Il a vaincu le monde ! ils n'en demandaient pas tant... qu'il vainque les romains leur aurait largement suffi. Mais évidemment, ce n'est pas dans ce sens-là qu'il le dit. Il n'a pas vaincu le monde comme le dirait un conquérant, un Alexandre, un César, un Napoléon, un Hitler... Il ne l'a pas vaincu extérieurement, avec une armée, des soldats, des armes, il l'a vaincu intérieurement, en lui, il a vaincu tous les attraits dont puisse se prévaloir le monde quand il prétend se suffire à lui-même, quand ce qui nous est accessible par les organes des sens prétend être le tout de la réalité ; il est passé entièrement au-delà de toutes ces seules apparences, il n'y a plus rien de tout ceci qui puisse à soi seul lui apporter quelque satisfaction que ce soit.
En sorte que, désormais fermement attaché au seul bien véritable qui, lui, ne passera jamais, la présence du Père, il peut tout supporter de la part de ce monde en perpétuel changement, tantôt source de plaisirs nombreux et variés — et il ne s'en est jamais privé, et on le lui a d'ailleurs largement reproché —, mais aussi en conséquence tantôt source de déplaisirs tout autant nombreux et de nombreuses sortes. Il passera bientôt par le pire de ces derniers, et de fait cet évangile de Jean nous décrira ce dernier acte quasiment comme une promenade de santé, un Jésus qui semble planer à une hauteur stratosphérique alors qu'il subit un des pires supplices jamais inventés... c'est Jean, on peut soupçonner que cela n'ait pas été si facile que ça, mais dans cet évangile-ci, le symbole prime tout.
Ce "j'ai vaincu le monde" serait-il donc une anticipation ? une pétition de principe, posée là par l'évangéliste qui lui, lorsqu'il rédige, sait ce qui s'est passé ensuite, notamment les apparitions après la mort (quelle que soit la réalité de ces faits), et la venue de l'Esprit, autrement dit, bien plus importante que sa résurrection à lui, leur résurrection à eux, leur sortie de leur tombeau, le rebond fantastique qui s'emparera d'eux, les fera faire leur deuil de leurs attentes terre-à-terre, de leur messie politique, de leur dieu tribal. Cela, oui, il pouvait, lui, en être sûr dès ce moment-là, dès avant même qu'il n'ait à se soumettre à cette ordalie finale, et donc quelle que soit la manière dont il arriverait à la supporter. Oui, en ce sens, peut-être bien qu'il pouvait déjà être sûr d'avoir vaincu le monde, non seulement pour lui-même, mais aussi pour eux.
À eux, ensuite, à nous aujourd'hui, d'en faire autant, de surmonter ainsi toute angoisse pour demeurer enfin dans la paix.
Agrandissement : Illustration 1
ses disciples disent
« voici que maintenant tu parles franchement
et tu ne dis plus de paraboles
nous savons maintenant que tu sais tout
et que tu n'as pas besoin qu'on t'interroge
en cela nous croyons que tu es issu de Dieu »
Jésus leur répondit
« à présent vous croyez ?
voici qu'une heure vient et elle est venue
où vous serez dispersés chacun chez soi
et moi vous me laisserez seul
– mais je ne suis pas seul
puisque le Père est avec moi
tout cela je vous l'ai dit
afin qu'en moi vous ayez de la paix
dans le monde vous avez de l'angoisse
mais courage !
moi j'ai vaincu le monde »
(Jean 16, 29-33)