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Billet de blog 2 avril 2025

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Passer de la mort à la vie

Une heure vient, et c'est maintenant, où les morts entendront la voix du fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront, car de même que le père a la vie en lui, de même il a donné au fils d'avoir la vie en lui.

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Quand nous lisons le début de cet évangile dit de Jean — au commencement est le verbe et etc. — il n'y a pas d'ambiguïté : il s'agit d'affirmations faites par l'auteur, c'est la théologie qu'il a élaborée lui-même qu'il nous expose, elle est pour lui cohérente avec l'expérience qu'il a eue de Jésus, mais il ne prétend pas pour autant qu'il s'agisse de phrases, de concepts, qu'il tiendrait littéralement ainsi de lui ; c'est là le fruit de toute sa réflexion, à partir bien sûr de cette expérience qu'il a pu avoir (ou dont on a pu lui parler, car il n'est pas sûr du tout que ce soit le "disciple que Jésus aimait" lui-même qui ait composé ce prologue de l'évangile, mais plus vraisemblablement un de ses disciples à lui...). Ce prologue se présente donc sans fard comme étant une élaboration théologique de ce qu'on appelle "la communauté" johannique, ou si on préfère de "l'école" johannique.

Quand nous lisons des passages comme celui d'aujourd'hui, un de ces assez nombreux "discours" attribués à Jésus par cet évangile, leur statut est nettement moins clair. La narration les présente donc comme si c'était le maître lui-même qui les avait prononcés ainsi, tels quels, mot pour mot, mais, à moins d'être relativement naïfs, et/ou d'avoir été formatés par une éducation fondamentaliste et bornée, on peut difficilement croire littéralement à ce contexte narratif : Jésus se serait donc exprimé en parlant ainsi de lui à peu près constamment à la troisième personne ? En effet, quand il est question ici du fils (le fils fait ceci, le fils hérite de cela, etc.), nous comprenons que c'est de Jésus lui-même qu'il s'agit, et ce serait donc lui-même qui parlerait de lui-même sous cette forme franchement et particulièrement spécieuse, en ce cas...

Non, il n'est pas raisonnable, je crois, de prendre ces discours de cette façon là, de croire à ce dispositif comme si Jésus avait vraiment prononcé lui-même exactement et précisément ces mots-là, et il s'agit donc bien d'une élaboration littéraire qui traduit là aussi comme dans le prologue, au moins dans la forme sous laquelle elle nous est présentée, la théologie de cette même communauté johannique, la théologie élaborée au fil des premières années (et décades ?) après la mort de Jésus par celles et ceux qui se sont fiés au témoignage du "disciple que Jésus aimait", de ce Judéen, de ce Jérusalémite, qui ne l'avait pas suivi dans l'aventure qu'on appelle souvent du "printemps galiléen", marquée essentiellement par de nombreuses guérisons et un mouvement qui faillira finir en insurrection, mais qui par contre comprit le premier au tombeau, et longtemps avant les autres, le destin singulier de son corps mort.

Tout ceci ne signifie cependant pas que ces discours ne seraient que pures élucubrations sans aucun fondement, il doit bien y avoir là des concepts qui remontaient effectivement à Jésus lui-même, lors des quelques entretiens qu'il a pu avoir avec le Judéen Jean ou quelque autre de ses relations proches (pensons notamment à Nicodème...), et ici on retiendra certainement cette idée du fils qui ne fait rien que ce qu'il voit le père faire, et d'une manière plus générale cette relation quasi de dépendance du fils au père. Mais faisons bien attention que "le fils", dans la théologie johannique, ne désigne absolument pas ce que la théologie ultérieure du christianisme appellera "le Fils", la "deuxième Personne" de la "Trinité", pas plus que "le père" ne désignerait la "première Personne" ! Non, "le fils" désigne l'homme Jésus en tant que fils aimé de Dieu, et en fait aussi toute personne humaine car toute femme comme tout homme sont des filles et fils bien-aimé.e.s de Dieu, lequel est donc alors leur père.

Cette filiation, ce qu'on appelle les premiers "pères de l'Église" en témoignaient eux aussi, comme Jésus donc a pu, a essayé, d'en témoigner de son vivant à ses disciples, et comme en témoignent tous les "mystiques" de tous les temps et de toute tradition spirituelle quelle qu'elle soit : nous sommes bien des enfants de la divinité en ce sens que nous éprouvons, expérimentons (ou du moins pouvons éprouver, expérimenter) cette divinité comme étant la source et l'être même de notre être propre, plus intime à soi-même que le plus intime de soi-même — tels sont les termes exacts qu'ont utilisés ces "pères" de l'Église, et tel est certainement ce dont Jésus a pu parler lui aussi au moins à quelques un. Que ceci ait été mal compris par la suite, notamment par certains qui en recevaient le témoignage mais n'en faisaient pas eux-mêmes l'expérience, et que cela les ait amenés progressivement à n'attribuer cette filiation divine qu'à Jésus seul, hélas...!

Exercice pratique :-) relire ce discours en traduisant que, tout ce qu'on serait tenté d'y attribuer à Jésus seul en tant que fils supposé absolument unique de Dieu, s'applique en réalité à chacune et chacun, notamment à soi-même (sous condition évidemment qu'il s'agit de mon "moi" le plus profond, de mon essence la plus intime...).

Illustration 1

(les Judéens recherchaient Jésus parce qu'il faisait cela un shabbat)
    mais Jésus leur répondit
« mon père jusqu'à présent œuvre et moi aussi j'œuvre »
    et à cause de cela les Judéens cherchaient même plutôt à le tuer
parce que non seulement il enfreignait le sabbat
mais aussi il disait Dieu son propre père se faisant lui-même égal à Dieu
    alors Jésus répondit et il leur disait

« amen ! amen ! je vous dis
le fils ne peut rien faire de lui-même sinon ce qu'il voit le père faire
    car ce que celui-ci fait le fils aussi le fait semblablement
    car le père aime le fils et lui montre tout ce qu'il fait
et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-là
    si bien que vous serez étonnés
car de même que le père réveille les morts et les rend vivants
    de même le fils aussi rend vivants ceux qu'il veut
car le père ne juge personne mais il a donné au fils tout le jugement
    en sorte que tous respectent le fils comme ils respectent le père
qui ne respecte pas le fils ne respecte pas le père qui l'a envoyé

amen ! amen ! je vous dis
qui entend ma parole et croit en celui qui m'a envoyé a la vie éternelle
    et ne vient pas en jugement mais est passé de la mort dans la vie

amen ! amen ! je vous dis
une heure vient et c'est maintenant où les morts entendront la voix du fils de Dieu
    et ceux qui l'auront entendue vivront
car de même que le père a la vie en lui
    de même il a donné au fils d'avoir la vie en lui
et il lui a donné capacité de faire jugement parce qu'il est fils d'homme
    ne vous en étonnez pas
une heure vient où tous ceux des tombeaux entendront sa voix et sortiront
    ceux qui ont fait le bien pour un résurrection de vie
    et ceux qui ont commis le mal pour une résurrection de jugement

je ne peux moi rien faire de moi-même
je juge selon ce que j'entends et mon jugement est juste
car je ne cherche pas ma volonté mais la volonté de celui qui m'a envoyé »

(Jean 5, 17-30)

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