Jamais nous n’avons rencontré de collègues mécontents d’avoir à choisir ses œuvres pour sa classe de seconde ou de première.
Pourquoi balayer d’un revers de manche ce qui faisait l’âme de notre métier ? Prendre le temps de choisir une œuvre est un vrai moment de pédagogie. On adapte nos choix en fonction de nos désirs personnels bien entendu, mais aussi en fonction de la classe que nous avons en face de nous, des discussions que l’on peut avoir avec les collègues, des descriptifs que nous avons l’occasion de lire durant les épreuves orales et surtout des opportunités qu’offrent les différentes saisons culturelles locales (scènes nationales, festival de littérature, maison des écrivains…). Et on nous dit, sans explication aucune, que dorénavant il faudrait renoncer à cette liberté ? Nous voulons savoir pourquoi. Nous voulons comprendre le sens de cette réforme qui nous apparaît comme brutale.
Cela fait 20 ans pour certains d’entre nous que nous exerçons notre métier. Nous avons participé à de nombreuses épreuves anticipées de français, jamais nous n’avons entendu de collègues se plaindre que la lecture analytique que l’on demandait aux élèves était inadaptée. Qui a entendu un professeur de français demander le retour de l’analyse linéaire ? Lors des concertations de jury bien des propositions d’amélioration de l’examen ont été formulées, nous avons nous-mêmes émis des suggestions, mais jamais nous n’avons espéré le retour d’une analyse qui favorise le bachotage, l’apprentissage d’informations que l’on recrache bêtement le jour de l’épreuve. Bien au contraire, nous espérions que l’épreuve demanderait encore plus d’autonomie et d’esprit critique aux élèves. Au lieu de cela que nous propose-t-on ? D’évaluer des candidats qui auront compulsé une somme de connaissances grâce à des tutos disponibles sur internet. Nous demandons aux élèves, ce contre quoi nous luttons tous les jours : la relégation de leur pensée à des outils informatiques.
Quels élèves voulons-nous former ? Quels citoyens, quelles femmes, quels hommes deviendront ces enfants ? Quelle société voulons-nous créer ? Car c’est bien ce qui nous inquiète. Quel est le projet de société qui sous-tend cette réforme ? Créer une masse corvéable, exploitable, malléable ?
Non seulement nous ne comprenons pas cette réforme, mais en plus son application hâtive nous met au quotidien dans une situation inconfortable et intenable face à nos élèves de seconde. Faute d’informations, nous avons travaillé avec eux, durant tout le premier trimestre la question de corpus, exercice qui disparaît du prochain baccalauréat. Aujourd’hui, nous abordons avec eux la dissertation. Mais en l’absence d’explications claires sur les nouveaux enjeux de l’exercice, que faut-il que nous fassions ? Renoncer à l’apprentissage et laisser à nos collègues de première le soin de se débrouiller pour que les élèves puissent acquérir en un an seulement toutes les méthodologies ? Faut-il aborder l’exercice dans sa forme ancienne (dissertation de culture littéraire) ou se risquer à improviser un cours sur la « dissertation nouvelle formule » dont nous ne savons presque rien, si ce n’est qu’elle portera sur une œuvre ?
Enfin, nous voulions vous faire part de notre inquiétude concernant l’augmentation de notre masse de travail que cette réforme induit. En effet, le renouvellement par moitié du programme chaque année, nous obligera à consacrer une partie importante de nos congés d’été à la (re) lecture des œuvres et à la préparation des cours correspondants.
Par conséquent, désabusés, abasourdis, la plupart d’entre nous a décidé de rejoindre le collectif vendéen des Citrons Pressés qui réunit professeurs de français de l’enseignement public et privé. Nous avons également, au sein de l’établissement Ste-Ursule, décidé de faire grève le jeudi 16 mai afin de manifester notre inquiétude.
Nous vous adressons ce courrier, Madame l’inspectrice, car nous espérons que vous comprendrez notre mécontentement et que vous saurez le relayer auprès du ministère de l’Education Nationale.
Les professeurs de français du lycée Ste-Ursule, auxquels s'associent les membres du Collectif des Citrons pressés de Vendée: des professeur.e.s des 14 lycées publics et privés suivants:
Atlantique (Luçon, 85)
Clemenceau (Chantonnay, 85)
De Lattre de Tassigny (La Roche-sur-Yon, 85)
François Truffaut (Challans, 85)
Jeanne d’Arc (Montaigu, 85)
Léonard de Vinci (Montaigu, 85)
Notre-Dame-du-Roc (La Roche-sur-Yon, 85)
Pierre Mendès-France (La Roche-sur-Yon, 85)
Rosa Parks (La Roche-sur-Yon, 85)
Saint-François d’Assise (La Roche-sur-Yon, 85)
Sainte-Marie (Chantonnay, 85)
Sainte-Marie-du-Port (Olonne-sur-mer, 85)
Sainte-Ursule (Luçon, 85)
Savary de Mauléon (Les Sables d’Olonne, 85)