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Billet de blog 2 juin 2014

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Clair obscur

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Billet original : Clair obscur

Ses disciples disent : « Voici, maintenant tu parles en clair, tu ne dis plus de comparaisons. Maintenant, nous savons que tu sais tout, tu n'as pas besoin qu'on te questionne, par là nous croyons que tu es sorti de Dieu. » 

Jésus leur répond : « À présent vous croyez ? Voici, une heure vient – et elle est venue... Vous vous disperserez chacun chez soi, et vous me laisserez seul. – Non, je ne suis pas seul parce que le Père est avec moi. Je vous ai parlé ainsi pour qu'en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous avez de la souffrance. Mais confiance : moi, je suis vainqueur du monde ! »

Jean 16, 29-33

Donc, cette fois, Jésus a parlé "en clair", ou "ouvertement" selon les traductions. Ceci fait allusion au texte que nous avions hier, où Jésus expliquait que, dans l'Esprit, les disciples ne s'adresseraient plus à lui mais directement au Père. Cette phrase attribuée aux disciples n'a donc certainement pas été prononcée par eux, à ce moment du récit, avant la mort de Jésus, et avant qu'ils reçoivent l'Esprit. C'est l'évangéliste qui nous parle ici de sa propre expérience : une fois qu'on est dans l'Esprit, tout devient clair. Et cette parole 'claire' est opposée, ou mise en balance, avec une autre façon de parler de Jésus, celle qu'il utilisait auparavant, la seule qui était accessible aux disciples avant la venue de l'Esprit. Cette autre façon de parler semble passablement embarrasser les traducteurs, puisque nous trouvons, selon les cas : parler en images, parler par similitudes, parler en paraboles, parler par figures, parler par énigmes, parler par comparaisons ! à se demander s'ils ont compris de quoi il s'agissait... Mais il est assez simple de comprendre, après ce que nous avons vu hier sur les deux théologies de Jean, que cette parole par 'similitude' ou 'comparaison' (les deux seuls termes qui conviennent), désigne tous ces enseignements où la relation des disciples à Jésus était comparée à la relation de Jésus au Père !

Rappelons ce point : tout du long de l'évangile de Jean, j'ai râlé comme un pou contre cette théologie qui vient intercaler Jésus entre le Père et nous, cette théologie à deux étages, où Jésus est dans l'amour du Père, et les disciples invités à se situer dans l'amour de Jésus, par exemple. C'est une théologie où, si on la pousse jusqu'au bout, Jésus, finalement, prend la place du Père. Et puis brusquement, hier, nous sommes tombés sur un passage où Jésus s'efface : c'est la description de la vie dans l'Esprit, et il y est souligné clairement que les disciples s'y trouvent cette fois directement en face à face avec le Père. D'où on peut supposer que toute la phase où Jésus vient faire interface entre le Père et les disciples correspond à la phase d'initiation, celle qui prépare (les disciples, du vivant de Jésus, et ultérieurement les néophytes chrétiens aspirant à rejoindre la communauté) à recevoir l'Esprit, après quoi Jésus est encore présent mais comme transparent. C'est donc de ces deux phases dont il est encore question dans cette remarque attribuée aux disciples. Le parler par comparaison (ou similitude) fait allusion à la théologie de l'initiation, quand le parler en clair désigne l'expérience personnelle de l'Esprit qui met en relation directe avec le Père.

La suite du passage du jour semble alors un peu artificielle. Les disciples n'ont pas fait l'expérience de l'Esprit avant la mort de Jésus ! ce n'est pas eux qui ont pu prononcer ces paroles, leur foi n'est pas venue à ce moment-là, il n'y a pas lieu de la mettre en opposition avec cette désertion imminente annoncée, qui est de plus curieuse puisque, dans l'évangile de Jean, ce ne sont pas les disciples qui s'enfuient lors de l'arrestation de Jésus, mais Jésus qui dit au soldats de les laisser partir... Mais c'est l'occasion pour l'évangéliste de souligner que, dans la vie dans l'Esprit — celle que vivait déjà Jésus, avant que nous puissions nous aussi y accéder —, on n'est plus jamais seuls, perdus, déboussolés, abandonnés : "le Père est avec moi". Ici commence un des leitmotiv de la Passion selon Jean : Jésus n'est pas seul, contrairement aux apparences, Jésus ne subit pas mais domine les événements, Jésus court vers l'issue, survolant ces vicissitudes, déjà vainqueur, déjà glorieux, déjà ressuscité : "je suis vainqueur du monde !", nous dit-il déjà. Cette description de Jean est certainement excessive par rapport à ce qu'a été la réalité. Oui, la vie dans l'Esprit nous fonde dans la paix, mais cela ne nous rend pas pour autant imperméables au monde ! et heureusement.

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