Nous avons tout essayé pour nous faire accepter et aucune stratégie ne nous a encore permis d’atteindre l’égalité. Nous n’avons pas notre place à l’école, nous sommes écartés des postes à responsabilités, les recruteurs ne nous rappellent pas. Les villes, les services se construisent comme si nous n’existions pas. Nous restons des handicapés qui font pitié, tandis que les autoproclamés normaux-valides restent convaincus que la société leur appartient.
Nous avons tenté l’intégration, dissimuler nos différences, minimiser nos difficultés, nous excusant sans cesse d’exister. Nous avons tenté la séduction, cherchant la bienveillance ou l’empathie comme des chiens qui implorent quelques restes du repas. Nous avons essayé la pédagogie, souriant pendant qu’ils scrutaient nos corps comme dans une foire aux monstres, répondant à leurs questions les plus ineptes : « Qu’est-ce qui est le plus dur pour vous, ne plus voir vos enfants ou ne plus vous voir ? » Nous nous sommes même rassemblés dans des suppliques collectives, des pétitions, des manifestations bien contrôlées pour demander la simple application de la loi, le droit de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, de prendre le métro ou de voter.
Rien n’y a fait. L’exclusion de millions de personnes en raison de leurs variations corporelles est intégrée dans la construction sociale comme chose inévitable, immuable, qu’on déplore par habitude, sans rage et sans tristesse, comme un jour de pluie au mois d’août.
Au cours de l’histoire, nous avons été exterminés, violentés, enfermés, exploités et soustraits à la protection du droit du travail. Les violences qui nous sont infligées sont toujours invisibilisées. L’humiliation nous maintient en silence : personne ne veut se revendiquer handicapé.
Il faut que ça s’arrête. Nous devons répliquer, nous devons nous défendre, nous devons attaquer devant le juge toutes ces atteintes à nos droits.
Battons nous d'abord sur le terrain des mots. Nous avons besoin que la langue nous inclue et nous respecte : « les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître », nous rappelle Audre Lorde (1). Ne laissons plus passer des expressions telles que « il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas voir que… », la cécité ou la surdité n’empêchent pas de comprendre le monde. N’acceptons plus les « il est COTOREP ou quoi ? » qui confond handicapé et incapable. Refusons d’être qualifiés de « déficients », d’« invalides ». Alertons l’administration que le « 80% d’incapacité » mentionné sur nos documents est injurieux. Opposons-nous à ce que le dictionnaire définisse le handicap comme un « désavantage qui met en état d'infériorité » (2), une "infirmité physique ou mentale" (3), « une déficience qui limite la participation à la vie en société » (4). Rétorquons, écrivons, rebellons-nous !
Ne laissons plus rien passer. A ces gens qui nous disent « à votre place, je ne pourrais pas vivre », à toutes ces sentences dégradantes que nous recevons quotidiennement, répondons par l’intelligence les bons jours, par le mépris les mauvais. Ne baissons plus les yeux, ne rageons plus en silence. Exprimons notre colère. Nos corps valent autant que les leurs. Nous n’avons pas besoin d’être champions paralympiques ou héroïnes exceptionnelles pour mériter notre place.
Nous avons les même droits et il est urgent qu’ils ne figurent plus seulement sur des textes de lois mais deviennent réalité.
Allons devant les tribunaux faire condamner les discriminations et les violences. Sortons de la résignation et prenons quelques minutes pour porter plainte. L'injure publique est punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (5). Nos voix se feront entendre. Nous, femmes et hommes, devons imposer notre existence par des micro-actes systématiques qui disent non.
Enfin, il est urgent que le secteur associatif se mette en ordre de bataille pour porter nos luttes. Les féministes ont nommé leur ennemi : le patriarcat. Nommons le nôtre : le validisme. Les luttes raciales se sont affirmées par la radicalisation : cessons d’être les gentils handicapés geignards que les valides maintiennent dans la dépendance et la honte. Soyons fières, dignes et convaincus de notre légitimité. Alors, le combat pour l’égalité pourra commencer.
(1) Poétesse afro-américaine, lesbienne, militante
(2) Larousse collège, 2026
(3) Larousse Junior 2026
(4) Le Robert Junior 2026
(5) Selon l'alinéa 2 de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 qui définit l'injure publique comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ».
Anne-Sarah Kertudo est fondatrice de l'association Droit Pluriel.