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La combustion du plomb contenu dans la toiture et dans la flèche de la Cathédrale Notre Dame a provoqué, le 15 avril 2019, une pollution sans précédent de l’édifice et de ses environs. Dans le brasier, 450 tonnes de plomb sont parties en fumée, soit près de quatre fois les émissions annuelles de ce matériau ultratoxique dans l’atmosphère, dans la France entière.
Des résidus solides en particules fines et volatiles d’oxyde de plomb, reconnaissables aux panaches de fumée jaune, se sont envolés au gré des vents et sont retombés essentiellement aux alentours du site sinistré ainsi qu’aux endroits survolés par les nuages de fumée, sur les chaussées, les trottoirs, les parcs, les balcons, les bancs publics, les toits et les espaces intérieurs quand les fenêtres étaient restées ouvertes.
Une plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » déposée par l’association Henri Pézerat, l’Union départementale CGT-Paris et deux parents d’élèves, en juin 2022, a déclenché hier l’ouverture d’une information judiciaire.
Les plaignants estiment qu’« en dépit de l’ampleur de l’incendie et de la connaissance des risques de pollution et de contamination (…), aucune précaution particulière n’a été prise par les autorités concernées pendant plus de trois mois après l’incendie », mettant en danger « les enfants (dans les crèches et écoles), les riverains et les travailleurs (du quartier et de la cathédrale) »
L’accusation est grave car les conséquences sanitaires sont potentiellement lourdes.
Le plomb : un matériau très toxique
Le plomb est une substance classée CMR (cancérigène, mutagène et reprotoxique). Les données épidémiologiques disponibles indiquent que les effets neurologiques et les effets sur les développements staturo-pondéral et sexuel, ainsi que sur l’acuité auditive, chez le jeune enfant, sont probablement sans seuil, de même que les effets rénaux chez l’adulte et l’adolescent ainsi que les effets cardio-vasculaires chez l’adulte.
Le niveau de 50 μg (microgrammes) de plomb par litre de sang de la plombémie, qui définit réglementairement aujourd’hui le saturnisme infantile et implique la déclaration du cas aux autorités sanitaires départementales ainsi que le déclenchement d’une enquête environnementale, ne correspond pas à un seuil d’innocuité. En d’autres termes, il n’existe pas de seuil au-dessous duquel la présence de plomb dans le sang serait sans conséquence pour l’organisme. A Paris, par principe de précaution, nous avons d’ores et déjà abaissé ce seuil à 25 μg pour enclencher enquêtes environnementales et prise en charge. Mais une loi plus protectrice nous manque cruellement.
Les prélèvements effectués dès le 17 avril 2019 par le Laboratoire central de la Préfecture de police de Paris ont montré l’absence de risque associé à la qualité de l’air. Cependant, des valeurs hétérogènes, pour certaines très élevées, ont été constatées dans les sols à proximité. Or ce métal lourd et toxique peut être collecté par les semelles puis rapporté chez soi où il risque d’être ingéré par les jeunes enfants.
La retombée des poussières de plomb a donc placé en situation de risque les Parisien.nes mais aussi les Francilien.nes et, en particulier, les jeunes enfants, ainsi que les femmes enceintes et leur fœtus.
Une enquête légitime
L’association Henri Pézerat est une organisation spécialisée dans les questions de santé environnementale et de santé au travail. Elle a été un artisan majeur du combat contre l’amiante. C’est l’une de ces grandes associations de la société civile dont la vigilance et l’exigence de transparence constituent le terreau fertile d’une démocratie vivante et le socle du progrès social.
En tant qu’adjointe à la Maire de Paris en charge de la santé publique, je me réjouis qu’une juge d’instruction ait été désignée pour faire la lumière sur la chaîne des responsabilités, si une quelconque faute devait être retenue.
En tant que militante écologiste, l’ouverture de cette enquête judiciaire ne fait que renforcer ma colère devant l’absurde entêtement de l’État, qui a décidé de remettre au cœur de paris 450 tonnes de plomb, en reconstruisant le toit et la flèche de la cathédrale à l’identique.
Un projet de reconstruction dangereux avec un matériau abandonné
Le plomb est un métal qui se liquéfie à une température relativement peu élevée (327 °C) et qui peut être vaporisé, comme cela s’est produit le 15 avril 2019. C’est un matériau qui, depuis très longtemps, est dépassé en matière de résistance à l’incendie, ce qui a conduit à son abandon à plusieurs reprises, depuis le XIXème siècle, dans la reconstruction des toitures des cathédrales françaises.
Ainsi en est-il, par exemple, de la cathédrale de Chartres qui fut revêtue d’une toiture de cuivre suite à un incendie en 1836. Cet édifice n’en reste pas moins la première cathédrale française à avoir été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1979. Le cuivre a été également adopté pour la reconstruction des toitures des cathédrales de Metz et de Strasbourg.
Reconstruire la cathédrale en plomb est un danger potentiel qui fait peser un risque bien trop important pour être ignoré. Alors que s’ouvre une enquête judiciaire liée aux conséquences de la pollution de Paris par cette substance toxique, l’État ne pourrait-il enfin prendre conscience de l’absurdité et de l’irresponsabilité de son entreprise ?