NON A DES EXAMENS SOUS PANDEMIE!

Photo du collectif Les citrons pressés, printemps 2019 - "Qu'un système produise un effet de découragement ne veut pas dire que tout le monde soit découragé" (Jacques Rancière)
Pour le bien des élèves et des personnels, la suppression des examens de fin d'année est une nécessité!
Angoisses sanitaires et pédagogiques : tel est l’étau dans lequel l’École est prise depuis plus d’un an, entre volonté de protéger élèves, familles et personnels et souci de ne pas éloigner les jeunes des apprentissages scolaires.
Nous traversons une crise sanitaire majeure, nous la traversons avec nos élèves, tou·tes victimes de la confusion des injonctions ministérielles : ce sont treize millions de personnes concernées – sans compter les familles –, soit 20% de la population française. Comment, dans de telles conditions, exiger que l’année scolaire se termine comme d’habitude, c’est-à-dire par des examens, comme si de rien n’était?
Absences chroniques d’élèves, infecté·es ou cas contacts. Arrêt maladie des enseignant·es, non remplacé·es en raison de la politique de recrutement déplorable du gouvernement. Classes fermées. Hybridation de l’enseignement dans certains lycées depuis novembre mais pas dans d’autres. Inégalités d’un travail à distance dues à des outils numériques indigents et à l’hétérogénéité de l’accès informatique pour les élèves…
Toute l’année, le virus a mis à mal le travail pédagogique. Toute l’année, les apprentissages ont été émaillés par l’incertitude et l’angoisse. Et malgré cela, nous devrions coûte que coûte gérer la préparation au brevet, à l’EAF, au Grand oral, au BTS? Dans des conditions qui dépassent imagination et entendement?
D’une part pour les épreuves écrites :
- en français, les élèves de première sont interrogés sur un programme. Dans les conditions des derniers mois, comment apprendre à disserter ? Comment disserter sur une œuvre que les enseignants n’ont pas eu le temps de faire étudier ? Comment justifier que les aménagements annoncés le 5 mai au soir, une fois de plus prioritairement dans les médias, soient actés si tardivement ? Et quand transmettre encore le plaisir de lire, dans des conditions si dégradées?
- en philosophie, les élèves de terminale passeront finalement leur épreuve écrite, mais pourront finalement conserver leur note de contrôle continu, si cette note est meilleure. Comment justifier une telle disparité entre les disciplines ? Et comment préserver maintenant les conditions de concentration, de motivation et de sérieux en principe nécessaires lors d’un examen ?
D’autre part pour les épreuves orales :
- En français toujours, pour les séries générales et technologiques, il est totalement impossible d’assurer l’étude du nombre de textes requis. Que penser face à la perspective de n’avoir plus que six ou huit heures en classe pour finir le programme et préparer les élèves de Première à l’Épreuve anticipée de français? Six ou huit heures pour calmer les appréhensions des élèves et préparer toutes les questions pratiques. Bien sûr, à côté il y a ces heures en « distanciel », mais l'enseignement à distance n'a rien à voir avec la force du cours, de l'échange direct, de la coprésence des corps dans une salle dédiée!
- Pour le grand oral, le cadre dans lequel il va se dérouler prêterait à sourire s’il ne fallait, encore une fois, faire face à l’inquiétude des élèves et de leurs familles. Il est invraisemblable même d’envisager d’évaluer des prestations orales où les élèves porteront un masque! Comment évaluer leurs compétences en «communication, élocution, force de conviction»? Dans un exposé réduit à 5 minutes, on doit s’accorder sur le fait qu’on ne peut pas apporter beaucoup de connaissances. Doit-on accepter qu’un exercice annoncé comme un élément phare de la réforme fasse aussi peu de cas des contenus et prétende encore préparer les élèves à l’enseignement supérieur?
Le ministre a expliqué que les examens seraient maintenus et que nous saurions faire preuve de la plus grande bienveillance. Mais que signifie ce terme de "bienveillance" lorsque les œuvres au programme n'ont pas pu être travaillées, lues et étudiées en classe, collectivement, et avec l'étayage d'un·e enseignant·e?
Nous, enseignant·es de Lettres, refusons d’être cantonné·es au seul rôle d’examinatrices et d’examinateurs. Nous voulons rester des pédagogues auprès des jeunes, pour les accompagner au mieux dans leur parcours scolaire et leur acquisition réfléchie de savoirs émancipateurs.
Nous refusons le psittacisme et le bachotage. Nous souhaitons une véritable appropriation des textes et des œuvres.
Nous voulons que les élèves aient du plaisir à lire, à écrire, à exprimer leur avis, à partager leurs découvertes littéraires.
Nous revendiquons des programmes faisables, avec des espaces de liberté retrouvés afin de nous adapter au mieux aux besoins des élèves.
En conscience, nous ne pouvons pas faire passer des examens dans ces conditions, c'est pourquoi nous demandons que les épreuves de fin d’année soient annulées, pour cette seconde année de pandémie.
Suspendre les épreuves dès aujourd’hui permettrait justement aux élèves d’achever leur scolarité en français avec des lectures et des écrits qui les nourrissent, les émancipent et leurs ouvrent de nouveaux horizons. L’année scolaire retrouverait alors, pour les élèves et les enseignant.e.s, enfin un peu de sens.
Pour aller plus loin et pour étendre notre protestation, des liens d'utilité publique: Collectif Lettres vives et AFEF