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Billet de blog 3 juin 2014

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Une unique unité

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Billet original : Une unique unité

Jésus parle ainsi ; puis il lève les yeux au ciel et dit : « Père, l'heure est venue, glorifie ton fils, que le fils te glorifie. Ainsi tu lui as donné pouvoir sur toute chair, afin que tout ce que tu lui as donné leur donne vie éternelle. Telle est la vie éternelle : c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul Dieu véritable et celui que tu as envoyé, Jésus messie. Pour moi, je t'ai glorifié sur la terre, j'ai accompli l'œuvre que tu m'avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi, toi, Père, auprès de toi, de la gloire que j'avais avant que le monde soit, auprès de toi. 

« J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant ils savent que tout ce que tu m'as donné vient d'auprès de toi : les mots que tu m'as donnés, je leur ai donnés, ils les ont reçus, et vraiment ils ont su que je suis sorti d'auprès de toi, et ils ont cru que c'est toi qui m'a envoyé. 

« Moi, je prie pour eux. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, car ils sont tiens : tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi et j'ai été glorifié en eux. Je ne suis plus dans le monde. Et eux sont dans le monde. Et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m'as donné pour qu'ils soient uns comme nous. »

Jean 7, 1-11

Attention ! Attention ! Jusqu'à présent, nous devions nous accrocher pour suivre Jean dans le discours d'adieu de Jésus aux disciples. Eh bien ! nous montons maintenant d'un cran encore, nous entrons dans ce qu'on appelle la "prière sacerdotale" : Jésus ne s'adresse plus aux disciples mais au Père. C'est l'heure où l'évangéliste expose les conceptions les plus abstraites de sa théologie. Si vous avez déjà eu du mal à suivre jusqu'ici, sautez ces trois jours et revenez vendredi, cela vous évitera migraines, maux de ventre, et nombreux autres désagréments, qui ne sont pas vraiment indispensables pour se savoir fils et filles de Dieu. Moi-même, je ne garantis pas que je vais être à la hauteur, plus précisément : je le garantis encore moins que d'habitude. Voilà, je l'ai dit, c'était le sursaut de conscience de l'auteur de ce blog, avant d'entraîner à la perdition tous ceux qui lui font l'honneur de s'intéresser à ses efforts maladroits. Vous voici prévenu(e)s !

On nous parle d'abord et essentiellement ici du rôle central qu'aura la résurrection de Jésus dans le processus de foi des disciples : qu'il faut que le Père glorifie Jésus, en le ressuscitant, pour que Jésus, alors, glorifie en retour le Père, parce que cette résurrection sera le sceau qui authentifiera tout ce qu'il a dit et fait au cours de son ministère. Quand on nous dit que Jésus "a glorifié le Père sur la terre", cette affirmation ne peut être faite que parce qu'il y a eu la résurrection. De même pour Jésus qui "donne la vie éternelle" : c'est bien en réalité le Père qui, en donnant la vie éternelle à Jésus, à travers et grâce à lui, nous la donne à nous aussi. De même, ce sera seulement après la résurrection que les disciples sauront avec certitude que Jésus venait bien d'auprès du Père, et que le nom du Père aura donc été manifesté pleinement. À partir de ce moment, seulement, il sera possible de dire que "la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi". 

Tout ce discours, ici, a évidemment été écrit après l'événement : ce n'est pas Jésus qui parle, c'est Jean qui fait dire à Jésus ce qu'a été pour lui, Jean, la résurrection, c'est-à-dire plus précisément la découverte du tombeau vide. Mais quand je dis 'Jean', c'est encore une façon de parler, puisque, rien que dans le premier paragraphe, on peut identifier trois rédacteurs différents. Nous avons en effet les deux premiers versets, ou Jésus parlerait de lui-même à la troisième personne en se nommant "le fils". Nous avons ensuite le verset 3, qui vient comme une incise pour expliquer le terme "vie éternelle" de la fin du verset 2, et dans lequel Jésus parlerait de lui-même, toujours à la troisième personne, mais en se nommant maintenant "Jésus messie". À partir du verset 4, enfin, Jésus parle de lui-même à la première personne, il devient plus crédible de ce point de vue que Jésus ait pu prononcer lui-même ces paroles, si ce n'est qu'une affirmation comme "vraiment ils ont su que je suis sorti d'auprès de toi, ils ont cru" ne peut pas parler des disciples avant la résurrection. Outre le fait que l'évangile de Jean ne soit presque entièrement que du discours construit après coup, c'est aussi cet aspect mille-feuilles, qui nous donne en fait plusieurs discours ajoutés les uns sur les autres, qui le rend si obscur et ardu à arpenter.

Le dernier paragraphe du jour commence par un des thèmes que j'aime le moins chez Jean, l'opposition entre la communauté des disciples, d'une part, et "le monde", d'autre part, pris comme un grand tout, condamnable et condamné, donnant l'impression que Jésus ne serait venu que pour une élite, un tout petit troupeau. Nous savons que c'est ainsi que se considérait la communauté johannique : les seuls à avoir compris Jésus, y compris en opposition aux autres premiers chrétiens. Nous savons aussi où les a menés cette prétention autiste, l'éclatement de la communauté, minée par l'anarchie d'un mode de fonctionnement où personne, dans le fond, ne souhaitait rechercher le consensus, même pas à l'intérieur de la communauté. Mais ce thème du 'monde' va être repris et développé demain, nous y reviendrons. Pour l'instant, notre texte du jour s'achève sur une mention qui peut surprendre : Jésus demande au Père de garder les disciples "dans son nom" à lui, le Père. C'est un indice de plus de ce que nous avions déjà repéré ces derniers jours, d'une théologie johannique qui dépasse l'interfaçage des disciples au Père uniquement par l'intermédiaire de Jésus, autrement dit d'une théologie qui finit par amener les disciples à une relation personnelle et directe avec le Père. Samedi, nous avions une relation des disciples avec le Père qui se faisait encore "au nom de Jésus", et qui était pourtant déjà une avancée par rapport au schéma dominant de Jean où les disciples ne sont censés être en relation qu'avec Jésus qui, lui seul, est en relation avec le Père. Eh bien ! cette fois-ci nous arrivons au bout et au but : les disciples vont être "gardés dans le nom" du Père, ils vont être uns avec le Père, exactement de la même manière que Jésus est un avec lui...

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