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Billet de blog 2 juillet 2014

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Un exorcisme, vite fait !

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Billet original : Un exorcisme, vite fait !

Quand il vient de l'autre côté, au pays des Gadaréniens, le rencontrent deux démoniaques sortant des sépulcres, extrêmement dangereux, tellement que personne n'a la force de passer par ce chemin-là. 

Et voici, ils crient en disant : « Qu'est-ce, de nous à toi, fils de Dieu ? Es-tu venu ici, avant le temps, nous tourmenter ? » Or, à grande distance d'eux, il y avait un troupeau de cochons, nombreux, en pâture.  Les Démons le suppliaient en disant : « Si tu nous jettes dehors, envoie-nous dans le troupeau des cochons. »  Et il leur dit : « Allez ! » Eux sortent et s'en vont dans les cochons. Et voici : tout le toupeau dévale du haut de la falaise dans la mer. Ils meurent dans les eaux. 

Les pâtres s'enfuient et s'en vont à la ville. Ils annoncent tout, et l'affaire des démoniaques. Et voici : toute la ville sort à la rencontre de Jésus. En le voyant, ils le supplient de s'éloigner de leurs frontières.

Matthieu 8, 28-34

Si on compare cette version de l'épisode avec celle de Marc, on constate que Matthieu a énormément simplifié l'histoire originelle, à une seule exception près : chez lui, il y a deux 'démoniaques', alors que Marc, et Luc à sa suite, n'en mentionnent qu'un. On pourrait penser que cette duplication du démoniaque participe de la tendance de Matthieu à exagérer — comme hier, où le coup de vent était devenu un tremblement de terre —, mais cette fois c'est en fait l'inverse ! Parmi les éléments que Matthieu passe sous silence, il y a cette précision que nous donnent Marc et Luc : le démon qui habite cet homme se nomme 'légion', ce qui signifie qu'il n'y a en réalité pas un, mais une multitude, de démons qui le persécutent. Il semble alors que Matthieu, en parlant de deux démoniaques, se garde simplement la possibilité de parler de 'démons' au pluriel, qui vont être expulsés dans des cochons, mais en nous permettant de penser qu'il n'y a que deux démons, qui vont s'emparer des meneurs du troupeau et l'emmener à leur suite dans la mer. Nous avons du mal à nous représenter l'histoire avec cette particularité de Matthieu, parce que nous la connaissons par ailleurs, mais c'est pourtant ainsi qu'il l'a voulue. Pour une fois, Matthieu n'a pas jugé bon de conserver ce qu'il a considéré comme une exagération : un homme possédé de deux mille démons !

Dans le même ordre d'idées, Matthieu a aussi supprimé toute la présentation très "grand guignol" du possédé. Chez Marc, on nous parle des chaînes qu'il casse si on essaie de l'entraver, des cris qu'il pousse sans cesse dans la montagne, des mutilations qu'il s'inflige aussi continûment... Matthieu se contente de dire qu'ils (au pluriel, puisqu'il y en a deux) sont dangereux. De même, lorsque toute la ville vient, appelée par les gardiens du troupeau de cochons, Marc et Luc nous disent que les villageois constatent la guérison du démoniaque. Et encore que ce dernier demande à Jésus, quand il repart, de pouvoir venir avec lui. Pour Matthieu, les deux hommes semblent ne plus exister ! ils n'ont été qu'un prétexte, prétexte à nous décrire au moins un exorcisme dans la série des dix miracles, mais il ne faut pas lui en demander plus. Matthieu, d'une manière générale, n'est pas très à l'aise avec ce genre de manifestations. Il n'ignore pas qu'il existe des possédés, il mentionne bien dans les formules générales que Jésus guérit "et chasse les démons", pareil lors de l'envoi des disciples en mission, mais il n'aime pas détailler concrètement leur effet. On le voit aussi à l'épisode du fils épileptique, après la transfiguration, où il a procédé de même, gommant les détails trop crus. Peut-être est-ce une sorte de peur de leur donner ainsi plus de réalité ? Ceci contribue, en tout cas, à donner à Matthieu un ton général plus abstrait, et, par voie de conséquence, à déshumaniser aussi un peu plus Jésus, en donnant moins l'impression d'histoires vraies (quelle que soit, par ailleurs, leur stricte réalité historique).

On notera enfin que l'épisode se déroule hors du territoire d'Israël, et que ce sont ces étrangers eux-mêmes qui ne veulent pas de Jésus dans leurs frontières. Cet épisode (avec celui d'hier : les deux s'enchaînent) fait partie d'une des couches les plus anciennes des traditions sur Jésus. Il s'agissait donc, très tôt, de justifier pourquoi Jésus avait limité son ministère au seul peuple juif : l'histoire est ici pour nous dire que ce n'est pas lui qui l'a voulu ainsi. C'est une explication ouverte. Selon ses tendances et à priori, chacun pourra en tirer la conclusion qu'il veut. Chez Matthieu, dont la communauté est entièrement juive d'origine et qui n'envisage pas d'évangélisation au-delà des éventuels prosélytes juifs, la morale est de ne pas chercher à en faire plus que le maître. Peut-être est-ce pour cette raison qu'il a supprimé la scène où le possédé guéri demande à suivre Jésus. Ainsi, même cet homme qui a bénéficié des bons services de Jésus ne manifeste-t-il aucune reconnaissance... Alors que chez Marc et Luc, Jésus, qui ne l'autorise pas à le suivre, lui demande par contre d'aller raconter partout chez lui ce qui lui est arrivé, ce qui peut être proprement compris comme une mission d'évangélisation en bonne et due forme !

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